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Les Émirats arabes unis se servent d’al-Aqsa pour vendre la normalisation avec Israël 

Les tentatives visant à accroître le nombre de fidèles émiratis visitant la mosquée ont suscité une vive réaction des Palestiniens
Un policier israélien garde l’entrée du complexe d’al-Aqsa à Jérusalem, le 18 octobre (AFP)
Un policier israélien garde l’entrée du complexe d’al-Aqsa à Jérusalem, le 18 octobre (AFP)

Le récent accord de normalisation entre les Émirats arabes unis (EAU) et Israël alimente les tensions autour de la mosquée al-Aqsa, qui était déjà une poudrière.

Cet accord prévoit d’accroître le nombre de fidèles émiratis à la mosquée, suscitant une vive réaction de la part des Palestiniens, qui ont chassé des visiteurs émiratis d’al-Aqsa le mois dernier.

Les droits des Palestiniens, des Arabes et des musulmans d’al-Aqsa sont bafoués sur fond de battage médiatique concernant l’accord de normalisation. 

Le « projet de paix » américain pour Israël et la Palestine, publié plus tôt cette année, stipule que les « gens de toutes confessions » doivent pouvoir prier à al-Aqsa, remettant en cause le statu quo qui réserve la prière sur le site aux musulmans.

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La décision des EAU de normaliser leurs relations avec Israël via un accord soutenu par les Américains a suscité le rejet des Palestiniens.

D’immenses posters ont été suspendus à al-Aqsa avec le slogan « Mohammed ben Zayed est un traître », en référence au prince héritier d’Abou Dabi. Son portrait a été incendié et le grand mufti de Jérusalem a lancé une fatwa interdisant aux musulmans de prier à al-Aqsa dans le cadre de l’accord entre Israël et les EAU.

Le conseiller du président, Jared Kushner, encourage les musulmans des États arabes du Golfe à affluer à al-Aqsa, notant que ces visiteurs pourraient constater par eux-mêmes que la mosquée n’est pas « en danger », comme l’allèguent les Palestiniens.

Les dirigeants israéliens et américains auraient évoqué un objectif de deux millions de visiteurs musulmans en Israël chaque année, dont la plupart visiteraient al-Aqsa sous la bannière de la « paix religieuse ». En 2018, il n’y avait que 98 000 touristes musulmans à Jérusalem.

« L’accord israélo-émirati suscite des inquiétudes et des craintes au sein du Waqf [biens religieux] jordanien et chez les Palestiniens, car il vise à accorder aux Émirats arabes unis un nouveau rôle au sein d’al-Aqsa », explique à Middle East Eye Khaled Abu Arafa, ancien ministre palestinien chargé des Affaires de Jérusalem.

Ministres et délégations arabes

« L’occupation [israélienne] voudra prendre des mesures de sécurité pour protéger ses touristes en construisant de nouvelles routes, en bloquant des rues et en limitant l’itinéraire des futurs touristes émiratis via des guides touristiques juifs, qui vont diffuser leur discours à propos d’al-Aqsa et d’al-Qods. »

Ces dernières années, Israël a reçu un certain nombre de ministres arabes des Affaires étrangères qui ont visité la mosquée al-Aqsa, notamment le Marocain Nasser Bourita et l’Omanais Youssef al-Alawi Abdullah en 2018. Une délégation koweïtienne s’y est rendu l’année dernière. 

Des manifestants palestiniens se préparent à déchirer un portrait du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed au complexe d’al-Aqsa, le 14 août (AFP)
Des manifestants palestiniens se préparent à déchirer un portrait du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed au complexe d’al-Aqsa, le 14 août (AFP)

Les Hiérosolymitains palestiniens n’ont pas oublié ce qui s’est passé il y a un an, lorsqu’ils ont chassé le blogueur saoudien Mohammed Saoud de l’esplanade d’al-Aqsa et lui ont jeté des chaises.

Il n’était pas le premier à recevoir un tel accueil : en 2003, l’ancien ministre des Affaires étrangères égyptien Ahmed Maher a été agressé et qualifié de « traître » et de « collabo ».

Ahmed Abu Halabiya, directeur de la commission hiérosolymitaine au sein du Conseil législatif palestinien, indique à MEE que « le projet israélien est l’affirmation de la normalisation totale entre Israël et les Émirats sous l’égide de la prière à la mosquée al-Aqsa ».  

