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Emmurés : ces Palestiniens coupés du monde par le mur de séparation israélien

Le tracé du mur ne se contente pas d’exproprier les Palestiniens de leur terre. Il coupe parfois du reste du monde les familles qui vivent dans les zones convoitées par Israël. Une situation intenable
Une maison palestinienne entourée par le mur de séparation israélien sur trois côtés, à Bethléem (MEE/ Laurent Perpigna Iban)
Une maison palestinienne entourée par le mur de séparation israélien sur trois côtés, à Bethléem (MEE/ Laurent Perpigna Iban)

RAMALLAH, Territoires palestiniens occupés – « Le gouvernement d’Israël a l’obligation de défendre ses citoyens contre le terrorisme. Ce droit est inscrit dans le droit international. La clôture antiterroriste est une mesure d’autodéfense qui sauve des vies humaines. » Voilà comment l’État d’Israël présentait le mur de séparation aux premiers mois de sa construction, à l’été 2002.

Près de seize ans plus tard, cette « mesure », qui devait être une solution temporaire, s’impose comme un problème de plus au cœur du conflit israélo-palestinien.

Malgré toutes les condamnations internationales – notamment de la Cour internationale de justice, pour qui la construction du mur est contraire au droit international –, celui-ci n’en finit plus de fendre le paysage de Cisjordanie, annexant au passage de nombreuses terres appartenant aux Palestiniens.

Bien loin de ses justifications fondatrices, il sert en outre à protéger et à étendre le territoire de dizaines de colonies israéliennes. Par voie de conséquence, ce sont parfois des villes entières qui se trouvent encerclées, comme à Qalqilya, où près de 50 000 habitants se trouvent désormais presque coupés du reste de la Cisjordanie.

Vivre sous une colonie à al-Bireh

À quelques kilomètres à l’est d’al-Bireh, coincée entre le camp de réfugiés de Jalazone et la colonie israélienne de Bet El, une famille palestinienne connaît un sort similaire. La maison des Ahmad est située en contrebas de la colonie israélienne, à l’est de la route 466.

En 2015, les Ahmad ont vu s’ériger le long de cette route un mur visant à empêcher les Palestiniens de s’approcher de Bet El. Si une ouverture de quatre mètres leur permet d’accéder à leur domicile depuis la route 466, ils sont désormais situés dans la zone de la colonie, une situation « intenable » pour eux. Ils avouent avoir peur de sortir après le coucher du soleil, effrayés par les possibles attaques des colons.

Des enfants pistent les soldats israéliens. En fond, la colonie de Bet El ; à droite, le mur de séparation, dont une ouverture permet l’accès à une maison palestinienne (MEE/ Laurent Perpigna Iban)

Lors de la visite de MEE sur place, un groupe d’enfants du camp de Jalazone lançait des cailloux sur plusieurs soldats israéliens, situés en contrebas. Ces derniers, après avoir répliqué par des tirs de grenades lacrymogènes, se replieront… à quelques mètres de la maison palestinienne, à quelques mètres du jardin des Ahmad.

Cette situation, cette famille palestinienne dit la vivre plusieurs fois par semaine du fait de la proximité immédiate du camp de réfugiés et de la colonie. Ils se savent dans le collimateur direct de l’Administration civile israélienne, l’autorité en charge des territoires occupés, qui les a déjà menacés de démolition à plusieurs reprises. Alors que la route 466 est déjà régulièrement fermée pour des raisons de sécurité, les Ahmad craignent de voir un jour le mur se refermer définitivement sur eux.

Enfermée à Bethlehem

« Un matin de 2003, mes enfants sont partis à l’école. Quand ils sont revenus le soir, notre maison était encerclée sur trois côtés par un mur de huit mètres de haut. Je n’oublierai jamais cette journée, ni les larmes de mes enfants » - Claire Anastas, habitante de Bethléem

Changement de décor. Ou presque. Alors que le mur de séparation est en passe de devenir une attraction touristique de premier ordre à Bethléem, des familles continuent d’en souffrir au quotidien. C’est le cas de Claire Anastas et de sa famille, qui vivaient jadis le long de la route d’Hébron, un axe alors très fréquenté qui reliait Jérusalem à Bethléem.


« Un matin de 2003, mes enfants sont partis à l’école. Quand ils sont revenus le soir, notre maison était encerclée sur trois côtés par un mur de huit mètres de haut. Je n’oublierai jamais cette journée, ni les larmes de mes enfants », se souvient-elle, la gorge toujours nouée des années après.La proximité du Tombeau de Rachel, site saint pour le judaïsme mais aussi emplacement de la mosquée Bilal bin Rabaha, a dans un premier temps attiré les convoitises de l’État d’Israël. Mais c’est lors de la deuxième Intifada que tout a basculé. Les soldats israéliens ont alors occupé stratégiquement le toit de la maison des Anastas, qui se sont alors retrouvés sur une très dangereuse ligne de front, mitraillés de toutes parts.

De l’autre côté du mur, les Israéliens viennent d’implanter une base militaire. Les commerces tenus par la famille Anastas sont paralysés. « Nous avons été enterrés vivants », commente-t-elle avec amertume.

