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Hezbollah et Israël : la dissuasion à la limite de la destruction

Après treize années de statu quo, Israël et le Hezbollah négocient de nouvelles règles d’engagement
Des soldats de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) montent la garde près d’un panneau avec le portrait de Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, à la frontière avec Israël, le 29 août (AFP)

L’attaque de drone israélienne contre une cible appartenant au Hezbollah dans une banlieue sud de Beyrouth le 25 août, suivie par la riposte limitée du Hezbollah sur la frontière israélo-libanaise une semaine plus tard, ont été les premières violations du statu quo qui prévalait entre les deux adversaires depuis treize ans.

Elles ne seront probablement pas les dernières. 

Dix jours après l’incident de Beyrouth, l’armée israélienne a tweeté une photo aérienne montrant un ensemble de bâtiments près de la ville de Nabi Chit dans la plaine de la Bekaa. D’après Israël, ces entrepôts abritaient du matériel iranien servant à fabriquer des missiles guidés de précision pour le Hezbollah. « Nous ne les laisserons pas faire », a sinistrement promis l’armée, suggérant que ces installations pourraient être la prochaine cible.

Selon des sources israéliennes, l’opération du 25 août visait également le programme de missiles du Hezbollah et a réussi à le renvoyer un an en arrière en détruisant du matériel iranien sophistiqué. 

Missiles guidés de précision

Le Hezbollah, pour sa part, se vante de posséder des missiles guidés de précision, mais nie vouloir développer des capacités de production locales. Des sources proches du parti affirment que l’attaque d’août était en fait une tentative d’assassinat ratée contre une personnalité haut placée au sein du Hezbollah ou alignée avec lui.

Quoi qu’il en soit, les efforts supposés de l’Iran pour équiper le Hezbollah de missiles guidés de précision, et l’aider à établir une capacité de fabrication locale, sont une source majeure d’inquiétude pour Israël depuis plus de deux ans, et engendreront probablement d’autres attaques dans un proche avenir.

Une récente étude coécrite par des experts israéliens et britanniques de la défense met en particulier l’accent sur les missiles de courte portée comme le Zelzal-2, une arme d’une portée d’environ 200 kilomètres et une charge utile de plus de 500 kilos. Selon eux, le Hezbollah en aurait 14 000 de stockés.

Israël a développé des systèmes de défense perfectionnés à plusieurs niveaux pour se protéger contre de telles menaces, mais ceux-ci peuvent être battus

Selon cette source, il faudrait environ trois heures à une équipe bien entraînée pour équiper un missile de type Zelzal-2 avec un kit GPS, ainsi que pour procéder à d’autres modifications, pour un coût d’environ 10 000 dollars par missile.

Grâce à une telle mise à niveau, un projectile « passif » qui suit un arc balistique prévisible et peut atterrir à des centaines de mètres de la cible présumée lorsqu’il est utilisé à sa portée maximale, devient une arme de précision qui peut être programmée pour frapper un emplacement prédéterminé avec une précision de quelques mètres.

Israël a développé des systèmes de défense perfectionnés à plusieurs niveaux pour se protéger contre les attaques de missiles, mais ceux-ci peuvent être battus.

Même le Dôme de fer, le système de défense israélien le plus éprouvé conçu pour intercepter des armes « passives » à courte portée comme les roquettes Qassam tirées par le Hamas depuis Gaza et les Katioucha utilisées par le Hezbollah pendant la guerre de 2006, ne peut assurer une protection totale.

Fait décisif, ces systèmes de défense s’appuient sur le calcul de l’arc balistique des missiles entrants pour déterminer le site de l’impact, ce qui leur permet de concentrer l’interception uniquement sur ceux qui sont susceptibles de frapper des cibles d’importance.

Cela ne fonctionne pas avec des missiles guidés de précision, qui suivront une trajectoire de vol balistique pendant la majeure partie de leur trajectoire, mais changeront ensuite de cap pour se diriger sur leur cible programmée peu de temps avant l’impact. 

