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Tunisie – Émirats arabes unis : la permanence de la crise

L’intérêt porté par les EAU à la Tunisie n’a cessé de croître depuis le départ de Ben Ali du pouvoir. Jusqu’alors centrées sur l’économie, les relations bilatérales ont fini par s’engager sur un terrain plus politique, mais aussi par se compliquer
Mohammed bin Rashid Al Maktoum
Mohammed ben Rachid al-Maktoum, vice-président, Premier ministre et ministre de la Défense des Émirats arabes unis (AFP)

Présents sur la scène économique tunisienne, les EAU ont multiplié sous la présidence Ben Ali investissements et projets au point de devenir, entre 1997 et 2006, l’un des principaux investisseurs étrangers dans le pays.

Le départ du président Ben Ali et l’arrivée au pouvoir du parti « islamiste » Ennahdha n’ont pas entamé immédiatement les relations politiques et commerciales entre les deux pays, les EAU accueillant en 2012 le ministre tunisien des Affaires étrangères, l’« islamiste » Rafik Abdessalem, et annonçant au passage le déblocage d’une aide d’un montant de 200 millions de dollars destinée à soutenir le système médical tunisien.

En guerre ouverte partout dans le monde arabo-musulman contre l’« islamisme », la position des EAU à l’égard d’un pays dirigé par un parti politique « islamiste », de surcroît proche du Qatar, ne pouvait que se durcir.

Des débuts compliqués

La première crise entre les deux pays a lieu en septembre 2013 lorsque les EAU, irrités par l’appel du président Moncef Marzouki (CPR, centre gauche) à libérer le président (« islamiste ») égyptien Mohamed Morsi, renversé par un coup d’État militaire soutenu par Abou Dabi, rappellent leur ambassadeur en poste à Tunis pour consultation.

Il faudra attendre plus de quatre mois, et la démission le 9 janvier 2014 du gouvernement dominé par Ennahdha, pour assister au retour de l’ambassadeur émirati (accueilli à l’aéroport international de Tunis-Carthage par le ministre tunisien des Affaires étrangères en personne).

Le nouveau gouvernement de technocrates installé le 29 janvier 2014, conscient des difficultés économiques de la Tunisie et de la nécessité d’attirer des investissements étrangers, lance dès son entrée en fonction une opération de séduction à destination du golfe d’Arabie.

Accompagné du ministre des Affaires étrangères Mongi Hamdi, du ministre de l’Économie et des Finances Hakim Ben Hammouda et d’une délégation d’hommes d’affaires, le Premier ministre tunisien Mehdi Jomaa entame en mars 2014 une visite, qui a débuté par Abou Dabi, dans les pays du golfe d’Arabie afin d’obtenir leur soutien dans les domaines économique et sécuritaire.

Bien que Mehdi Jomaa ait « perçu » une disposition favorable des EAU à soutenir financièrement la Tunisie, la position d’Abou Dabi, exprimée par le biais de sa presse, semble plus prudente : la bipolarisation idéologique entre les pôles « séculariste » et « islamo-conservateur » et « les tentatives de changement du modèle sociétal tunisien » constituent à ses yeux un obstacle aux investissements.

Un obstacle qui n’empêche néanmoins pas la société de capital-investissement Abraaj, basée à Dubaï, d’acquérir une participation majoritaire dans la Polyclinique Taoufik, un établissement de santé privé pouvant accueillir 75 000 patients par an. Un investissement de taille, l’industrie tunisienne de la santé ayant réalisé à elle seule près de 7 % du PIB en 2013.

Abou Dabi a subordonné tout investissement dans l’économie tunisienne à l’exclusion d’Ennahdha du gouvernement et du champ politique tunisiens

La rivalité entre les États du golfe d’Arabie (apparue au grand jour le 5 mars 2014 lorsque l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn, accusant le Qatar de s’ingérer dans leurs affaires et de soutenir les Frères musulmans, procèdent au rappel de leurs ambassadeurs respectifs de Doha) a un impact négatif sur le déroulement des élections législatives et présidentielle tunisiennes de la fin de l’année 2014, les acteurs politiques tunisiens, en manque de ressources pour mener à bien leur campagne électorale, ayant sollicité leur appui politique et financier.

