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Gaza provoque un effondrement de la mentalité coloniale de l’Occident

L’actuelle déshumanisation des Palestiniens, ainsi que des autres peuples racisés et asservis à travers le monde, représente une continuation des normes coloniales européennes
Un père en deuil transporte le corps de son enfant tué dans les frappes aériennes israéliennes, le 15 octobre 2023 (Reuters)
Un père en deuil transporte le corps de son enfant tué dans les frappes aériennes israéliennes, le 15 octobre 2023 (Reuters)

Il est évident aujourd’hui en Occident que l’affiliation politique fait peu de différence quand il est question de la Palestine et de la lutte palestinienne.

Les dirigeants, les politiciens, les experts et les personnalités médiatiques de l’ensemble de l’échiquier politique, qu’il s’agisse de la droite, des conservateurs, des libéraux, du centre et de la gauche, ont tous apporté leur soutien au régime d’apartheid et colonial israélien.

Le monde occidental est aux prises avec un « effondrement moral » significatif face à la redistribution globale du pouvoir, lequel échappe aux mains de la sphère euro-américaine

Pour vraiment comprendre cet effondrement moral, il est essentiel de replacer cette réaction occidentale collective dans un contexte plus large.

Le monde occidental est aux prises avec un « effondrement moral » significatif face à la redistribution globale du pouvoir, lequel échappe aux mains de la sphère euro-américaine.

Cette réaction est assez compréhensible car renoncer à des siècles de privilèges coloniaux et de droit à dominer les nations non européennes et le monde est incontestablement un défi.

Aujourd’hui, l’establishment occidental et ses médias traditionnels reviennent aux fondements racistes et euro-coloniaux qui sous-tendent le droit d’envahir, de coloniser et de commettre un génocide aux Amériques et ailleurs dans le monde depuis 1492.

Ils emploient tout un éventail perturbant de termes déshumanisants et racistes pour vilipender les Palestiniens et délégitimer leur lutte, les qualifiant de « bêtes », d’« animaux », de « barbares », de « terroristes », de « mal », de « sauvages », qui commettent un « second holocauste » et un « autre 11 septembre » et ainsi de suite.

La norme coloniale occidentale

Ce discours reflète étroitement les mêmes clichés et schémas que les philosophes, penseurs, personnalités fondatrices et les héros des Lumières et libéraux célébrés par l’Europe ont utilisé pour justifier la soumission et la colonisation des nations non européennes à travers le monde au cours des cinq derniers siècles.

Il n’est guère surprenant que la position occidentale officielle adopte pleinement le narratif colonial israélien, qui est essentiellement une imitation du discours originel euro-moderne/colonial.

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Beaucoup condamnent à juste titre l’hypocrisie et les préjugés exprimés dans les médias et le discours politique occidental mainstream.

Il est frappant que ces mêmes médias occidentaux et dirigeants qui sont prompts à accuser la Russie de crime de guerre et de crimes contre l’humanité s’abstiennent systématiquement de le faire lorsqu’il s’agit d’Israël.

Ils ferment les yeux sur les crimes d’Israël contre la Palestine depuis 1948, y compris les crimes actuels d’apartheid et de nettoyage ethnique des Palestiniens, qui ont fait de 80 % des Palestiniens des réfugiés ou des déplacés interne.

Décennie après décennie de sanctions collectives israéliennes contre les Palestiniens, telles que le bombardement des infrastructures civiles, des maisons, des hôpitaux, des lieux de culte, des écoles et universités, ainsi que l’enlèvement et l’immolation de leurs enfants, la coupure de leur approvisionnement en électricité et en eau ainsi que bien d’autres crimes ont à peine provoqué l’inquiétude et l’indignation de l’Occident.

Encore plus perturbant, ces mêmes politiciens et personnalités médiatiques qui soutiennent le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président russe ont fait activement obstruction à l’enquête de la CPI sur les crimes d’Israël afin de priver les victimes palestiniennes d’une once de justice.

Les victimes du colonialisme n’arriveront jamais à persuader leurs colonisateurs européens de leur souffrance et de leur profond désir de liberté

Paradoxalement, si cela apparaît comme de l’hypocrisie et un deux poids, deux mesures, l’Occident officiel et son discours et ses actes médiatiques restent parfaitement cohérents avec les normes euro-modernes/coloniales, qui ont déjà établi que seuls les Européens sont considérés comme pleinement humains et ont donc droit à la liberté et à la domination sur les autres.

L’actuelle déshumanisation des Palestiniens, ainsi que des autres peuples racisés et asservis à travers le monde, représente une continuation des normes coloniales européennes qui sont profondément ancrées.

