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Le mouvement réformiste iranien perd en pertinence

Ces dernières années, les réformistes se sont éloignés de leurs idéaux originaux et se sont laissé aller à une certaine tendance au statu quo
Les partisans du président iranien Hassan Rohani tiennent des ballons violets et verts – couleurs qui symbolisent respectivement son mouvement et celui des réformistes, lors d’un rassemblement à Zanjan en 2017 (AFP)

En Iran, le camp réformiste est en pleine crise profonde de pertinence et de légitimité. De nombreux partisans qui croyaient jadis en ses promesses de « démocratie religieuse » et qui faisaient campagne pour les politiciens réformistes aux élections, semblent avoir perdu confiance dans la capacité du mouvement à tenir ses promesses.

Le déclin rapide de l’adhésion du projet réformiste a des implications tectoniques sur les perspectives de l’Iran dans les domaines de la politique intérieure et extérieure, en partie parce que le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, prend de l’âge (il a 79 ans) et que les préparatifs pour sa succession aux plus hautes fonctions de la République islamique suivent leur cours. 

La disparition du réformisme signifie également une plus grande homogénéisation de la politique iranienne en faveur des radicaux et des conservateurs. Cela risquerait de priver les institutions démocratiques de gouvernement ou la composante « républicaine » de l’État – telles que les élections périodiques que les réformistes ont toujours promues – de leur substance et de leur signification.

Popularité déclinante

« Pensez-vous que les gens vont… participer aux prochaines élections ? », a ostensiblement demandé l’ancien président Mohammad Khatami, généralement considéré comme le chef spirituel du mouvement réformiste, le 6 mars lors d’une rare réunion avec un groupe de parlementaires réformistes. « Je pense que c’est peu probable, à moins que nous ne constations une évolution au cours de l’année. » 

Les prochaines élections législatives iraniennes sont prévues pour le printemps 2020.

La chute brutale de popularité des réformistes n’est pas simplement due aux efforts implacables de leurs rivaux radicaux plus puissants – lesquels contrôlent principalement les institutions non élues de l’État, telles que les fonctions de guide suprême, les Gardiens de la révolution, le pouvoir judiciaire et le Conseil des gardiens – pour annihiler les projets axés sur la réforme. Elle s’explique principalement par la performance mitigée et hypocrite des réformistes eux-mêmes.

Le camp réformiste est comme un « magasin avec une jolie devanture mais vide à l’intérieur, hormis des slogans »

Alors que le camp des réformistes critique généralement ses adversaires « conservateurs » pour leur rôle prépondérant dans la corruption systématique et la mauvaise gestion économique, un certain nombre de personnalités réformistes sont directement impliquées dans des affaires de détournement de fonds, de rentiérisme et de népotisme à grande échelle, ou y sont étroitement associées.  

Le dernier exemple en date, une affaire impliquant 6,6 milliards d’euros, surnommée localement « la plus grande arnaque de l’histoire iranienne », a attiré l’attention sur Marjan Sheihkholeslam al-Agha, un journaliste réformiste et conservateur qui s’était présenté aux élections législatives au nom du parti le plus influent en faveur de la réforme, le « Front de participation à l’Iran islamique ». Ce parti a été suspendu puis interdit en 2010, à la suite des manifestations du « mouvement vert » de juin 2009.

Parmi les autres personnalités favorables à la réforme impliquées dans d’importantes affaires d’arnaque et de comportement immoral figurent le frère du président Hassan Rohani ; Mehdi Jahangirifrère cadet du premier vice-président Eshaq Jahangiri ; et Shabnam Nematzadehfille de l’ancien ministre de l’Industrie, entre autres. 

« Hypocrisie et arrogance »            

Le camp réformiste est comme un « magasin avec une jolie devanture mais vide à l’intérieur, hormis des slogans », a déclaré un journaliste basé à Téhéran dans une interview, sous couvert d’anonymat. « De nombreuses personnalités réformistes se sont transformées en négociants et en spéculateurs. L’hypocrisie et l’arrogance sont parmi les pires traits des réformistes. »

Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, accueille une foule à Téhéran (Document/khamenei.ir/AFP)

Pourtant, la disgrâce des réformistes semble être plus enracinée dans la politique que dans l’économie. 

Après la répression brutale du mouvement vert en 2009, qui a abouti à la marginalisation des réformistes, de nombreux groupes pro-réformes ont tenté de resserrer progressivement les rangs avec leurs ennemis traditionnels, dans le but de reprendre le pouvoir et regagner en influence dans la politique étatique. Les réformistes ont altéré leur identité d’origine en tant que force d’opposition légitime et se sont laissé aller à davantage de statu quo pour rester pertinents sur le plan politique. 

Stratégie d’arrangement

Les premiers signes de la nouvelle stratégie d’arrangement sont apparus lorsque les réformistes ont soutenu un certain nombre de candidats notoirement conservateurs, tels que Mohammad Emami-Kashani, qui dirigeait la prière du vendredi à Téhéran, et Mohammad Reyshahri, ancien ministre du Renseignement, aux élections à l’Assemblée des experts en 2016.

