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Les Palestiniens seuls dans la bataille d’al-Aqsa

Les dirigeants arabes ont abandonné la cause palestinienne, mais la nouvelle génération est en train de reprendre le contrôle de la lutte et pourrait bien réussir là où les autres ont échoué

Chaque année commence par un optimisme illusoire. On se dit que les choses ne peuvent pas empirer pour les Palestiniens. Chaque année nous prouve que l’on a tort.

La crise qui s’est développée autour de la mosquée al-Aqsa a donné lieu à de nombreux précédents : c’est la première fois que la mosquée est fermée aux prières du vendredi depuis 1969 ; c’est la première fois depuis des siècles qu’elle est boycottée par les fidèles ; c’est la première fois que les citoyens palestiniens d’Israël et les habitants de Jérusalem sont au centre du conflit.

Mais un précédent se détache des autres : c’est la première fois dans leurs cinquante années de lutte contre l’occupation que les Palestiniens sont bel et bien seuls.

Les Palestiniens abandonnés

Jamais le fossé entre la rue arabe et ses gouvernements n’a été aussi large qu’il ne l’a été cette semaine au sujet de la Palestine.

Zakaria al-Jawadah, le père du garçon jordanien de 17 ans qui a été tué par un garde de sécurité israélien après l’avoir prétendument attaqué avec un tournevis dans les locaux de l’ambassade d’Israël à Amman, a vitupéré contre le roi Abdallah. « Nous appelons les tribus à exiger que l’homme [le garde israélien] soit puni. Nous voulons la séquence vidéo. Nous voulons savoir ce qui est arrivé à mon fils. »

Pas moins de trois ministres sont intervenus pour lui dire qu’ils ne les auront jamais. « Le tireur israélien bénéficiait une immunité diplomatique et nous ne sommes pas autorisés à enquêter, en vertu d’un accord international. Mais nous avons insisté pour écouter son témoignage », a déclaré l’un d’eux, Bashir al-Khasawna, ministre d’État jordanien en charge des Affaires juridiques.

Il était déjà trop tard. Le garde de sécurité, « Ziv », était revenu en lieu sûr dans les bras du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Le père de Mohammed al-Jawadah regarde le corps de son fils lors de son enterrement (Reuters)

Remontez vingt ans en arrière et voyez comment le père du roi Abdallah, Hussein, avait fait face à Netanyahou en 1997 lors de la tentative manquée d’assassinat du chef du Hamas, Khaled Mechaal, à Amman, par le Mossad.

Le roi de Jordanie avait menacé de déchirer le traité de paix avec Israël si Mechaal, qui était dans le coma après avoir reçu un opiacé mortel dans l’oreille, venait à mourir. Le roi avait obtenu l’antidote de la part du chef du Mossad, Danny Yatom, la libération d’Ahmed Yassine, chef spirituel du Hamas, ainsi que d’autres prisonniers palestiniens et jordaniens ultérieurement.

Imaginez simplement le scandale qu’il y aurait eu ailleurs dans le monde si la police n’avait pas eu l’autorisation d’interroger le principal suspect d’un double meurtre, et encore moins d’enquêter, parce que cette personne était un garde dans une ambassade étrangère.

C’est ce qui se passe en Jordanie, parce que le royaume a appris à exécuter les ordres de son maître. Jared Kushner, gendre et envoyé de Trump au Moyen-Orient, a téléphoné au roi Abdallah. Il y a une génération, c’était l’inverse : c’est le roi Hussein qui avait appelé Bill Clinton.

Le pays, qui brade son titre de gardien du sanctuaire sacré, a capitulé sur la question des caméras de sécurité au Haram al-Sharif il y a plus d’un an. Ce sont ces mêmes mesures qu’Israël a appliquées autour des portes d’al-Aqsa et de la vieille ville de Jérusalem en sachant pleinement que le « gardien » les lui avait déjà accordées.

Une question de souveraineté

Les Palestiniens, eux, ne les ont pas acceptées et ne le feront pas, car cette crise porte sur une question de souveraineté et non de sécurité. Tant de souveraineté palestinienne a déjà été abandonnée à Jérusalem-Est (il y a 2 000 colons dans le quartier musulman de la vieille ville, tandis que plus de 14 500 permis de résidence ont été révoqués de 1967 à 2014 ; souvenez-vous également de Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien, qui a proposé à la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni « le plus grand Yerushalayim de l’histoire ») qu’al-Aqsa est bel est bien la dernière bataille.

Pour Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne, le refus continu des responsables du waqf (fiducie religieuse musulmane) d’entrer au Haram al-Sharif, ou ce que les juifs appellent le mont du Temple, est une manne tombée du ciel. C’est l’incarnation de la protestation non-violente et, de plus, cela ne se passe pas sur son terrain en Cisjordanie, donc cela ne coûte rien aux autorités à Ramallah.

