Valeurs Actuelles refuse l’État de droit et promeut la haine, tout simplement
Encore une fois, des relents racistes semblent s’asseoir dans le discours des médias français. Après l’affaire Tariq Ramadan, dont le débat atteint des extrémités parfois choquantes, on pense notamment à l’injonction faite aux musulmans de France de régir, c’est désormais la titraille de Valeurs Actuelles, se portant en héraut de la chute civilisationnelle, qui revient sur la jurisprudence du Conseil d’État du 25 octobre 2017 concernant le retrait de la croix d’un monument qui surplombe la statue du pape Jean-Paul II dans la ville de Ploërmel.
La laïcité vue par les réseaux sociaux : des analyses binaires et erronées
Il est vrai que le raisonnement souvent binaire en matière de contentieux liés à la laïcité appelle en écho des réponses manichéennes. Or, les choses sont toujours plus complexes que la simplification à outrance qu’on propose lors de l’analyse des faits. Il faut d’abord noter que le Conseil d’État se fonde sur l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État qui rappelle que :
Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
Outre le fait que plusieurs personnalités publiques aient lancé une campagne sur les réseaux sociaux demandant le retrait de la croix sur plusieurs monuments historiques, il semble que ces dernières n’ont même pas eu la décence de lire l’article sur lequel s’est fondé le Conseil d’État. En effet, les monuments visés dans les tweets concernaient des églises édifiées avant la loi de 1905. Or, l’article 28 ne vaut que pour l’avenir et c’est d’ailleurs le sens des premiers mots de cette disposition : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux […] ».
Il était évident que Valeurs Actuelles allait sauter sur l’occasion pour rappeler que le patrimoine culturel de la France était en danger, livré, évidemment, aux islamistes, terme dont on n’a toujours pas aujourd’hui de définition formelle et définitive
Il était évident que Valeurs Actuelles allait sauter sur l’occasion pour rappeler que le patrimoine culturel de la France était en danger, livré, évidemment, aux islamistes, terme dont on n’a toujours pas aujourd’hui de définition formelle et définitive. En tout état de cause, la députée Valérie Boyer (Les Républicains) et les autres chantres de la laïcité « défenderesse du patrimoine chrétien » ont trouvé un nouveau moyen de critiquer l’État de droit, remettant en cause ouvertement une décision claire du Conseil d’État et se gargarisant d’une analyse complètement fallacieuse et éhontée de la laïcité.
Prôner la haine
Si des individus comme Dieudonné, qui prône l’antisémitisme à tout-va, doivent être sanctionnés par notre législation, il n’en demeure pas moins que la presse ne doit pas être à l’abri de telles condamnations. Dans le dernier numéro de Valeurs Actuelles, la titraille est rédigée de la manière suivante « Chassez le christianisme et vous aurez l’islam », suivie du sous-titre : « Obsession laïcarde, idiots utiles de l’islamisme… Enquête sur ceux qui veulent détruire nos racines ».
Outre la stigmatisation insupportable d’une religion, l’islam, bien loin de la charité chrétienne dont se pourfend Valeurs Actuelles, la titraille semble opposer deux religions en soutenant que l’une serait plus fréquentable que l’autre. Or, précisément, ce que ne semble pas comprendre – ou ne souhaite pas entendre – la rédaction de Valeurs Actuelles, est que l’État laïc ne distingue pas entre les religions. À défaut, il aurait une approche discriminatoire du fait religieux.
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La laïcité de l’État doit être lue avec plusieurs de ses corollaires, dont un principe fondamental qui est l’égalité des citoyens devant la loi. Bien que l’on puisse penser que le raisonnement de la Fédération nationale de la libre pensée, en dehors du débat juridique, va loin, il n’en demeure pas moins que le Conseil d’État ne souhaite pas en arriver à une inégalité des citoyens devant la loi.
Il convient par ailleurs d’ajouter que ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État est saisi d’une question liée à l’édification de croix dans le domaine public. Une ville avait interrogé le Conseil d’État, pour avis, sur la question des cimetières. Et le Conseil d’État avait répondu avec la même pondération par un avis du 28 juillet 2017.
Les rhétoriques du passé sont souvent celles des individus qui n’apportent aucune solution pour le présent et la société de demain. L’idée de créer une harmonie et du vivre-ensemble au sein de la société passe par l’égalité des citoyens devant la loi
Par ailleurs, le Conseil d’État avait également tranché la question des crèches de Noël, par un arrêt du 9 novembre 2016. Appelé à juger si l’installation d’une crèche de Noël dans une salle municipale n’était pas contraire à l’article 28 de la loi de 1905, le Conseil d’État avait opéré une approche sociologique et s’était posé la question de savoir ce que revêt effectivement la signification d’une crèche de Noël. Bien que contestable sur le principe, il n’en demeure pas moins que le Conseil d’État a décidé que la crèche de Noël peut être présente dans une salle municipale lorsqu’elle revêt un caractère culturel et non religieux.
Pour autant, suite à cette décision, certains journaux musulmans ont-ils écrit des articles visant à discriminer les concitoyens français de confession catholique ? Non. Et si, d’aventure, une réponse positive pouvait être apportée à cette question, alors leurs articles seraient tout aussi critiquables et insupportables que la titraille de Valeurs Actuelles.
Le combat pour maintenir une culture ou des racines n’a d’ailleurs que très peu de sens dans une société complètement mondialisée et diversifiée. Les rhétoriques du passé sont souvent celles des individus qui n’apportent aucune solution pour le présent et la société de demain. L’idée de créer une harmonie et du vivre-ensemble au sein de la société passe par l’égalité des citoyens devant la loi. D’ailleurs, le Conseil d’État aurait sûrement fait l’objet d’un procès d’intention s’il avait rendu une décision en sens inverse.
Restons unis et respectons l’État de droit.
- Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur et conférencier spécialiste des questions d’islam et de laïcité. Il a publié, au cours du mois d’octobre 2017, le livre Outils pour maîtriser la laïcité», aux éditions La Boîte à Pandore.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un musulman passe devant une église en France (AFP).
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