L’influence des EAU et du Qatar, soutiens respectifs du parti bourguibiste Nidaa Tounes et d’Ennahdha, dont ils se servent comme relais de leur politique régionale, sur le déroulement du processus électoral tunisien ne fait qu’exacerber les tensions dans un pays soumis à une forte polarisation politique.

Partageant une opposition commune avec Nidaa Tounes (qui affiche en 2014 son soutien à un allié de poids d’Abou Dabi, le maréchal putschiste Abdel Fattah al-Sissi) à l’égard de l’« islamisme », les EAU, où se rend en pleine campagne électorale l’ancien cadre dirigeant de Nidaa Tounes Mohsen Marzouk, apportent un appui matériel au candidat du parti, Béji Caïd Essebsi, qui les avait autorisés en 2011, alors qu’il était Premier ministre, à approvisionner en armes les rebelles de la Tripolitaine depuis le territoire tunisien.

Bien que satisfaits du score réalisé par Nidaa Tounes, considéré par la presse émiratie comme une alternative « laïque » à Ennahdha, lors des élections législatives du 26 octobre 2014, les EAU font preuve de prudence.

La victoire de Béji Caïd Essebsi à l’élection présidentielle du 21 décembre 2014 ne contribue pas à une amélioration des relations entre la Tunisie et les EAU – Abou Dabi, favorable à ce que le président Essebsi suive le « modèle » éradicateur du maréchal Sissi à l’encontre des « islamistes », ayant subordonné tout investissement dans l’économie tunisienne à l’exclusion d’Ennahdha du gouvernement et du champ politique tunisiens.

Le défunt président tunisien Béji Caïd Essebsi et Mohammed ben Rachid al-Maktoum (à droite), vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis (Présidence tunisienne)
Le défunt président tunisien Béji Caïd Essebsi (à gauche) et Mohammed ben Rachid al-Maktoum (présidence tunisienne)

Une exigence qui place le président Essebsi dans une position délicate, lui qui est désireux d’obtenir, sans investir trop de capital politique, le soutien des EAU aussi bien pour faire face aux critiques des pays occidentaux quant à la lenteur des réformes politiques et économiques que pour faire face à Ennahdha.

Ce d’autant plus qu’il exprime son rejet de toute intervention militaire étrangère en Libye, où l’armée émiratie est engagée dans des opérations en soutien à Khalifa Haftar. Or, la Libye constitue un dossier capital pour Abou Dabi, l’un de ses principaux objectifs en Tunisie étant d’ailleurs d’y accroître son influence afin de disposer de son territoire pour renforcer son emprise sur le voisine libyen et par la même occasion consolider son image de puissance régionale.

L’affaire des visas

Il ne faut attendre que quelques mois après l’accession de Béji Caïd Essebsi à la présidence tunisienne pour que les tensions entre la Tunisie et les EAU n’apparaissent de nouveau au grand jour, Abou Dabi ayant décidé, sans concertation avec les autorités tunisiennes, de suspendre la délivrance des visas pour les Tunisiens.

Une décision que l’ambassadeur des EAU à Tunis aurait motivée par des raisons sécuritaires ; de nombreux Tunisiens ayant rejoint les rangs d’organisations terroristes notamment en Irak et en Syrie.

Une explication qui ne parvient néanmoins pas à convaincre le ministre tunisien des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, pour qui la crise entre les deux pays, dont l’existence même est alors niée par le président Essebsi et dont Baccouche n’aurait saisi la profondeur qu’une fois informé des mesures prises par Abou Dabi, aurait pour origine des « erreurs politiques » commises à l’égard des EAU par plusieurs ministères tunisiens avant sa propre nomination comme chef de la diplomatie le 23 janvier 2015.

Pour l’ancien ministre tunisien des Affaires étrangères Ahmed Ounaïes, la décision des EAU de suspendre la délivrance des visas est prise pour signifier le refus de ces derniers de la participation d’Ennahdha à l’exécutif tunisien.

Un avis non partagé par le journaliste Safi Saïd selon qui Ennahdha, du fait de son alignement sur les positions du gouvernement de coalition de Habib Essid, ne représente plus un problème pour Abou Dabi. Selon lui, le durcissement de la position des EAU à l’égard de la Tunisie s’expliquerait plutôt par le refus de Tunis de permettre aux EAU de mener des opérations militaires en Libye depuis son territoire et par les investigations menées par un magistrat tunisien sur les conditions ayant permis en 2007 à la société émiratie Sama Dubai de s’implanter en Tunisie.