Accuser la presse et les gouvernements occidentaux d’hypocrisie porte en soi un espoir sous-jacent de rédemption. Si cet espoir est assurément authentique, il est malheureusement inaccessible.

Comme le penseur afro-caribéen, révolutionnaire et anticolonialiste Frantz Fanon l’a habilement observé, les victimes du colonialisme n’arriveront jamais à persuader leurs colonisateurs européens de leur souffrance et de leur profond désir de liberté car, dans la mentalité euro-coloniale, seul ceux identifiés comme Européens sont perçus comme capables de connaître la vraie souffrance et le désir ardent de liberté.

De marbre devant la souffrance des Palestiniens

Même après un siècle de lutte indéfectible pour la liberté, le monde occidental reste de marbre devant la souffrance des Palestiniens face au colonialisme sioniste soutenu et permis par l’Europe. Au contraire, les dirigeants et les médias occidentaux leur demande de se condamner, eux et leur quête de libération.

L’Occident officiel et la presse non seulement méprisent la souffrance des Palestiniens et font comme si le conflit n’avait commencé que la semaine dernière, mais aussi, comme l’a fait observer avec justesse Edward Saïd il y a presque 40 ans, méprisent leur droits à dire et à raconter leur propre histoire.

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Ils persistent à dépeindre les Palestiniens comme les coupables, les contrevenants, les terroristes ultimes malgré les preuves abondantes du contraire. Leur souffrance sous un régime d’apartheid a été diffusée en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux, et documentés par de nombreuses enquêtes de l’ONU et des résolutions, rapports, commissions, statistiques, infographies, ainsi que par le travail de recherche d’archives basées sur les preuves d’historiens réputés.

Le discours occidental officiel est conçu pour que l’opinion publique soit en faveur de la sanction collective et du meurtre des Palestiniens, non seulement par leurs colonisateurs israéliens immédiats mais aussi par les Américains, les Britanniques, les Allemands et les autres puissances coloniales qui ont rapidement envoyé leur porte-avions et leurs armes pour discipliner et punir les victimes à Gaza.

Aujourd’hui, on constate le déploiement des mêmes clichés racistes du discours colonial européen pour déshumaniser les Palestiniens et les priver du droit de se battre pour la décolonisation.

On ne leur reproche pas leurs actes mais leur détermination résolue à exister sur leurs terres, à résister et à chercher la liberté.

L’effondrement moral de l’establishment occidental en est au point où même brandir le drapeau palestinien ou porter le keffieh palestinien est considéré comme un acte de violence

Le crime des Palestiniens, c’est qu’ils continuent à réapparaître, refusant de mourir en silence et finissant par briser la barrière de Gaza assiégé.

Que cette lutte prenne une forme violente ou non violente, toutes deux légitimes en vertu du droit international, elle est inéluctablement qualifiée de violente car elle remet en cause le cadre colonial euro-israélien de justice et ses fondements essentiellement violents, injustes et immoraux.

De cette perspective coloniale, la simple existence des Palestiniens est jugée comme un acte de violence et de transgression.

L’Occident officiel a déjà entrepris de pénaliser et d’interdire les actions pacifiques telles que les manifestations et les boycotts contre l’apartheid israélien, l’agression coloniale, le nettoyage ethnique, la sanction collective, les offensives contre les sites sacrés musulmans et chrétiens, la transformation de Gaza en camp de concentration à ciel ouvert pour plus de deux millions de personnes (dont 1,7 million de réfugiés), contrôlant leurs apports caloriques pour ne citer que quelques exemple.

L’effondrement moral de l’establishment occidental en est au point où même brandir le drapeau palestinien ou porter le keffieh palestinien est considéré comme un acte de violence.

Comme d’autres populations colonisées et asservies à travers l’histoire, les Palestiniens se battent pour un avenir libéré de l’oppression coloniale. Comme l’a noté l’abolitionniste réputé et ancien esclave noir de maîtres-et-colons en Amérique Frederick Douglass il y a plus d’un siècle et demi, on n’atteint jamais le progrès sans lutte, car « le pouvoir ne cède rien sans demande. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais. »

Le peuple palestinien, comme d’autres nations colonisées avant lui, persistera dans sa lutte pour la liberté, même si le poids de l’oppression lui laisse à peine la force de respirer.

- Emile Badarin est chercheur en politique, colonialité et relations internationales au Moyen-Orient. Il est l’auteur de nombreuses publications sur ces sujets que vous pouvez trouver sur son site www.ebadarin.com et sur son profil www.researchgate.net/profile/Emile-Badarin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Emile Badarin is a researcher in Middle East politics, coloniality and international relations. He is author of numerous publications on these topics that can be found on his www.ebadarin.com and www.researchgate.net/profile/Emile-Badarin.
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