Tentative de la Grande-Bretagne pour façonner socialement de « bons musulmans »
Un rapport publié la semaine dernière a révélé que le gouvernement britannique aurait orchestré en secret de nombreuses campagnes politiques sous prétexte qu’elles étaient menées par des associations locales. Des campagnes ont été menées sur les réseaux sociaux pour apporter un soutien au discours du gouvernement. sous couvert d’un militantisme populaire.
Dans ce rapport intitulé : « We Are Completely Independent », Cage, un groupe de défense des droits civils, révèle que le gouvernement a secrètement financé des campagnes dans le but de « faire barrage à un certain type d’argument », « résister à l’attrait d’un ‘discours extrémiste’ chez les jeunes Britanniques », plus précisément chez les Britanniques musulmans. Dans le rapport, toutes les campagnes sont liées à la guerre en Syrie et ont été réalisées après le départ en Syrie de jeunes musulmans britanniques pour venir en aide à leur pays, rejoindre des groupes armés ou vivre sur un territoire détenu par le groupe État islamique. Vous me direz qu’il est ou qu’il était urgent que le gouvernement prenne des dispositions visant à lutter contre ce fléau, mais c’est l’approche qu’il a adoptée en utilisant des moyens détournés qui soulève de graves questions.
Instrument de propagande
Le rapport énumère les nombreuses campagnes que l’unité de recherche, d’information et de communication (RICU) du ministère de l’Intérieur britannique a secrètement financées par le biais de son « agence de communication créative », Breakthrough Media. Cette dernière a travaillé à titre d’organisme indépendant avec de nombreux groupes et organisations communautaires. Pourtant selon les informations révélées dans ce rapport, l’agence Breakthrough est tout sauf une entité indépendante. L’organisation a reçu des millions de livres provenant des deniers publics de la RICU – dont une partie du financement provient du budget alloué au programme Prevent. En contrepartie, elle devait faire office d’agent à la solde du gouvernement, en vue d’orienter le « débat autour de la légitimité de l’identité musulmane au Royaume-Uni ».
« Le secret qui entoure les agissements de ces organisations leur permet de se présenter comme organismes indépendants et d’être directement en lien avec la population de leur communauté », révèle le rapport Cage.
La transaction secrète dont dit être « fier » le gouvernement devrait tirer la sonnette d’alarme sur tous les fronts, et l’ampleur de la dissimulation devrait être clairement établie. Le Guardian rapporte que l’agence Breakthrough Media est allée « extrêmement loin pour dissimuler l’implication de la RICU dans son travail », alléguant que les « nouveaux employés devaient signer des accords de non-divulgation », selon un employé.
Les campagnes, officiellement menées par des organisations citoyennes, ont été créées pour venir en soutien au programme et au discours officiel du gouvernement. Les partenaires sont loin d’être dans une relation d’égal à égal, « l’accord final » émanant du gouvernement.
Afin de promouvoir son discours, le gouvernement a utilisé des acteurs publics et des institutions « de confiance » pour atteindre ses objectifs. Il a fait appel à Breakthrough Media qui a servi de canal et d’intermédiaire unique avant d’avoir été démasqué. En attendant que le gouvernement apporte une réponse plus pertinente qu’une déclaration stipulant qu’il est « important de tisser des liens loin de la scène médiatique », nous ne serons pas en mesure d’évaluer l’ampleur des opérations, ni la profondeur des liens qui ont été tissés avec les groupes et les organisations communautaires.
Sur la liste
Ma première rencontre avec Breakthrough Media remonte à février, mais c’est plus tôt que l’on m’a demandé de m’engager pour servir le discours orchestré par le gouvernement.