Pour offrir une protection efficace, le système de défense devrait donc intercepter tous les missiles entrants, une tâche presque impossible si l’ennemi recourt à l’essaimage et combine des missiles « passifs » avec des missiles « intelligents ». Les méthodes d’interception « en douceur » telles que le brouillage ou le piratage GPS peuvent affecter quelque peu les systèmes de précision, mais elles ne sont pas encore éprouvées et sont également peu susceptibles d’être efficaces contre les attaques en essaims.

De plus, le système israélien « Fronde de David », conçu pour intercepter des missiles de courte portée tels que le Zelzal-2, n’est devenu opérationnel qu’en 2017, et, la seule fois où il a été activé jusqu’à présent, il n’a pas été aussi performant que prévu.

Éviter la confrontation

Puisque la plupart des infrastructures essentielles d’Israël sont concentrées dans une petite zone centrale, seules quelques frappes peuvent être suffisantes pour paralyser le pays. C’est précisément le scénario que le Hezbollah a souligné pendant des années dans son message public pour rejeter la rhétorique de plus en plus menaçante d’Israël. 

Les sources du Hezbollah acceptent en principe qu’Israël ait la capacité d’infliger d’énormes dégâts au Liban. Mais ils écartent la probabilité d’une attaque totale, voire d’une escalade grave, affirmant que Tel Aviv en est dissuadé par les dommages que le Hezbollah causerait en réaction.

L’échange limité de tirs à la frontière sud qui a suivi l’attaque de drone du 25 août semble indiquer qu’en fait, les deux parties sont toujours en mesure d’éviter une confrontation.

Des soldats israéliens patrouillent dans la zone frontalière israélo-libanaise, le 2 septembre (AFP)

Pourtant, le Hezbollah et Israël ne s’affrontent pas de manière isolée : ils sont de part et d’autre du conflit régional entre les États-Unis et leurs partenaires régionaux d’un côté, et l’Iran et ses alliés – l’axe de la résistance – de l’autre. Avec l’aggravation du conflit régional ces derniers mois, qui a culminé avec les attaques du 14 septembre contre des installations pétrolières saoudiennes, la température en Méditerranée orientale est également en hausse. 

Le Hezbollah et Israël ne s’affrontent pas de manière isolée

Le Hezbollah n’a laissé aucun doute sur le fait que le mouvement se considère comme faisant partie de cette confrontation plus générale.

Selon son secrétaire général Hassan Nasrallah, qui a récemment prêté allégeance au guide suprême iranien Ali Khamenei, « faire la guerre à l’Iran, c’est faire la guerre à tout l’axe de la résistance. Faire la guerre à la République islamique mettra le feu à toute la région. » 

Des sources proches du parti ont publiquement indiqué que si une attaque contre l’Iran devait menacer la survie de la République islamique, le Hezbollah se rallierait aux côtés de Téhéran. Dans les cercles fermés, ces sources expriment leur conviction qu’une attaque du Hezbollah contre Israël lui infligeant de graves dommages obligerait les États-Unis à annuler toute campagne en cours contre l’Iran. 

« Stratégie de la Corée du Nord »

Certains analystes ont comparé la stratégie iranienne à celle de la Corée du Nord, qui protège sans doute son programme nucléaire contre les frappes américaines en tenant Séoul, capitale de la Corée du Sud qui abrite quelque 150 000 citoyens américains, en otage de son artillerie conventionnelle perfectionnée et de son arsenal de missiles.

Selon cette « stratégie nord-coréenne », la capacité de l’Iran à infliger de graves dommages aux alliés des États-Unis – soit directement, soit par l’intermédiaire de groupes tels que les Unités de mobilisation populaire irakiennes, les Houthis au Yémen et le Hezbollah au Liban – lui donne des moyens de dissuasion significatifs contre toute action militaire des États-Unis. 

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Étant donné qu’Israël est convaincu qu’une part toujours plus grande de cette capacité de riposte et de dissuasion est en train d’être développée au Liban, la stratégie précédente consistant à attaquer les lignes d’approvisionnement du Hezbollah à travers la Syrie ne semble plus suffisante. Pour perturber efficacement la production, les opérations devront être lancées contre des cibles au Liban lui-même. 

