Israël prend des mesures pour annexer plus de terres d’un village palestinien
AL-WALAJA, Cisjordanie occupée – Des collines verdoyantes entourent al-Walaja, terre agricole cultivée par les habitants de la région depuis des millénaires. L’endroit offre un répit bienvenu au milieu du paysage aride, typique d’une grande partie de la Cisjordanie occupée. Si les habitants de ce petit village palestinien luttent depuis longtemps pour préserver leur souveraineté sur leurs terres, le gouvernement israélien nourrit d’autres projets.
En début de semaine, les autorités israéliennes ont informé al-Walaja que leur projet de rapprocher du village le poste de contrôle militaire permanent, l’installant ainsi plusieurs centaines de mètres plus profondément à l’intérieur de la Cisjordanie, avançait.
À première vue, rien que de très anodin. Or, cette décision aurait pour effet de priver les habitants d’al-Walaja d’accéder à quelque 120 hectares de terres qui leur appartiennent. Elles seraient incorporées dans le projet de parc métropolitain de Jérusalem – initiative dénoncée par les habitants et les militants comme le plus récent exemple d’annexion de terres palestiniennes par Israël.
« Ce village incarne à lui seul tous les aspects et symptômes du colonialisme, ainsi que les différentes ramifications de la colonisation »
- Mazen Qumsiyeh, professeur
« Déplacer un poste de contrôle peut sembler insignifiant – à moins de comprendre que cela fait partie de la stratégie globale d’un système de colonisation impliquant un nettoyage ethnique », explique à Middle East Eye Mazen Qumsiyeh, professeur à l’Université de Bethléem.
« Al-Walaja est un microcosme de ce qui se passe dans l’ensemble de la Palestine », poursuit l’universitaire. « Ce village incarne à lui seul tous les aspects et symptômes du colonialisme, ainsi que les différentes ramifications de la colonisation ».
Ce village est relié au reste de la Cisjordanie par une seule route. Il est coincé entre le mur de séparation israélien (illégal), et les colonies (illégales également) de Gilo, Har Gilo et Gush Etzion. Dès la création de l’État d’Israël, al-Walaja a été la cible de politiques de confiscation de terres.
D’après l’ONU, al-Walaja a depuis 1948 perdu plus de 85 % de ses terres, alors que 90 % des habitants du village et de leurs descendants ont été expulsés. Nombre d’entre eux se sont retrouvés dans des camps de réfugiés installés à proximité, sans pouvoir retourner dans leur ville natale, alors qu’elle fait partie de la Cisjordanie.
Un nouveau parc national pour Israël
Aviv Tatarsky, chercheur pour l’ONG israélienne Ir Amim, qualifie la décision d’ouvrir un parc national dans la zone située entre Jérusalem-Est et le groupe de colonies autour d’al-Walaja de « pillage » stratégique perpétré par les autorités israéliennes pour englober ces colonies dans le projet d’un « Grand Jérusalem ».
« On aura beau convoquer nature, patrimoine et tourisme – thèmes en apparence innocents et apolitiques –, il s’agit essentiellement d’une colonisation qui ne veut pas dire son nom », souligne-t-il à MEE.
« Les Israéliens vont venir s’amuser dans le parc pendant que les propriétaires de ces terres les verront, à quelques dizaines de mètres seulement, derrière une clôture de barbelés », s’indigne le chercheur. « C’est cruel et inhumain ».
Selon les termes de la loi israélienne, selon Aviv Tatarsky, nul besoin d’exproprier les terres autour de Jérusalem pour les inclure dans un parc national – en fait, le titre de propriété d’al-Walaja sur ces terres n’a même pas été contesté par le comité de planification du parc.
Cependant, cette décision d’inclure à l’intérieur des frontières de Jérusalem-Est davantage de terres du village – empêchant de facto ses propriétaires d’y accéder – signifie qu’Israël aurait le droit, en vertu de la loi sur les propriétaires absents, de décréter ces terres « abandonnées » et les classer en terre domaniale – même si les propriétaires habitent toujours à al-Walaja.
Aviv Tatarsky précise que la décision de confisquer des terres non peuplées – conjuguée aux pressions destinées à exclure des frontières municipales de Jérusalem les quartiers à majorité palestinienne – fait partie d’une politique israélienne de longue date, consistant à s’emparer d’un « maximum de terres avec un minimum de Palestiniens ».
Le déménagement du poste de contrôle d’Ein Yael aurait aussi pour effet de confisquer la source d’Ein al-Haniyeh, l’une des dernières sources d’eau encore disponibles à al-Walaja, et lieu servant d’espace de loisirs pour les habitants.
À LIRE : « Nettoyage ethnique : comment Israël chasse les Palestiniens du Grand Jérusalem »
L’agrandissement du parc couperait également les habitants de leurs précieuses terres agricoles en terrasses. Ce sont les Palestiniens d’al-Walaja qui ont conservé cette pratique agricole millénaire dans leur village et dans la vallée voisine de Battir – dont les terrasses figurent depuis 2014 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’Autorité israélienne pour les antiquités et l’Autorité pour le développement de Jérusalem, en charge du parc, prétendent que ces terrasses font partie des structures juives traditionnelles, allégation qui, selon Qumsiyeh, est en droite ligne des efforts de judaïsation des territoires palestiniens occupés.
« Israël continue sa campagne de colonisation et invente toutes sortes de mythologies pour justifier sa politique », déplore-t-il, ajoutant que plusieurs archéologues israéliens, Israël Finkelstein entre autres, ont reconnu que l’État hébreu s’efforce de « tordre l’histoire pour qu’elle corresponde au récit biblique ».
« C’est très blessant. Ils ne se contentent pas de voler la terre, ils changent aussi son identité »
- Mustafa al-Araj
« C’est très blessant. Ils ne se contentent pas de voler la terre, ils changent aussi son identité », explique à MEE Mustafa al-Araj, dont la famille est originaire d’al-Walaja.
« Je suis réfugié de ce village, et j’ai toujours rêvé de retourner à al-Walaja pour construire une maison sur la terre de mon grand-père. Mais aujourd’hui, j’ai peur », confie Mustafa al-Araj, ajoutant que l’accaparement récent des terres a commencé après qu’au moins 50 maisons du village furent frappées par des ordres de démolition.
L’armée israélienne a distribué aux résidents d’al-Walaja des avis leur laissant deux semaines pour faire appel de la décision. Mais Aviv Tatarsky doute fort des chances de succès d’une action en justice, rappelant que les poursuites judiciaires engagées en 2010 et 2013 n’ont pas réussi à arrêter la construction du mur de séparation empiétant sur les terres d’al-Walaja.
« Les stratégies juridiques contre ces politiques se sont, à maintes reprises, avérées inefficaces. Les tribunaux israéliens font partie du système et les politiciens israéliens sont suffisamment influents pour entraver l’action des tribunaux », regrette-t-il. « Nous devons développer de nouvelles stratégies, opposer une réelle résistance et exercer des pressions concrètes. Espérer que le système prendra l’initiative de nous rendre justice, c’est se bercer d’illusions ».
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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