Malgré cet accord, les Hiérosolymitains ne laisseront pas les Émiratis et autres s’en prendre au caractère sacré d’al-Aqsa en utilisant la prière pour légitimer leur accord sans valeur avec Israël. » 

Il est devenu clair que l’ensemble des dirigeants arabes qui se rendent à la mosquée al-Aqsa s’y rendront sous les auspices de l’État occupant.

« Si des fidèles émiratis venaient prier à al-Aqsa, ils prieraient seulement dans des espaces clos, craignant la réaction palestinienne »

- Khalil Tufakji, spécialiste de la cartographie politique 

Selon un récent rapport de l’ONG Terrestrial Jerusalem, l’accord américano-israélo-émirati signale « une rupture radicale avec le statu quo, [avec] des ramifications étendues et potentiellement explosives ». 

Le communiqué commun des trois pays publié en août stipulait que « tous les musulmans qui viennent en paix peuvent visiter et prier à la mosquée al-Aqsa, et les autres lieux saints de Jérusalem doivent rester ouverts aux fidèles pacifiques de toutes les confessions ».

Cette clause pourrait être la plus dangereuse de cet accord car elle induit un changement significatif dans le statu quo de la ville sainte – au profit d’Israël.

Le rapport de Terrestrial Jerusalem conclut qu’en ne faisant référence qu’à la mosquée d’al-Aqsa – et non à l’ensemble du complexe de Haram al-Sharif –, ce communiqué suggère que, « selon Israël (et apparemment les États-Unis), tout ce qui se trouve sur le Mont et n’appartient pas à la structure de la mosquée est défini comme « l’un des autres lieux saints de Jérusalem » et est ouvert à la prière pour tous, y compris les juifs.

« Ainsi, les juifs pourraient désormais prier sur le Mont du Temple, pas uniquement à la mosquée », est-il précisé.

Khalil Tufakji, spécialiste de la cartographie politique vivant à Jérusalem, confie à MEE que, selon lui, « l’approche émiratie à l’égard de Jérusalem a été précédée par un plan saoudien de communication avec des personnalités à Jérusalem pour avoir un pied dans la ville, mais les Palestiniens ont rejeté leurs initiatives. Si des fidèles émiratis venaient prier à al-Aqsa, ils prieraient seulement dans des espaces clos, craignant la réaction palestinienne. »

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Avec cet objectif d’amener deux millions de musulmans à al-Aqsa, le ministre israélien des Affaires hiérosolymitaines, le rabbin Rafi Peretz, a annoncé un plan pour amener des milliers de touristes venant des Émirats à Jérusalem pour prier et séjourner dans ses hôtels. Tout cela est effectué dans un effort pour cimenter le statut de Jérusalem en tant que « capitale d’Israël ».

Machine de propagande

Selon certains analystes palestiniens, le projet des EAU d’amener des fidèles à la mosquée pourrait échouer : les Émiratis pourraient venir en petit nombre, et la plupart sont davantage susceptibles de visiter Tel Aviv à des fins touristiques et de loisirs.

L’approche israélo-émiratie a également suscité des craintes chez les autorités du Waqf qui gèrent la mosquée, qui craignent que les rôles de la Jordanie et de la Palestine soient marginalisés.

La machine de propagande émiratie, dans le contexte de la promotion de la normalisation avec Israël, prétend que cet accord accroît la liberté d’accès des musulmans à la mosquée al-Aqsa, comme si ces visites étaient synonymes de liberté de l’occupation israélienne. 

Les EAU sont déjà parvenus à un accord avec la municipalité de Jérusalem pour la construction d’une zone industrielle technologique dans le quartier de Wadi al-Joz à Jérusalem-Est occupée, pour un coût estimé de 2 milliards de shekels (600 millions de dollars). 

Jamal Amro, professeur spécialiste des affaires de Jérusalem, affirme à MEE que « des Hiérosolymitains palestiniens sont impliqués dans le projet, lesquels se considèrent comme des envoyés des Émirats dans l’arène palestinienne. Ils lavent le cerveau des Hiérosolymitains pour les convaincre de s’impliquer dans ces projets. » 

- Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias à l’Université Umma de Gaza. Il donne des conférences sur l’histoire de la cause palestinienne, la sécurité nationale et les études israéliennes. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Palestine et le conflit israélo-arabe.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Adnan Abu Amer is the head of the political science and media department of Umma University in Gaza. He lectures on the history of the Palestinian cause, national security and Israeli studies. He holds a doctorate in political history from Damascus University and has published several books on the contemporary history of Palestine and the Arab-Israeli conflict.
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