Pourtant, contrairement à la Syrie, où Israël peut frapper avec relativement peu de risques grâce à ses bonnes relations avec la Russie, de telles attaques au Liban peuvent déclencher une escalade que Tel Aviv préférerait éviter. Depuis la fin de la guerre de 2006, Nasrallah a promis à plusieurs reprises que toute attaque israélienne contre le Liban répondrait à une réaction « appropriée ». 

On peut fait valoir que de telles menaces ont contribué à convaincre Israël de rester dans l’attente, alors même que le Hezbollah reconstruisait et augmentait considérablement sa force militaire. Mais ils ont aussi placé le parti dans une impasse, l’obligeant à riposter si Israël attaque effectivement, même si cela comporte un risque d’escalade.

Il faut donc s’attendre à plus de représailles, car Israël va sonder différentes façons de perturber le programme de fabrication présumé du Hezbollah en dessous du seuil de la guerre pure et simple. 

Jeu de la poule mouillée

Pourtant, le recours aux représailles avec des missiles et des drones n’est pas une science exacte aux résultats prévisibles. Il est beaucoup plus proche d’un jeu de la poule mouillée, dans lequel celui qui cligne des yeux le premier perd la face, et les deux s’affrontent dans une guerre qu’ils prétendent ne pas rechercher si aucun ne cligne des yeux. 

Et même les réactions les mieux calibrées conservent un élément d’imprévisibilité. Si l’opération du Hezbollah du 1er septembre avait réussi à tuer les passagers du véhicule militaire attaqué, une ferme réaction israélienne aurait pu s’ensuivre, poursuivant l’escalade. 

Les acteurs extérieurs ayant des liens directs avec les deux parties, la Russie en particulier, doivent rester en état d’alerte pour intervenir une fois que les choses commencent à échapper à tout contrôle

Les choses peuvent aussi facilement mal tourner par erreur technique. Par exemple, si, au cours d’une telle escalade, le Hezbollah attaquait des installations militaires plus profondément à l’intérieur d’Israël avec des essaims de missiles, et qu’un seul projectile devait dévier de sa trajectoire et frapper une école à la place, tous les paris seraient annulés, et une contre-attaque israélienne massive presque certaine.

Après treize années de maintien du statu quo, Israël et le Hezbollah négocient actuellement de nouvelles règles d’engagement en s’asticotant, une attitude dangereuse où une grave erreur peut suffire à faire basculer les deux dans la destruction mutuelle, quoique inégale. 

Les acteurs extérieurs ayant des liens directs avec les deux parties, la Russie en particulier, doivent rester en état d’alerte pour intervenir une fois que les choses commencent à échapper à tout contrôle. Toutefois, pour que la situation à la frontière israélo-libanaise s’éloigne des scénarios les plus dangereux, il faudrait très certainement que le contexte régional change.

Pour Israël, la perspective que le centre névralgique de son économie et de son infrastructure se retrouve à la merci de ce qui sont en fait des missiles iraniens restera inacceptable.

La politique de « pression maximale » de Washington et le comportement agressif qu’elle engendre en Iran ajoutent à l’urgence d’agir sur cette menace. Inversement, une réduction des tensions régionales pourrait permettre aux deux parties d’abandonner discrètement leur comportement à haut risque, et de revenir au statu quo de la dissuasion mutuelle qui a préservé la tranquillité de la frontière entre Israël et le Liban depuis plus longtemps qu’elle ne l’a jamais été en un demi-siècle.

- Heiko Wimmen supervise le projet Irak/Syrie/Liban au sein de l’International Crisis Group. Avant de rejoindre ICG, il a travaillé comme chercheur associé au Deutsche Institut für Internationale Politik und Sicherheit de Berlin. Il vit dans la région depuis 1994, principalement à Beyrouth où il demeure actuellement.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.  

Heiko Wimmen oversees the Iraq/Syria/Lebanon project at International Crisis Group. Prior to joining Crisis Group, he was an associate researcher at the German Institute for International and Security Affairs in Berlin. He has lived in the region since 1994, mostly in Beirut where he currently resides.
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