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Un revirement d’Airbnb sur le référencement des colonies serait pire que le silence

L’affaire Airbnb pourrait constituer un moment décisif qui renforcera le mouvement BDS ou le marginalisera

Au vu des affligeantes pratiques en vigueur, la décision initiale d’Airbnb de cesser ses activités dans les colonies illégales en Cisjordanie semblait admirable. Ne pas être complice de crimes de guerre ne devrait pas être un exploit en termes de responsabilité sociale des entreprises, mais c’en est pourtant un que des dizaines de sociétés internationales – profitant silencieusement des colonies – ne parviennent pas à réaliser.

Ainsi, il faut reconnaître le mérite d’Airbnb, qui a au moins admis la réalité. 

Une pratique dommageable

Bien entendu, le mérite revient surtout aux activistes et aux groupes de défense des droits de l’homme, qui ont passé des années à expliquer au géant mondial à quel point ses pratiques dans les territoires palestiniens occupés étaient injustes et préjudiciables, et à quel point elles étaient en contradiction flagrante avec les valeurs libérales professées par la société. 

Des groupes tels que Human Rights Watch (HRW) et l’US Campaign for Palestinian Rights (USCPR) ont réussi à percer le rideau de fumée du « territoire contesté » et du « statut contesté » pour montrer que les colonies sur les terres palestiniennes occupées constituent tout simplement une entreprise criminelle selon l’article 49 de la quatrième Convention de Genève. 

Aucune autorité sérieuse, de la Cour internationale de justice jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU, ne le conteste. 

Airbnb ne savait pas vraiment dans quoi il s’embarquait avec son incursion dans l’un des conflits les plus houleux et âpres au monde

La décision d’Airbnb coïncidait avec le rapport marquant de HRW intitulé « Bed and Breakfast on Stolen Land », qui détaille la sombre provenance des annonces mises à la disposition des touristes, offrant des vues fabuleuses et des équipements modernes. Beaucoup des logements proposés sont basés dans des colonies sur des terres palestiniennes privées qui ont été volées par des bandits armés, qu’ils soient colons ou soldats.

Les véritables propriétaires, à qui il est interdit d’accéder à ces terres, voient, impuissants, leurs biens être loués à des étrangers. Le rapport de HRW note que les bénéfices générés par les annonces Airbnb constituent une source de revenus précieuse qui contribue à la durabilité de cette activité criminelle.    

Réaction féroce

Il semble raisonnable de supposer, comme le fait remarquer Michael Koplow de l’Israel Policy Forum, qu’Airbnb ne savait pas vraiment dans quoi il s’embarquait avec son incursion dans l’un des conflits les plus houleux et âpres au monde.

Les réactions féroces de la part de représentants des gouvernements américain et israélien et de groupes de pression, notamment des menaces de poursuites et des accusations d’antisémitisme en pleine page, étaient naturellement difficiles à ignorer. L’information selon laquelle la direction d’Airbnb avait entamé des discussions pour contrôler les dommages avec le ministère israélien du Tourisme, qui avait fait de cette question une priorité absolue, n’était pas surprenante. 

Alors que le BDS a réalisé des progrès remarquables, tels que l’élection de partisans du mouvement au Congrès, il n’a jamais été face à de plus grandes menaces

Mais à présent, la société se retrouve coincée, publiant des communiqués contradictoires qui ne lui valent que le mépris des deux parties au conflit. Chaque tentative farfelue visant à désamorcer la situation ne fait qu’accroître la pression et la médiatisation de l’affaire. Pour le moment, les annonces dans les colonies sont toujours disponibles sur le site Airbnb.

C’est devenu un problème emblématique. Victoire historique pour le BDS à l’origine, cet épisode pourrait se solder par un revers qui accélèrerait un retour en arrière plus large de ce mouvement sur lequel sont pointées les armes légales tant aux États-Unis qu’en Europe. Le soutien au boycott d’Israël est rapidement en train de devenir illégal, de la loi S.720 du sénateur Cardin aux lois locales qui, aux États-Unis, contraignent les orthophonistes à signer des serments d’allégeance.

Traduction : « ACLU [l’Union américaine pour les libertés civiles] donne son point de vue sur les efforts déployés pour adopter la loi draconienne anti-boycott israélien : ‘’Tout ce qui crée une sanction pour toute activité liée au premier amendement constitue une violation du premier amendement’’. 

« PASSEZ À L’ACTION : Appelez @NancyPelosi et exhortez-la à ne pas inclure l’anti-boycott israélien dans le budget du Congrès. »

Alors que le BDS a réalisé des progrès remarquables, tels que l’élection de partisans du mouvement au Congrès, à l’instar d’Ilhan Omar ou de Rashida Tlaib, il n’a jamais été face à de plus grandes menaces.

