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Grand barrage de la Renaissance : Sissi peut-il se permettre une intervention militaire ?

Les répercussions négatives du Grand barrage de la Renaissance sur l’Égypte pourraient inciter Sissi à adopter une posture plus dure. Mais cela poserait beaucoup de problèmes
Image satellite du 21 juillet 2020 montrant l’état du Grand barrage de la renaissance au niveau de la jonction avec le Nil Bleu, au nord-ouest de l’Éthiopie, le 11 juillet 2020 (AFP/Maxar Technologies)
Image satellite du 21 juillet 2020 montrant l’état du Grand barrage de la renaissance au niveau de la jonction avec le Nil Bleu, au nord-ouest de l’Éthiopie, le 11 juillet 2020 (AFP/Maxar Technologies)

Chaque État prend des décisions de hard power (par exemple, la force militaire) et de soft power (par exemple, la diplomatie) afin de protéger ses propres intérêts, maximiser ses bénéfices et minimiser les dommages.

Pour l’Égypte, le principal objectif des négociations avec l’Éthiopie portant sur le Grand barrage de la Renaissance est de préserver sa part des eaux du Nil.

Mais le sujet ne se résume pas au barrage de la Renaissance. Le véritable problème réside dans l’éventuelle construction de futurs barrages susceptibles d’affecter directement l’Égypte.

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Si ce barrage est construit sans accord légal et contraignant, cela pourrait encourager d’autres pays du bassin du Nil à construire leurs propres barrages à l’avenir.

La prolifération d’autres bases de l’armée dans la région complique également les choses. 

Djibouti est considéré comme l’un des sites les plus importants de la Corne de l’Afrique, 80 % des échanges avec l’Éthiopie y transitent et il abrite des bases militaires américaine, française, italienne, chinoise, japonaise et saoudienne.

Cela limite l’efficacité des menaces de la marine égyptienne contre l’Éthiopie, qui ne possède pas de côte et dont les frontières au nord et à l’ouest se caractérisent par un terrain accidenté, lequel complique toute perspective d’opération terrestre.

Pour l’Égypte, l’option militaire contre le projet de barrage s’accompagnerait de défis politiques, sécuritaires et sociaux.

L’Égypte cherche à s’implanter à Djibouti, en Érythrée, en Somalie, mais n’a pas su établir de base militaire ou déployer des troupes dans la région.

Le Soudan, un pays à ne pas perturber

Malgré sa participation à la guerre au Yémen menée par les Saoudiens, le rôle de l’Égypte est limité et sans effets.

Le conflit au Sinaï, qui s’est intensifié en 2013 et n’a pas cessé depuis, présente un défi de plus pour l’Égypte, faisant du Soudan peut être une option plus réalisable de résistance militaire contre le projet du barrage de la Renaissance.

L’Éthiopie pourrait faire pression sur le mouvement civil soudanais et les rebelles armés pour qu’ils adoptent des positions hostiles à l’Égypte ou restent neutre

La situation interne du Soudan est très complexe, le pays s’est engagé dans une phase de transition après la chute de l’ancien président Omar el-Béchir.

De nombreux acteurs manœuvrent pour exercer une influence, notamment l’armée, les Forces de soutien rapide (RSF), les forces Liberté et Changement (mouvement civil), des groupes islamistes et des groupes rebelles à la périphérie, y compris l’armée de libération du Soudan. 

Cette profusion d’acteurs et le manque de cohérence entre eux rend difficile toute vision unificatrice pour le pays : les idées divergent quant à la façon de gérer sa phase de transition et différents cadres idéologiques et affiliations tribales/ethniques s’opposent. Il existe une lutte de pouvoir interne, chaque acteur souhaite garantir sa propre longévité, tout en contrecarrant les autres. 

Si les relations entre l’Égypte et le Soudan sont relativement bonnes, ils doivent travailler à maintenir l’équilibre entre les autres acteurs, en particulier parce que l’Éthiopie entretient de bonnes relations avec le mouvement civil soudanais et les rebelles armés ; elle pourrait alors faire pression sur eux pour qu’ils adoptent des positions hostiles à l’Égypte ou restent neutre.

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Une frappe militaire sur le barrage pourrait provoquer des inondations dans les villes et villages soudanais près de la frontière avec l’Éthiopie, mettant l’administration soudanaise dans l’embarras et en position de faiblesse.

Cela pourrait les décourager de prendre un tel risque. 

Malgré les récents progrès de l’Égypte dans le renforcement de ses relations avec le Soudan, notamment par des exercices militaires conjoints baptisés Gardiens du Nil – qui portent un message clair à l’Éthiopie : la force militaire est possible –, le Caire n’a pas pris les mesures nécessaires sur le plan national, notamment pour obtenir l’autorisation de la Chambre des représentants afin d’envoyer l’armée à l’étranger. Cela contraste avec les mesures adoptées par l’Égypte pour faire étalage de sa force vis-à-vis de la Libye.

Cela faisait suite aux déclarations du président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi sur les « lignes rouges » en Libye. S’il a formulé des remarques similaires sur le différend concernant le barrage de la Renaissance, elles n’ont pas été suivies d’actions concrètes, peut-être en raison de pressions internationales.

Pénurie d’eau

Partir en guerre engendrerait de nombreuses complications, contrariant potentiellement les tentatives de l’Égypte de construire de bonnes relations avec les autres pays africains, en particulier ceux du bassin du Nil.

Les principaux défis allant de la géographie éthiopienne aux troubles politiques au Soudan, en passant par la multiplication des bases militaires étrangères à travers la région, l’Égypte s’engagerait dans une voie difficile si elle décidait de partir en guerre.

Toutefois, si une frappe imminente contre le barrage de la Renaissance semble improbable, la magnitude des répercussions négatives du projet sur l’Égypte, en particulier en termes de pénurie d’eau, pourrait en fin de compte inciter le régime à adopter une posture plus dure.

Cependant, une confrontation avec l’Éthiopie n’engendrerait pas forcément une spirale vers une guerre à part entière. Il s’agirait plutôt d’un engagement limité dans le but d’entrer dans de vraies négociations sous les auspices internationaux.

- Shady Ibrahim est chercheur associé au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA) de l’université İstanbul Sabahattin Zaim. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @shadyibrahim90.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shady Ibrahim is a research associate at the Centre for Islam and Global Affairs (CIGA), Istanbul Sabahattin Zaim University. He tweets @shadyibrahim90
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