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Crise judiciaire : Israël va-t-il entrer en guerre pour sauver son armée ?

Dans les jours à venir, nous pouvons nous attendre à une double agression israélienne visant à cibler la présence palestinienne et à affirmer une domination régionale
Un soldat israélien pointe son fusil vers des manifestants palestiniens, le 26 janvier 2023 près de la colonie juive de Beit El, en Cisjordanie occupée (AFP)
Un soldat israélien pointe son fusil vers des manifestants palestiniens, le 26 janvier 2023 près de la colonie juive de Beit El, en Cisjordanie occupée (AFP)

Si les États-Unis ne semblent pas préoccupés par une guerre généralisée au Moyen-Orient, ils n’en restent pas moins déterminés à disposer d’une force militaire hautement préparée : l’armée israélienne, élément à part entière des intérêts géopolitiques majeurs de Washington dans la région.

D’un point de vue pragmatique, l’idée d’une armée « préparée » implique une capacité claire, tangible et authentique à gérer et à contrôler habilement un conflit et à remporter la victoire avec un minimum de pertes tout en préservant les intérêts américains, notamment la protection des troupes américaines dans la région le cas échéant.

En Israël, le déclin actuel de l’état de préparation de l’armée engendre une incapacité à s’engager dans des actions militaires et un manque de vision pour planifier des guerres

Il y a cependant de sérieuses raisons de douter de l’existence de ce paramètre à l’heure actuelle. Israël est déchiré par des divisions internes, caractérisées par des clivages de plus en plus profonds, qui se traduisent par un refus national de se soumettre au service de réserve, par un affaiblissement de l’armée et de l’ensemble du système dirigeant, ainsi que par les risques potentiels liés à une domination fasciste.

En Israël, le déclin actuel de l’état de préparation de l’armée engendre une incapacité à s’engager dans des actions militaires et un manque de vision pour planifier des guerres de manière stratégique ou même pour lancer des opérations d’envergure limitée.

Bien que cela ne touche pas directement la capacité de l’armée à faire face à un conflit immédiat, cela pourrait néanmoins avoir un impact crucial en démoralisant la population et le personnel militaire, ce qui pourrait avoir de graves conséquences.

Certains en Israël considèrent même que la crise politique interne traversée par le pays représente une plus grande menace que l’Iran.

Un profond sentiment de fragilité sociale

La période difficile et chaotique que traverse l’armée israélienne va bien au-delà d’un simple dilemme tactique. La crise politique a fait naître un profond sentiment de fragilité sociale et une relation politique fracturée avec l’État.

Cette situation a fait dérailler le système dirigeant, le privant de tout semblant de lucidité et suscitant des inquiétudes quant à sa capacité à gouverner efficacement les affaires de l’État – en particulier lorsqu’il agit de manière immorale, sans consensus populaire.

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La fragmentation au sein de l’armée israélienne est exacerbée par l’incapacité du ministre de la Défense à préserver les intérêts de l’armée, ce qui l’expose à des conflits politiques prolongés.

Pire encore, l’armée doit à présent faire face au choix difficile de donner la priorité à la loyauté envers les principes du droit plutôt qu’à l’allégeance envers le dirigeant. En fin de compte, une telle situation donne lieu à un état de désintégration qui ne cesse de s’étendre.

Compte tenu des réalités israéliennes sur le terrain, ces conflits présentent des défis exponentiels. Même si un véritable accord collectif visant à résoudre le conflit entre les partis d’extrême droite au pouvoir et l’establishment militaire et du renseignement était possible, à ce stade, ni des déclarations politiques ni un consensus interne ne pourraient résoudre efficacement cette crise de grande ampleur.

En revanche, selon les perceptions internes, le pays a un besoin urgent d’une opération militaire limitée qui donnerait à l’armée l’occasion de retrouver un semblant de force, même si elle est finalement revendiquée comme une victoire par le camp adverse. 

Par exemple, l’administration israélienne dirigée par le Premier ministre Ehud Olmert pendant la guerre du Liban en 2006 pensait avoir réussi à restaurer son pouvoir sur la frontière nord d’Israël, tout en manquant de reconnaître l’établissement ultérieur d’une dissuasion mutuelle avec le Hezbollah.

Le lien entre la réforme judiciaire du gouvernement de coalition – qui vise à empêcher tout contrôle des accords qui ont entraîné la création de l’administration israélienne la plus à droite de l’histoire – et les ambitions plus larges du gouvernement mérite d’être examiné, en particulier depuis la redistribution des pouvoirs ministériels.

Parmi ces évolutions spectaculaires et notables figure la nomination du ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui s’est vu confier la tâche de superviser la légitimation, l’établissement et l’expansion des avant-postes coloniaux illégaux dans les territoires palestiniens occupés, dans le but de remodeler à terme le statu quo juridique en Cisjordanie occupée.

Parallèlement, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, s’est vu confier des pouvoirs étendus pour réprimer les Palestiniens. Ce dernier dirige une campagne incessante d’attaques racistes contre la population palestinienne, tandis que le gouvernement poursuit une politique de judaïsation de certaines parties de la Cisjordanie occupée, du Néguev (Naqab) et de la Galilée. Ce programme réside au cœur du pouvoir religieux sioniste en Israël.

Il faut donc se préparer à ce que la période à venir débouche sur une double agression israélienne. Tout d’abord, cette agression se déploiera contre la population palestinienne, avec notamment de nouveaux projets d’annexion de terres, dans l’objectif ultime de modifier l’identité démographique des territoires occupés. 

La coalition au pouvoir cherche à consolider et à maintenir son pouvoir en privant les partis et les communautés arabes de toute participation à la Knesset

Deuxièmement, Israël s’efforcera de rétablir sa présence à sa frontière nord, ce qui pourrait engendrer à une escalade plus vaste dans la région.

La coalition au pouvoir cherche à consolider et à maintenir son pouvoir en privant les partis et les communautés arabes de toute participation à la Knesset, dans le seul but de tirer parti des pouvoirs constitutionnels dévolus au gouvernement, au détriment du contrôle de la Cour suprême.

La société israélienne, dont une grande partie est désespérée, est en train de basculer dans un esprit de colère publique, tandis que certains envisagent d’émigrer et de se dissocier de l’État sioniste.

Une question demeure : l’administration Biden aux États-Unis réévaluera-t-elle ses relations avec le gouvernement de Netanyahou et protégera-t-elle la population palestinienne et arabe des risques imminents qui ressortent de plus en plus de l’issue du vote du 24 juillet ? 

S’il peut sembler s’agir d’une question interne à Israël, l’objectif est en fin de compte d’exploiter la lutte des Palestiniens pour la liberté.

Ameer Makhoul est un activiste palestinien de premier plan et journaliste au sein de la communauté des Palestiniens de 1948 (citoyens d’Israël). Il a dirigé Ittijah, une ONG palestinienne en Israël. Il a été emprisonné par Israël pendant dix ans.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ameer Makhoul is a leading Palestinian activist and writer in the 48 Palestinians community. He is the former director of Ittijah, a Palestinian NGO in Israel. He was detained by Israel for ten years.
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