Réorienter la politique de la Tunisie

Bien que les échanges commerciaux hors-hydrocarbures entre la Tunisie et les EAU aient considérablement augmenté entre 2009 et 2010, passant de 90 millions de dollars à 153 millions, la crise financière et immobilière qui affecte l’émirat de Dubaï en 2009, le départ du président Ben Ali en 2011 et la dégradation continue des relations bilatérales entre les EAU et la Tunisie ont pour effet de retarder la réalisation de projets bilatéraux de grande ampleur.

Malgré l’intérêt porté pour la Tunisie, les investissements émiratis dans l’économie tunisienne, qui auraient permis selon l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (FIPA-Tunisie) la création et la sécurisation de 11 500 emplois en Tunisie, restent jusqu’à présent assez limités comparés à ceux réalisés dans d’autres pays arabo-musulmans. 

Cela s’explique par le fait qu’Abou Dabi, qui s’en remet à l’Europe pour soutenir l’économie tunisienne, ne craint pas qu’une déstabilisation économique de la Tunisie ait autant de répercussions sur la stabilité du monde arabo-musulman qu’une déstabilisation d’un pays comme l’Égypte.

La faible participation des EAU – qui auraient annulé une visite prévue pour la fin de l’année 2015 du président Essebsi – lors de la Conférence internationale d’appui au développement économique, social et durable de la Tunisie (Tunisia 2020 – cofinancée par le Qatar et la France), qui se déroule du 29 au 30 novembre 2016 et au cours de laquelle seuls deux dirigeants d’entreprise émiratis sont reçus par le Premier ministre Youssef Chahed, illustre l’état de tension existant entre les deux pays.

La guerre par procuration entre les EAU et la Turquie se joue dans le ciel libyen
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Cette situation de tension manifeste fait d’ailleurs suite aux déclarations du PDG de Dubai Holding, Ahmad Bin Byat, qui conditionne la concrétisation du mégaprojet immobilier Med Gate à une stabilisation de la vie politique et économique tunisienne, et à la réplique de la Tunisie qui classe le projet, utilisé par les EAU comme outil de pression financière face aux décideurs politiques tunisiens, dans la catégorie des projets en difficulté… avant de finalement faire machine arrière et d’annoncer, probablement afin de ne pas exacerber les tensions avec les EAU et de maintenir des relations équilibrées avec le Qatar (et ne pas ainsi dépendre de son seul soutien financier), sa volonté de trouver des solutions administratives et juridiques pour mener à bien la réalisation du projet.

La détérioration des relations entre les EAU et la Tunisie, intervenue suite à la décision du président Béji Caïd Essebsi, soucieux de maintenir les équilibres internes et la « neutralité » de la Tunisie dans les conflits interarabes, de ne pas exclure Ennahdha du champ politique tunisien et de maintenir des relations équilibrées avec le Congrès général national de Tripoli, rival du maréchal Hatar, et son sponsor qatari, n’entame cependant en rien la coopération sécuritaire entre les deux pays.

C’est ainsi que les EAU, lutte contre le terrorisme oblige, s’engagent en 2015 à financer l’achat d’armes françaises pour l’armée tunisienne et à soutenir ses opérations militaires en mettant temporairement à sa disposition une douzaine d’hélicoptères de combat de type Black Hawk.

Pour parvenir à contrecarrer l’influence du Qatar, considéré comme le principal soutien des Frères musulmans de par le monde, du paysage politique et économique tunisien, le think tank Emirates Policy Center aurait émis dans un document de sept pages daté du 1er juin 2017 une série de recommandations censées renforcer la position des EAU en Tunisie au détriment de celle du Qatar et ses alliés.

Après avoir admis le recul de l’influence des EAU face à celle du Qatar, le document, dont l’authenticité n’est pas avérée, propose notamment de soutenir un islam « zaytunien » (à savoir « traditionnel » et « dépolitisé »), de briser l’« alliance » nouée entre Nidaa Tounes et Ennahdha en soutenant les dissidents de Nidaa Tounes, d’ouvrir des canaux de communications avec les principaux syndicats du pays (UGTT et UTICA) et d’influencer durablement l’opinion publique tunisienne en soutenant des institutions médiatiques et culturelles « libérales » et hostiles à l’« islam politique ».

