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Charlie Hebdo caricature l’affaire Ramadan

La dernière couverture du magazine satiriste faisant l’amalgame entre l’islam et les accusations portées à l’encontre de l’islamologue Tariq Ramadan suscite la controverse, et illustre les vives divisions que l’affaire a provoquées en France
Pour certains, la dernière une de Charlie Hebdo souligne une différence de traitement entre l'affaire Ramadan et d’autres du même genre qui ont secoué l’opinion publique dernièrement, de Weinstein à Polanski

Cette nouvelle une du journal satirique soulève déjà les passions… et les tensions. Sous le trait d’encre et les pastels du dessinateur de presse Pierrick Juin, Charlie Hebdo a représenté l’intellectuel suisse d’origine égyptienne Tariq Ramadan saisi d’un priapisme exhibé en pleine page.

Dans le phylactère, cette seule phrase prononcée par l’islamologue, goguenard : « Je suis le 6e pilier de l’islam », et en légende, un sobre « La défense de Tariq Ramadan ». Une référence évidente aux cinq piliers de l’islam, considérés comme les devoirs de base de tout musulman, parmi lesquels on compte la profession de foi, la prière, l’aumône aux démunis, le pèlerinage à la Mecque et le jeûne du Ramadan.

https://twitter.com/Femen_France/status/925651930361356288

Charlie Hebdo a choisi ainsi d’illustrer la dite « affaire Ramadan ». L’intellectuel spécialisé en théologie islamique est accusé par deux femmes, qui ont déjà porté plainte, de « viol, agression sexuelle, violences et menaces de mort ». Une troisième s'y préparerait. Une quatrième s’est manifestée aussi, depuis la Belgique.

Une affaire judiciaire à ses prémisses encore, mais aussi une affaire sociétale qui fait frémir et bruisser les agoras publiques que sont les réseaux sociaux. Le hashtag #CharlieHebdo s’est ainsi retrouvé en tête des tendances sur Twitter en France ce 1er novembre, veille de la sortie en kiosque du journal.

Pour certains, qui saluent cette caricature, cette une est dans la droite ligne de l’ADN de Charlie Hebdo, qui se présente lui-même comme un journal « bête et méchant ». La semaine dernière, c’était les indépendantistes catalans qui avaient eu les honneurs d’une couverture qui avait enflammé la presse ibère.

Si ceci fait dire à certains que Charlie Hebdo attaque de tout côté et qu’il ne fait pas de l’islam une obsession particulière, d’autres s’étonnent pourtant, pointant une différence de traitement qu’ils croient déceler entre l'affaire Ramadan et d’autres du même genre qui ont secoué l’opinion publique dernièrement, de Weinstein à Polanski.

https://twitter.com/Laetiti2a/status/925664355668066305

Enfin, on perçoit les indignations de ceux qui inscrivent ce dessin turgescent dans la lignée d’autres caricatures de Charlie Hebdo liées à l’islam. 

https://twitter.com/IdrissSihamedi/status/925797296113180673

Cette couverture réveille évidemment les souvenirs liés à l’attaque du 7 janvier 2015 contre le journal. Cet attentat qui avait décimé la rédaction avait été revendiqué par les frères Kouachi précisément en représailles à des caricatures du prophète Mohammed publiées par Charlie Hebdo.

Après cet attentat, si Tariq Ramadan avait condamné les actes terroristes, sans toutefois vouloir adhérer au slogan « Je suis Charlie », il avait également parlé de « condamnations à géométrie variable » et d’une « normalisation du discours islamophobe en Europe ». 

Tariq Ramadan n’a jamais été en odeur de sainteté en France, où il est accusé régulièrement de porter un « double discours » et certaines ambivalences. On se souviendra aussi qu’en 1995, le ministre de l’Intérieur de droite, Charles Pasqua, lui avait interdit d’entrer sur le territoire. Son frère, Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève, est quant à lui interdit de séjour sur le territoire français depuis avril 2017.

Couverture de Charlie Hebdo à l'occasion du 1er anniversaire de l'attaque contre les locaux de sa rédaction à Paris le 7 janvier 2015 (AFP)

Une affaire et des questions

Au-delà de l’écume ou des vagues de fond des réseaux sociaux, d’autres questions viennent se greffer à cette affaire et à ces graves accusations. 

D’abord, celle de la connaissance ou pas par certains milieux officiels de faits liés à la vie privée de Tariq Ramadan, faits qui viendraient contredire son image publique d’homme policé et docte.

« Finalement, avant même son dénouement, cette affaire en dit long sur les biais divers qui affectent le système politico-médiatique français dès lors qu’il s’agit, de près ou de loin, d’islam »

- Akram Belkaïd, journaliste

Dans un article publié par L’Obs, Bernard Godard, présenté comme « expert de l’islam de France », mais qui fut plus précisément le « Monsieur islam » du ministère de l'Intérieur, conseillant tour à tour les différents ministres, de Jean-Louis Debré à Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux ou encore Manuel Valls, raconte benoîtement : « Qu’il avait beaucoup de maîtresses, qu’il consultait des sites, que des filles étaient amenées à l’hôtel à la fin de ses conférences, qu’il en invitait à se déshabiller, que certaines résistaient et qu’il pouvait devenir violent et agressif, ça oui. Mais je n’ai jamais entendu parler de viols. J’en suis abasourdi ». 

Une petite phrase qui fait réagir la presse étrangère, laquelle s’étonne et note que celle-ci « met les autorités françaises dans une position délicate car elle suggère qu'elles étaient au courant du comportement abusif de M. Ramadan à l'égard des femmes mais qu'elles n'ont pas agi ».

L'injonction faite aux musulmans

Autre question soulevée par cette désormais affaire « Ramadan », la question du « nous » et du « eux » qui traverse les réactions médiatiques. Ce « nous » énigmatique et encore incertain apparaît d’abord dans la défense de Tariq Ramadan, lequel via sa page Facebook, a dénoncé une « campagne de calomnie » enclenchée par ses « ennemis de toujours », enchaînant : « J’ai une autre idée du combat pour nos idées et il est triste de voir nos adversaires réduits à soutenir l’imposture et la tromperie érigées en vertu ».

À LIRE : Après l’affaire Harvey Weinstein, les Tunisiennes dénoncent le harcèlement sexuel

Un « nous » qui interroge et renvoie dès lors à un « eux » tout aussi incertain puisque Tariq Ramadan est présenté a minima comme jouissant d’une grande popularité parmi les musulmans, Français ou non, issus de l’immigration maghrébine essentiellement. Le journal Libération est allé encore plus loin, dans un article qui pointe le « silence dans les rangs musulmans » qu’il croit déceler. 

Cette position a été reçue par certains musulmans de France comme une injonction à encore se désolidariser d’actes individuels et singuliers qui ne les engagent pourtant en rien.

Le journaliste franco-algérien Akram Belkaïd note ainsi, quant à ce prétendu silence : « Pourquoi d’ailleurs leur faudrait-il réagir ? Tariq Ramadan n’est pas leur chef, ni leur ‘’pape’’, ni leur guide, ni leur calife, ni leur imam, ni même leur champion pas plus qu’il n’est le représentant attitré de telle ou telle communauté ». Et d’ajouter : « Finalement, avant même son dénouement, cette affaire en dit long sur les biais divers qui affectent le système politico-médiatique français dès lors qu’il s’agit, de près ou de loin, d’islam ».

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