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Vue du monde arabe, la chute du mur de Berlin n’a rien de romantique

La chute du mur de Berlin et, plus généralement, l’effondrement du bloc communiste ont affecté le monde arabe. Trente ans plus tard, le bilan politique, géopolitique et économique est mitigé
Les habitants de Berlin-Ouest se rassemblent devant le mur de Berlin, le 11 novembre 1989, alors qu’ils observent les gardes-frontières est-allemands démolir une partie du mur afin d’ouvrir un nouveau point de passage entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, près de la Postdamer Platz (AFP)

En Europe, la chute du mur de Berlin est célébrée à plus d’un titre : elle prépare la réunification de l’Allemagne, précipite la chute de systèmes politiques autoritaires et annonce l’élargissement de la Communauté européenne.

Certes, certains analystes se risquent à rappeler l’histoire d’une annexion douloureuse dont les conséquences néfastes sont encore perceptibles aujourd’hui. Mais l’heure est surtout à la fête. La chute du mur de Berlin serait forcément synonyme d’amour et de liberté.

Dans le monde arabe, la chute du mur de Berlin, moins emblématique qu’en Europe,  est associée à une série de transformations dont le bilan est plus que mitigé. Ces transformations sont d’ordres géopolitique, politique et économique.

1989 au Moyen-Orient : de nouveaux rapports de force

Au Moyen-Orient, l’année 1989 est avant tout l’année de l’accord de Taëf mettant fin à la guerre du Liban. Un peu plus loin et quelques mois avant, en Afghanistan, l’année marque le retrait – et incidemment la défaite – de l’Armée rouge.

En Afghanistan, des États et des combattants arabes – au nom d’un islam politique transnational – ont pleinement participé à l’échec des Soviétiques. La chute du mur de Berlin en tant que symbole de l’effondrement du bloc communiste sonne ainsi comme une victoire conjointe des Américains et de l’islamisme transnational et armé, alliés contre Moscou en Afghanistan.

Les Palestiniens sont assurément le peuple arabe qui a le plus pâti de l’atmosphère de la fin des années 1980

Au Liban, l’affaiblissement soviétique se traduit paradoxalement par le triomphe d’un allié de Moscou : la Syrie. Après Taëf et après la chute du mur, le consensus international contre l’Irak de Saddam Hussein illustre l’infléchissement de la position soviétique.

Il n’est plus question de tenir tête à Washington et de brandir le droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Les Soviétiques laissent faire et leurs partenaires syriens participent à la coalition internationale contre l’ennemi irakien. En échange, Damas peut exercer sa tutelle sur le Liban.

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Un peu plus de cinq mois après la chute du mur de Berlin, le seul État arabe officiellement marxiste disparaît. Il s’agit du Yémen du Sud, qui connaît finalement un sort analogue à celui de l’Allemagne de l’Est. En mai 1990, l’unification du Yémen est proclamée. Trente ans plus tard, si le socialisme a incontestablement perdu du terrain, le séparatisme et la nostalgie d’un Yémen du Sud indépendant demeurent très forts à Aden.

Les Palestiniens sont assurément le peuple arabe qui a le plus pâti de l’atmosphère de la fin des années 1980. Avec la transformation de l’URSS sous Mikhaïl Gorbatchev, puis sa disparition, les Palestiniens perdent un partenaire important.

Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne comme le Hamas entretiennent de très bonnes relations avec la Russie, mais cette dernière entend conserver une position équilibrée entre Palestiniens et Israéliens.

Un nouveau regard sur le monde arabe

À bien des égards, la disparition du mur de Berlin a éloigné le monde arabe de l’Europe, et en particulier de la France. Dès 1986, les Algériens (mais pas seulement) n’étaient déjà plus les bienvenus sans visa.

Après 1989, et tandis que la construction européenne se poursuit, deux tendances se confirment : une circulation plus fluide à l’intérieur de l’espace européen et plus de contrôle vis-à-vis de l’extérieur. Celui-ci inclut le monde arabe. Avec la chute du mur et l’élargissement progressif de l’Union européenne, la France s’intéresse bien plus à l’Est qu’au Sud.

Avec la fin de la guerre froide, les discours civilisationnels se substituent aux débats idéologiques. Conforté par le recul du communisme, l’islam politique gagne du terrain. L’islamisme armé émerge comme la nouvelle menace universelle et le monde arabe, après l’Afghanistan, devient son théâtre privilégié.

Avec sa victoire en Syrie et sa défense du pouvoir en place, la Russie émerge comme une puissance comparable à l’Union soviétique

Indépendamment de la question du terrorisme, la dislocation de l’Union soviétique et la victoire de « l’hyperpuissance » américaine ont fragilisé des États arabes déjà affaiblis. En Irak (2003) comme en Libye (2011), deux interventions militaires étrangères menées par Washington et ses alliés ont permis la destruction des structures étatiques en place en dépit des objections de Moscou.

Avec sa victoire en Syrie et sa défense du pouvoir en place, la Russie émerge comme une puissance comparable à l’Union soviétique. Seulement, il n’est plus question de blocs et d’idéologies – que l’URSS ignorait déjà volontiers –, mais simplement d’équilibre des puissances et de stabilité. C’est une petite revanche sur le monde d’après 1989.

Transformations économiques et statu quo politique

La fin du bloc communiste et de la guerre froide n’ont pas poussé à la démocratisation du monde arabe, mais surtout à sa libéralisation économique. En Algérie, l’ouverture politique et économique tentée par le chef du gouvernement Mouloud Hamrouche (1989-1991) échoue.

Le pouvoir algérien conserve sa nature clandestine et l’ouverture économique profite essentiellement à une classe d’oligarques et d’affairistes. L’économie dirigée a finalement cédé la place à un système de privatisations et de prédation.

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En Syrie, l’Infitah (ouverture) opéré dès le début des années 1990 et poursuivi par l’actuel président ne n’est pas accompagné d’une véritable ouverture politique. La libéralisation économique – avec ses contradictions – a permis l’émergence d’une bourgeoisie acquise au pouvoir en place.

Finalement, c’est aujourd’hui, comme il y a huit ans, que les peuples arabes reproduisent l’action des Allemands de l’Est à l’automne 1989.

La focalisation sur le mur nous fait oublier que les Allemands de l’Est se sont avant tout soulevés contre un parti, une police politique, des médias… Les Algériens s’attaquent aujourd’hui à un pouvoir du même acabit.

Adlene Mohammedi est docteur en géopolitique et notamment spécialiste de la politique arabe de la Russie postsoviétique. Il dirige le centre d’études stratégiques AESMA, ainsi qu’Araprism, association et site dédiés au monde arabe
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