Le durcissement de la position des EAU à l’égard de la Tunisie s’expliquerait par le refus de Tunis de permettre aux EAU de mener des opérations militaires en Libye depuis son territoire

L’aggravation des tensions entre l’Arabie saoudite et les EAU d’un côté et le Qatar de l’autre finit par dégénérer en conflit ouvert. Accusant le Qatar de soutenir le « terrorisme », l’Arabie saoudite et les EAU, soutenus notamment par leurs alliés égyptien et bahreïni, décident le 5 juin 2017 de rompre leurs relations diplomatiques et de fermer leurs frontières maritimes et terrestres avec le Qatar.

Bien que veillant à rester officiellement neutre dans le conflit opposant les États du golfe d’Arabie, la Tunisie apporte son soutien à l’offre de « médiation » de la Turquie dont le Parlement vote deux jours seulement après le déclenchement de la crise le déploiement de troupes au Qatar.

Observer cette « neutralité » est d’ailleurs difficile pour la Tunisie en raison du renforcement de la position internationale des EAU, qui nouent d’étroits liens avec le président américain Donald Trump et qui consolident leur position en Libye, mais aussi de l’extrême polarisation de la vie politique tunisienne ainsi que de l’hostilité affichée à l’égard du Qatar par les partisans, influents au sein de l’appareil bureaucratique et sécuritaire tunisien, de l’ex-président Ben Ali et des mouvements dits de « gauche ».

L’impartialité affichée de la Tunisie, ainsi que celle de l’Algérie et du Maroc, sans doute justifiée par l’attrait des investissements qataris et la peur d’un accroissement de l’influence de l’Arabie saoudite et des EAU sur leurs décisions, contribue à équilibrer la situation en faveur du Qatar.

Le « travel ban »

Cet état de tension permanent entre les EAU et la Tunisie débouche, à la fin de l’année 2017, sur une nouvelle crise entre les deux pays, survenue quelques jours après l’expulsion par la Tunisie de citoyens émiratis pour chasse illégale de l’outarde. Connue sous le nom du « travel ban » ou encore du « no woman, no fly », elle est sans conteste la plus aigüe traversée par les deux pays.

Invoquant des motifs sécuritaires, les EAU interdisent, sans avertir au préalable les autorités tunisiennes, l’entrée et le transit sur leur territoire à la plupart des femmes détentrices d’un passeport tunisien. Une mesure qui provoque la colère des voyageuses restées bloquées dans les aéroports ainsi que l’hostilité d’un large secteur de l’opinion publique tunisienne et plus particulièrement celle des organisations dites de défense des droits des femmes.

Une Tunisienne montre son passeport au consulat de Tunisie à Paris (AFP)
Une Tunisienne montre son passeport au consulat de Tunisie à Paris (AFP)

Ces mesures, qui mettent dans l’embarras la classe politique « moderniste » tunisienne un temps soutenue par Abou Dabi, ont pour conséquence de déclencher une campagne hostile visant les EAU, accusés de porter atteinte à la dignité de la femme tunisienne, qui ternit leur image de pays « progressiste » promouvant les droits des femmes.

Le président Essebsi, qui n’a de cesse de se présenter comme le défenseur des droits des femmes, est personnellement gêné par cette affaire, habilement exploitée par Ennahdha qui se fait l’avocat des droits des femmes, d’autant plus qu’elle est provoquée par un allié idéologique qui lui aussi mène une guerre implacable contre l’arabité (en tant qu’identité) et contre l’islam (en tant que projet civilisationnel).

Malgré les éclaircissements apportés par le ministre d’État aux Affaires étrangères des EAU Anwar Gargash, qui présente cette interdiction comme une mesure conjoncturelle dictée par des nécessités sécuritaires, la Tunisie, peu convaincue des explications apportées par la diplomatie émiratie et probablement irritée qu’elles aient été diffusées sur les réseaux sociaux et non via les canaux diplomatiques officiels, décide de répliquer en suspendant les vols de la compagnie aérienne Emirates.

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Bien qu’ayant réclamé des excuses officielles aux EAU, Tunis affiche ensuite sa volonté de désamorcer la crise. Déclarant respecter une décision souveraine prise sur la base d’informations jugées crédibles, la porte-parole de la présidence tunisienne Saïda Garrache indique que la mesure prise par le gouvernement émirati ne constitue pas une crise de confiance entre les deux pays et que la Tunisie n’envisage pas d’expulser l’ambassadeur émirati. Elle ajoute cependant que son pays ne peut « accepter la manière dont les femmes tunisiennes ont été traitées ».