Pendant ce temps, les réformistes et leurs alliés « centristes » n’ont pas fait grand-chose pour obtenir la libération des dirigeants du mouvement vert Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi qui étaient assignés à résidence.   

À la fin de l’année 2017, l’arrangement avec les radicaux avait pratiquement cédé la place à l’apaisement. Le moment de vérité est survenu lorsque des manifestations populaires contre les mauvaises conditions de vie ont éclaté à travers le pays début 2018. Un des slogans scandés par les manifestants contre l’austérité était « réformiste, conservateur, le jeu est terminé », soulignant l’ampleur de la frustration et de la fureur contre l’élite dirigeante, quelles que soient leurs tendances politiques. 

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Très controversés, la plupart des politiciens pro-réformes, y compris l’ancien président Khatami, ont condamné ces manifestations généralisées, les qualifiant de complot subversif élaboré par les ennemis étrangers de l’Iran et par des groupes contre le régime désireux de renverser la République islamique.

Certaines personnalités réformistes sont en désaccord avec cette représentation des événements. « Les réformistes n’ont pas pris position contre les manifestations de janvier 2018. C’est une image erronée dépeinte par les médias hostiles au régime », a déclaré Emad Bahavar, chef de la section jeunesse du Mouvement de libération de l’Iran, en faveur de la réforme, dans une interview à MEE.

Bahavar a été arrêté en 2009 dans le cadre de la répression des manifestations du mouvement vert par l’État et libéré après cinq ans d’emprisonnement.

« Certains réformistes se sont opposés aux efforts des groupes radicaux et subversifs visant à tirer parti des problèmes économiques des populations et à orienter [leurs griefs] vers des émeutes violentes et aveugles, dans le but ultime de renverser le régime », a déclaré Bahavar.

Tensions croissantes

Néanmoins, le rejet des « manifestations contre l’austérité » a été largement perçu comme une tentative politique de la part des réformistes de démontrer leur loyauté envers l’État et de gagner l’approbation du gouvernement radical. Ce faisant, les réformistes ont pris leurs distances par rapport à leur base de soutien traditionnelle parmi la classe moyenne et la classe ouvrière, perdant ainsi une source essentielle d’influence contre les radicaux. 

« Les réformistes ont traité les manifestations populaires de janvier 2018 de manière malhonnête et instrumentale, car ils pensaient à tort que les rassemblements avaient été organisés par les radicaux [pour faire tomber le gouvernement Rohani] ou des groupes contre le régime tels que l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (MeK) et les monarchistes », a déclaré à MEE Abdollah Momeni, figure réformiste et ancien prisonnier politique. 

La politique étatique en Iran a basculé à droite, en partie à cause de la perte de pertinence et de légitimité des réformistes

« Ce traitement sans scrupules et contre toute réforme a donné l’impression que les réformistes essayaient, avec les conservateurs, de consolider l’autoritarisme. Cela leur a coûté leur crédibilité dans la société. »

Entre-temps, les tensions croissantes avec les États-Unis et leurs alliés régionaux n’ont pas aidé. Le retrait du gouvernement Trump de l’accord sur le nucléaire en mai dernier et la réimposition de sanctions contre Téhéran ont compromis le « projet de modération » du gouvernement Rohani sur le plan national.

Face à la pression internationale croissante exercée sur l’Iran et à la polarisation croissante de son débat de politique étrangère, les radicaux se sont approprié le discours nationaliste, obligeant leurs opposants réformistes à adopter des positions similaires afin de ne pas paraître publiquement mous, faibles, ou pire encore, antipatriotiques.  

« Rejetés par l’État »

Il ne fait aucun doute que, ces dernières années, la politique étatique en Iran a basculé à droite, en partie à cause de la perte de pertinence et de légitimité des réformistes. 

À la fin de l’année dernière, Khamenei a nommé Sadeq Amoli Larijani, homme politique radical et ancien chef du pouvoir judiciaire, président du Conseil de discernement, un organe chargé de résoudre les impasses et les différends entre le Parlement et le Conseil des gardiens de la constitution.

Pour consolider davantage l’emprise de son camp politique favori sur les institutions étatiques, Khamenei a nommé le 7 mars le religieux conservateur Ebrahim Raisi en tant que nouveau chef du pouvoir judiciaire, malgré – ou peut-être à cause de – son rôle notoire dans la supervision de l’exécution massive de prisonniers politiques dans les années 1980.

« Cela montre le penchant [persistant] de l’État pour les forces radicales et contre-réformistes », a noté Momeni. « En d’autres termes, les réformistes ont fini par être les principaux perdants, rejetés par l’État et repoussés par la société. »

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Maysam Behravesh is a PhD candidate in political science at Lund University, Sweden. He has worked as an intelligence analyst and policy advisor in Iran (2008-2010), and is now a political analyst at US-based Persis Media and Gulf State Analytics.
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