Le hashtag #AndMuslim (musulmane aussi) a d’abord été utilisé en mars par quelques femmes principalement musulmanes engagées dans une campagne citoyenne, menée par le Réseau des femmes musulmanes, basé dans le nord du pays. Cette campagne visait à montrer qu’en dehors de leur identité de « musulmanes », bien d’autres aspects les caractérisaient. Mais un mois avant son lancement dans les réseaux sociaux, Breakthrough Media m’a contactée pour me parler de cette campagne comme d’un « projet pour le Réseau des femmes musulmanes » et me demander si j’étais en mesure d’y participer. Ils m’ont dit avoir trouvé mon nom sur la liste British Bangladeshi Power & Inspiration 100.
« La campagne vise à dresser des profils de modèles de femmes musulmanes [qui] montreront la diversité des femmes musulmanes à travers le Royaume-Uni, ainsi qu’à lutter contre les stéréotypes », a expliqué Breakthrough Media.
Qu’y avait-il de mal à répondre à cette proposition ? Une demande sans intentions cachées, aurait-on pu penser en tant que membre d’une organisation de femmes citoyennes – cependant cette campagne était assez semblable à celles dont faisait état le rapport Cage.
Avant cette proposition de Breakthrough, j’avais fait l’objet de demandes plus ou moins pressantes pour lancer une campagne sur les réseaux sociaux dans le cadre de mon travail. L’objectif était, à l’aide d’un hashtag et d’un titre accrocheur, de « lutter contre le discours actuel des musulmans extrémistes » en accompagnant le message d’une « manière positive » en vue d’endiguer le flux de jeunes musulmans britanniques partant pour la Syrie.
À la suite de ces révélations, il est nécessaire de réclamer la transparence afin de redonner confiance aux Britanniques musulmans et au public en général. Nous devons miser sur la transparence de la chaîne de distribution à laquelle devront veiller tous les intervenants. L’intégrité, l’impartialité et l’indépendance sont des facteurs essentiels pour retrouver la confiance en ceux qui relaient l’information et dans les principes qui nous sont chers.
Conçues pour façonner et influencer le cœur et l’esprit des communautés, les campagnes de sensibilisation ne devraient pas être prises à la légère. Il n’est pas tolérable qu’elles soient menées par le biais de manœuvres aussi troubles et il n’est absolument pas normal que de jeunes musulmans qui vivent en Grande Bretagne soient exposés à une telle propagande. Que le gouvernement se soit engagé dans de telles activités constitue un abus de pouvoir flagrant et si des institutions ou des individus ont été approchés par des sociétés de communication comme Breakthrough au d’autres agences, ils ont le devoir de se manifester et de le faire savoir.
Nous ne devrions pas avancer aveuglément dans une direction sans être conscient de ce que nous consommons, ni partir du principe que tout ce qui se présente à nous doit être soumis à caution.
En créant ces campagnes et projets visant à montrer que ces « bons musulmans » ont fait des choix convenables et acceptables, le gouvernement a soutenu une rhétorique affirmant que les musulmans britanniques relèvent d’une catégorie ou de l’autre, en étant de « bons » ou de « mauvais » musulmans. Il n’est pas surprenant que certains aient comparé cette propagande nauséabonde à un projet de manipulation social digne de la guerre froide.
- Yasmin Khatun Dewan est une journaliste indépendante basée à Londres travaillant dans la presse écrite, en ligne et audiovisuelle. Elle a produit des reportages acclamés par la critique et des documentaires d’investigation, dont « Slave Industry. A Year on from Rana Plaza », nommé pour le prix de l’enquête internationale de l’année 2014 de l’Association for International Broadcasting (AIB), tout en contribuant à des articles en ligne portant sur des thèmes variés tels que la lutte contre le terrorisme, la République centrafricaine, le Moyen-Orient et la mode. Figurant dans le top 100 des personnalités anglo-bangladaises les plus influentes au Royaume-Uni en 2014 et en 2015, elle a également été en lice pour la contribution médiatique musulmane britannique de l’année.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : L’intérieur du dôme de la mosquée Makkah Masjid de Leeds, au nord de l’Angleterre, le 18 janvier 2016, lors d’une visite du Premier ministre britannique David Cameron (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.
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