Theresa May : ennuyeuse mais dangereuse
Theresa May, nouvelle Première ministre de Grande-Bretagne, est largement saluée aujourd’hui comme la voix du bon sens et du pragmatisme inflexible. En bref, ennuyeuse mais compétente.
Cette assertion est à demi vraie. Theresa May est ennuyeuse, aucun doute là-dessus. Par exemple, elle n’a jamais démontré qu’elle possède une quelconque vision ou des idées.
Est-elle compétente ? J’ai suivi ses progrès en tant que ministre de l’Intérieur ces six dernières années. Elle peut être irréfléchie dans les faits. Prenez l’exemple du cheikh Raed Salah, un homme politique israélo-palestinien qui avait été invité à s’exprimer lors d’une réunion à la Chambre des communes, une visite qui était soutenue par Jeremy Corbyn.
May a interdit Salah de séjour au motif qu’il soutenait le terrorisme, avait écrit un poème antisémite et constituait une menace pour l’ordre public. Il a néanmoins pu entrer en Grande-Bretagne sans entrave.
Lorsque May l’a découvert, elle lui a collé une ordonnance de contrôle, ce qui signifie qu’il a été assigné à résidence sous étroite surveillance pendant des mois.
En temps voulu, la Chambre de l’immigration de la Haute Cour a conclu que May avait « mal apprécié les faits », que Salah ne présentait aucune menace, et a ordonné sa libération.
De manière préjudiciable pour May, il est également apparu à l’audience du tribunal que sa décision reposait en partie sur la base d’informations fournies par le Community Security Trust, une organisation qui lutte contre l’antisémitisme en Grande-Bretagne.
Elle semble ne pas avoir essayé de contrebalancer ses conseils en prenant l’avis d’une quelconque organisation musulmane ou palestinienne.
Pire encore, elle n’a même pas tenté de vérifier les allégations à l’encontre de Raed Salah – et est parvenue à la décision d’imposer une ordonnance de contrôle en quelques minutes.
Cela ne constitue pas un exemple du genre de délibération impartiale, posée et mesurée qu’on attend de la part d’une ministre du Cabinet. Malheureusement, c’est caractéristique de la façon dont Theresa May s’est trop souvent conduite dans ses fonctions.
Examinez son discours à la conférence du Parti conservateur en 2011, au cours duquel elle a informé son public du cas d’un immigrant illégal « qui ne peut pas être expulsé parce que – et je n’invente rien – il a un chat ».
Il s’est avéré qu’elle avait effectivement inventé. L’immigrant qu’elle avait pris pour cible, un Bolivien, possédait bel et bien un chat. Mais son compagnon félin n’était pas le seul facteur pris en compte par la Chambre de l’immigration qui lui a permis de rester dans ce pays pour des motifs liés aux droits de l’homme.
May a changé d’avis sur un certain nombre de questions allant de la Loi sur les droits de l’homme au Brexit. Comme le chroniqueur conservateur Peter Hitchens l’a noté mardi, on n’a aucune preuve tangible qu’elle ait une opinion cohérente sur le moindre sujet.
En tant que jeune inconnue à la fin des années 1990, elle était à la droite du Parti conservateur, puis s’est transformée en centriste modernisatrice à la mode, avant, le moment venu, de faire une embardée pour revenir vers le Tory lorsque celui-ci est redevenu à la mode.
Son plus grand échec a été l’immigration, où elle avait promis à plusieurs reprises de faire revenir la barre de la migration nette en dessous de 100 000 par an.
Après être passée à côté de cet objectif à plusieurs reprises, dans son discours à la conférence du Parti conservateur à l’automne dernier, May a tenu l’Union européenne pour responsable de cet échec. En toute logique, cela signifie qu’elle aurait dû se prononcer pour le Brexit. Elle ne l’a pas fait, s’est ensuite cachée pendant la campagne référendaire et a fautivement laissé son adjoint, James Brokenshire, gérer l’immigration.
Tout du long, Theresa May est restée ennuyeuse, ce qui a peut-être joué en sa faveur au moment où la Grande-Bretagne est plongée dans une crise constitutionnelle et politique. Elle n’a pas inspiré les inimitiés générées par ses collègues conservateurs beaucoup plus capables (et plus charismatiques) tels que Michael Gove et Boris Johnson.
La politique la plus controversée de May concerne l’impopulaire stratégie Prevent, qui est conçue pour empêcher les jeunes d’être embarqués dans le terrorisme. Il n’y a pas que les musulmans qui pensent que Prevent risque d’aliéner toute une communauté.
L’analyse fondamentale au cœur de Prevent est un lien entre la violence islamique et un ensemble plus large d’idées et de comportements qui n’ont rien à voir avec la violence.
En conséquence, beaucoup de musulmans ont fait l’objet d’une enquête par les autorités alors qu’ils n’ont rien fait de mal du tout. Mercredi à la Chambre des communes, un rapport de Rights Watch UK a mis en évidence le fait que des enfants encore à la maternelle sont ciblés.
Ainsi, les musulmans ont raison de se sentir nerveux à l’idée de voir Theresa May devenir Première ministre. Il devrait en être de même pour le pays. La Grande-Bretagne est sur le point de se lancer dans une expérience intéressante. Nous sommes sur le point de savoir si la compétence et un caractère ennuyeux sont synonymes. Pour notre bien à tous, espérons qu’ils le soient.
– Peter Oborne a été désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Il a publié de nombreux livres dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la nouvelle chef du Parti conservateur britannique Theresa May à Downing Street, le 12 juillet 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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