La Tunisie multiplie néanmoins les gestes de défiance envers les EAU en accueillant notamment le président turc Recep Tayyip Erdoğan et en désignant des femmes pour arbitrer une rencontre sportive amicale entre les équipes tunisienne et émiratie de handball.

Mécontents, à l’image de membres de la société civile qui organisent un rassemblement devant le siège de l’ambassade des EAU à Tunis, les députés de la coalition nationale (pro-Youssef Chahed) réclament le rappel de l’ambassadeur de Tunisie. Certains députés accusent Abou Dabi de « vouloir imposer sa politique à la Tunisie avec l’argent des pétrodollars » tandis que d’autres reprochent à la Tunisie d’avoir mené une politique « suiviste » à l’égard des EAU.

Malgré la vive opposition suscitée en Tunisie, il faut attendre le 4 janvier 2018 pour que les EAU lèvent leur interdiction. Ayant visiblement pris au sérieux les craintes des autorités émiraties, la Tunisie, qui aurait dépêché le directeur général des renseignements tunisiens (DGSS) à Abou Dabi, aurait fourni de nouvelles garanties sécuritaires aux EAU afin de dénouer l’affaire.

Maintien du cap… et changement de stratégie

Bien que les Tunisiennes aient à nouveau été autorisées à entrer et à transiter sur le territoire émirati et que les liaisons aériennes entre la Tunisie et les EAU aient été rétablies, les tensions entre les deux pays ne baissent pas d’un cran, Abou Dabi et Tunis ne trouvant pas de solution durable à leurs désaccords de nature essentiellement politique.

Malgré l’ampleur de la crise, la Tunisie indique par la voix de son ministre des Affaires étrangères vouloir tourner la page et aller de l’avant avec les EAU.

C’est ainsi que la polémique provoquée deux mois après la fin de l’épisode du « travel ban » par les « révélations » du quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi sur un présumé plan saoudo-émirati visant à réinstaller au pouvoir l’ancien président Ben Ali n’empêche pas Tunis de reprendre le dialogue avec les EAU à l’occasion d’une rencontre entre le président Béji Caïd Essebsi et le prince de Dubaï Mohammed ben Rachid al-Maktoum en marge du 29e sommet de la Ligue des États arabes.

La permanence de la crise économique et sociale en Tunisie, la faiblesse du gouvernement, l’absence de leadership et les divisions politiques ont transformé le pays en terrain de jeu ouvert à toutes les ingérences. La fragilité du paysage politique, tributaire des financements et des aides étrangères, a ouvert la voie à de nombreux acteurs internationaux, créant de la sorte des relations de dépendance et d’allégeance.

Mohammed ben Zayed Al Nahyane, prince héritier d'Abou Dabi. (Reuters)
Mohammed ben Zayed al-Nahyane, prince héritier d'Abou Dabi (Reuters)

Le conflit entre les États du golfe d’Arabie, bien qu’il n’ait pas déstabilisé la Tunisie, a ainsi contribué à empoisonner le climat politique dans un pays fortement divisé.

Bien qu’hostiles à la politique d’inclusion des « islamistes », déterminés à faire échouer les expériences politiques issues du Printemps arabe et convaincus de la nécessité de contrer tout processus révolutionnaire dans le monde arabo-musulman, les EAU semblent toutefois avoir abandonné l’idée de remodeler les orientations politiques de la Tunisie.

Conscients de l’importance des divergences au sein de la classe politique tunisienne et de la faiblesse de ses propres investissements dans l’économie tunisienne, Abou Dabi préfère ainsi se concentrer sur un accroissement de son influence auprès des différents acteurs politiques, économiques et sociaux du pays.

Les EAU veillent de la sorte à étendre leur sphère d’influence et à remodeler les alliances politiques en vue d’obtenir un avantage stratégique dans un pays que les Frères musulmans sont susceptibles de gouverner à nouveau. Un retour aux affaires qui ne pourrait que renforcer la branche émiratie des Frères musulmans… et le Qatar.

- Adnane Maaraf est diplômé en histoire de l’Université Paris IV. Il travaille actuellement dans le domaine des médias.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

​Adnane Maaraf est diplômé en histoire de l’Université Paris IV. Il travaille actuellement dans le domaine des médias.
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