L’affaire Airbnb pourrait être un moment décisif qui renforcera et fera avancer le mouvement ou le marginalisera, tout en posant une question stratégique intéressante aux activistes du BDS : ne faudrait-il pas centrer leur campagne sur les colonies si c’est l’élément qui attire l’attention de l’opinion publique ?

Grave responsabilité

Maintenant qu’Airbnb s’est peut-être involontairement retrouvé encerclé par un peloton d’exécution, il est face à une responsabilité peu enviable. 

Une telle décision conférerait une légitimité à l’entreprise de colonisation israélienne et indiquerait aux gouvernements et aux entreprises du monde entier que les lois sont facultatives et que les violer peut être rentable

Toute autre société cynique opérant en Cisjordanie peut marmonner l’excuse qu’elle « ne se mêle pas de politique », faire profil bas et continuer à gagner de l’argent. Mais Airbnb a levé la tête, se mettant à découvert, a reconnu les faits et l’injustice exposés par les militants et a déclaré – bien que plus succinctement – qu’elle ne souhaitait pas participer à une entreprise criminelle. 

Revenir en arrière maintenant, en pleine connaissance de cause des faits sur le terrain, après une série de confortables réunions en coulisses avec des responsables du gouvernement israélien, pleinement engagés dans des crimes de guerre à grande échelle, et avec les dirigeants de l’entreprise de colonisation criminelle elle-même, serait bien plus honteux que les actions d’autres sociétés opérant en Cisjordanie qui n’ont jamais prétendu agir en conscience.  

Manifestation devant une maison palestinienne occupée par des colons israéliens à Hébron, en Cisjordanie, le 27 janvier 2018 (AFP)

Il n’y a pas de solution de facilité. Si Airbnb « suspend la mise en œuvre » de sa politique de déréférencement des annonces issues des colonies, il peut s’attendre à une nouvelle réaction des groupes de défense des droits de l’homme et des activistes de la solidarité avec les Palestiniens, qui mettra en lumière la faillite morale de la société et sera probablement bien accueillie par les jeunes métropolitains libéraux qui constituent une grande partie de son cœur de marché.

Airbnb doit comparer cela à la fureur et l’influence des apologistes des colonies, qui feront de leur mieux pour en faire un exemple. Avec une introduction en bourse prévue pour l’année prochaine, les impératifs commerciaux pèseront lourdement sur le jugement des dirigeants de la société.

Nous espérons sans doute trop si nous attendons d’une entreprise qui a pour seule priorité ses résultats financiers d’agir moralement

Contacté par MEE, Airbnb s’est contenté d’envoyer le communiqué qu’il avait publié le 17 décembre : « Airbnb a exprimé son rejet sans équivoque du mouvement BDS et a annoncé son engagement à développer ses activités en Israël, permettant à davantage de touristes du monde entier de profiter des merveilles du pays et de ses habitants. »

Un coup majeur

Nous ne pouvons qu’espérer que d’autres considérations entreront également dans l’équation. Pour un géant mondial comme Airbnb, qui pèse plusieurs milliards de dollars, faire preuve d’un soutien ouvert à des crimes de guerre et à des violations flagrantes des droits de l’homme serait un coup majeur au droit international et aux droits de l’homme.

Une telle décision conférerait une légitimité à l’entreprise de colonisation israélienne et délégitimerait ses opposants. Cela indiquerait aux gouvernements et aux entreprises du monde entier que les lois sont facultatives et que les violer peut être rentable. 

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Nous espérons sans doute trop si nous attendons d’une entreprise qui a pour seule priorité ses résultats financiers d’agir moralement. La motivation doit venir d’en bas, des activistes et groupes de défense des droits de l’homme qui demeurent une épine dans le pied de la colonisation, n’ayant conclu que de brèves alliances utiles avec des puissances commerciales.

Cependant, si Airbnb décidait d’approuver les crimes de guerre en appliquant son logo sur une propriété volée alors que ses propriétaires n’ont eu aucune chance d’obtenir justice, la société pourrait au moins mettre un terme à sa posture morale et se taire la prochaine fois que le sujet se pose.   

- Kieron Monks est un journaliste basé à Londres qui couvre les mouvements sociaux, le sport et leur intersection pour des médias comme CNN, The Guardian et le magazine Prospect.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : logo Airbnb exposé au WIRED25 Work: Inside San Francisco’s Most Innovative Workplaces, le 12 octobre 2018 à San Francisco, Californie (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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