Des Palestiniens prient dans la rue à la porte des Lions, à Jérusalem (MEE/Jacob Burns)

Cela permet à Abbas de briller sans montrer de véritable leadership. « Nous vous soutenons et sommes fiers de vous et de tout ce que vous avez fait. Vous chérissez et protégez le complexe d’al-Aqsa, vous protégez vos terres, votre dignité, votre religion et les lieux saints. C’est la réaction appropriée envers quiconque s’en prend à nos sites sacrés. Jérusalem est notre capitale et notre souveraineté et ce que vous avez fait était la bonne chose. Vous vous êtes tenus debout comme un seul homme, nous vous soutenons et nous soutenons tout ce que vous faites. »

Mais en réalité, ils ne font rien. Les Saoudiens non plus. Leur but stratégique est de commercer avec Israël quoi qu’il arrive. La reconnaissance de l’État juif n’arrive pas assez vite. Le seul leader régional qui a fait des déclarations cohérentes en faveur de l’accès sans restriction à al-Aqsa a été le président turc Recep Tayyip Erdoğan. C’est là le cinquième précédent. Jamais la réaction des États arabes n’a été aussi silencieuse.

Mais l’histoire est loin d’être finie.

Les activistes du Fatah et du Hamas réunis

Dans la rue, la crise a rassemblé et unifié les Palestiniens indépendamment de leur clan ou de leur faction. La cause d’al-Aqsa a abouti à quelque chose que des années de négociations sur la réconciliation entre le Fatah et le Hamas ont échoué à susciter : les activistes du Fatah et du Hamas travaillent ensemble sur le terrain dans un mouvement plus large qui comprend des Palestiniens de toutes les factions.

Des Palestiniens célèbrent le retrait des dispositifs de sécurité israéliens dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 juillet 2017 (Reuters)

L’un des leaders de ce mouvement, le Dr Moustapha Barghouti, défenseur de la désobéissance civile non violente, a déclaré à Middle East Eye : « Nous sommes au seuil d’un grand changement. Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas aléatoire ou passager. Ce pourrait être le début d’une troisième intifada différente des autres. Ce que cela comporte d’unique, c’est qu’il ne s’agit pas d’actes individuels, mais d’un mouvement populaire capable d’attirer un grand nombre de personnes. Cet élan populaire pourrait recharger les batteries du peuple palestinien. Cela pourrait prendre du temps, mais nous sommes sur la bonne voie. Ce mouvement surpassera l’Autorité palestinienne. Ils ne savent même pas qu’elle existe. Cela entraînera un changement de leadership. »

Est-ce un optimisme enflammé ?

Cela se reflète à l’étranger. Le mouvement BDS, qui vit actuellement sa douzième année, est prospère. Traité par Israël comme une menace existentielle, le BDS est devenu un mouvement mondial qui s’étend de la Norvège au Chili, avec des millions d’alliés. Il n’est pas affilié, il transcende les religions, les races et les sexes et se fonde avant tout sur l’égalité des droits. Ses membres chantent : « De la Palestine au Mexique, tous les murs doivent tomber. »

À LIRE : Week-end rouge à Jérusalem : ce n’est que lorsque le sang coule qu’Israël cède

La cause palestinienne se généralise, alors que des personnages politiques comme Bernie Sanders et Jeremy Corbyn, qui étaient déjà eux-mêmes considérés comme étant hors de la carte politique, gagnent en influence. Une épreuve de vérité a récemment eu lieu à Londres. Plus de 10 000 personnes ont participé à un événement de deux jours, intitulé Palestine Expo, malgré une campagne féroce menée par des groupes de pression pro-israéliens pour faire annuler l’événement.

En dehors de la Palestine comme à l’intérieur, une nouvelle génération est en train de reprendre le contrôle de cette lutte à un leadership sclérosé et corrompu qui a perdu toute autorité morale et politique sur son peuple. Pour cette génération, le processus de paix n’a jamais existé. C’était un bluff pour couvrir l’expansion d’Israël sur chaque colline de Cisjordanie. Seront-ils aussi facilement achetés, récupérés et neutralisés que la génération précédente ? Ou seront-ils ceux qui aboutiront à ce que tous les autres ont échoué à atteindre ?

À en juger par les réactions des dirigeants et des États arabes, les Palestiniens n’ont jamais été aussi seuls, alors que pourtant, leur cause est mondiale. Ces dirigeants arabes doivent se méfier. La seconde intifada a été l’une des sources du Printemps arabe. Serait-ce le cas d’une troisième intifada sur les marches d’al-Aqsa ?

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : deux fillettes palestiniennes tiennent un drapeau national au cours de célébrations dans la vieille ville de Jérusalem pour marquer le retrait des dispositifs de sécurité israéliens à l'origine de violences, le 27 juillet 2017 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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