Claire Anastas, devant le domicile familial, montre une photo de sa maison avant la construction du mur (MEE/ Laurent Perpigna Iban)

Comble de l’absurde, bien que la demeure et le commerce de Claire Anastas se situent du côté palestinien du mur, son terrain est passé en zone C, c’est-à-dire sous le contrôle complet de l’État d’Israël.

« Etre sous le contrôle total israélien signifie que si nous avons besoin d’aide, d’une ambulance par exemple, les Palestiniens qui souhaiteraient nous porter secours ont besoin d’une autorisation pour venir jusqu’à nous. À l’inverse, nous ne pouvons pas passer de l’autre côté du mur. Cela n’a aucun sens. »

C’est un déchirement pour elle. Une autre partie de sa famille se trouve de l’autre côté du mur, à quelques centaines de mètres. « Non seulement une partie du terrain de mes cousins a été confisquée, mais en plus, nous avons besoin d’un permis pour aller rendre visite à notre famille là-bas. Concrètement, en tant que chrétiens, nous devons attendre les fêtes religieuses pour nous retrouver. Ils ont mis une frontière entre nous. »

Claire Anastas assume fièrement le fait d’avoir refusé de quitter sa maison quand l’armée israélienne le lui a demandé, consciente que son terrain serait immédiatement annexé. Mais sa résistance a eu un prix très élevé : celui de l’effondrement de son commerce, et d’une vie désormais entre trois murs.

« En tant que Palestiniens, il n’y a pas de justice pour nous et je ne sais même pas à qui je dois m’adresser quand je dois réclamer quelque chose. Voilà de quoi ont accouché les accords d’Oslo : nous avons été emprisonnés, et nous avons perdu tout ce que nous avions. Mais nous restons-là, et j’ai réussi à trouver une parade en développant tant bien que mal mon commerce via internet. »

Al-Walaja, cette Palestine en sursis

La situation d’Omar Hajajleh est analogue. Lui vit avec sa femme et ses enfants à al-Walaja, un village proche de Jérusalem extrêmement convoité par l’État d’Israël.

« Je suis en Palestine. C’est la Palestine ici, quelle que soit la zone, du Jourdain jusqu’à Tel Aviv. Quant à moi, je resterai dans ma maison, quoi qu’ils fassent »

- Omar Hajajleh, résident d'al-Walaja

La maison familiale des Hajajleh, accrochée à flanc de colline, est un peu isolée du reste du village, ce qui lui vaut d’en être séparée aujourd’hui par une clôture.

« En 2010, ils sont venus me voir afin de me dire qu’ils allaient construire un mur, et que je ne me trouvais pas du côté palestinien de son tracé. Ils m’ont dit que c’était un gros problème pour tout le monde », explique-t-il.

Les Israéliens vont ainsi lui proposer plusieurs options : « Ils m’ont d’abord proposé de me racheter ma maison. Ensuite, ils m’ont proposé de louer mon terrain et ma maison pour 99 ans. Devant mon refus, ils ont insisté pour que je devienne leur partenaire pour la création de maisons et d’hôtels, ici même. Enfin, ils m’ont soumis l’idée d’un échange contre une autre terre en zone A ou B, en me proposant le double de la valeur de mon bien. J’ai tout refusé », a-t-il confié à MEE.

L’homme, dont la maison a été construite avant 1948, accuse les soldats israéliens d’agressions physiques sur sa famille, et de tentatives de sabotage sur son bien.

Finalement, les soldats israéliens trouvent une solution pour le moins inattendue : un tunnel est creusé, avec une porte automatique renforcée, afin que la famille puisse rentrer chez elle. Omar, lui, voit la situation autrement : il possède désormais les clés de sa propre prison.

Un tunnel avec une porte automatique a été construit par les autorités israéliennes à l’entrée de la maison des Hajajleh afin de ne pas modifier le tracé de la clôture (MEE/ Laurent Perpigna Iban)

« Personne n’a le droit de venir chez moi, ni de me rendre visite. Même vous, vous n’avez pas le droit d’être là », s’agace-t-il. Quand on lui demande dans quelle zone il se trouve à présent, sa réponse est catégorique : « Je suis en Palestine. C’est la Palestine ici, quelle que soit la zone, du Jourdain jusqu’à Tel Aviv. Quant à moi, je resterai dans ma maison, quoi qu’ils fassent ».

Suite à l’édification de cette séparation, Omar et sa famille se trouvent malgré tout désormais sous le contrôle total d’Israël.

Depuis le dernier passage de Middle East Eye à al-Walaja en novembre dernier, la situation continue de se dégrader, comme pressenti. Un nouveau check-point est en construction, à quelques centaines de mètres du village. Selon les habitants, il se trouve désormais à deux kilomètres en amont de l’actuel, au cœur des terres palestiniennes.

« Aujourd’hui, nous pouvons accéder à la source de Ein al-Haniyeh, qui est un lieu magnifique où les habitants aiment se rendre. Dès que ce check-point sera terminé, nous en serons dépossédés. Nous n’y retournerons peut-être jamais », déclare un habitant, désemparé.

La ville d’al-Walaja sera pour sa part bientôt totalement enclavée, totalement encerclée par le mur. Mais ses habitants savent que c’est le prix à payer s’ils ne veulent pas abandonner leur terre. Omar Hajajleh et sa famille, eux, vivront dans une double prison.

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