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COVID-19 : l’interdiction des vaccins par Khamenei révèle une brèche dans le système politique iranien

Plaçant l’idéologie avant la santé de la société, le guide suprême iranien a interdit l’importation des vaccins américains et britanniques
 Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, prend la parole le 8 janvier 2021 (Khamenei.ir/AFP)
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, prend la parole le 8 janvier 2021 (Khamenei.ir/AFP)

L’explication avancée par le clergé chiite iranien pour justifier son existence même est que l’islam, comme tout autre domaine de la connaissance humaine, a besoin de ses propres experts pour expliquer sa complexité à ses adeptes. 

Dans un discours prononcé en 1979, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, qui avait mené la révolution iranienne la même année, déclarait : « Il faut à chaque sujet son propre expert. Si un patient se moque de l’ordonnace qui lui est faite et assure savoir se soigner, il peut mourir. »

En 1981, il soulignait que « si le clergé n’existait pas, l’islam aurait disparu. Ce sont des experts de l’islam qui ont protégé l’islam jusqu’à présent ».

Des versets coraniques ont également été cités pour appuyer cette position. Le grand ayatollah Naser Makarem Shirazi a fait référence au verset 43 de la Sourate an-Nahl (« Les Abeilles »), qui stipule : « Si vous ne savez pas, demandez donc à ceux qui possèdent des connaissances. » 

Le 1er février 2020, l’ayatollah Ali Khamenei prie dans le mausolée du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini (AFP)
Le 1er février 2020, l’ayatollah Ali Khamenei prie dans le mausolée du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini (AFP)

Il faisait valoir que, d’après ce verset, « les adeptes de la religion devraient suivre l’avis des moujtahids » – des savants de la tradition chiite qui répondent à certaines exigences, y compris une connaissance approfondie de l’islam. 

L’ancien président iranien Akbar Hachemi Rafsandjani a également fait référence au verset 122 de la Sourate at-Tawbah (« Le Repentir »), qui dit : « Les croyants n’ont pas à quitter tous leurs foyers. Pourquoi de chaque clan quelques hommes ne viendraient-ils pas s’instruire dans la religion, pour pouvoir à leur retour, avertir leur peuple afin qu’ils soient sur leur garde. » Il a fait valoir que, d’après ce verset, « chaque société a besoin d’experts islamiques, faqih [un juriste islamique], et ses propres missionnaires. » 

Une épaisse lentille idéologique

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, serait un expert de l’islam, répertorié comme un juriste qualifié par l’Association des enseignants de Qom. Pourtant, au cours de ses 32 années de mandat, Khamenei a contredit à plusieurs reprises l’explication justifiant la nécessité du clergé.

Non seulement il exprime des opinions sur diverses affaires de la nation, mais exige également que ces opinions soient suivies d’effet, bien qu’ayant peu ou pas de connaissances dans ces domaines.

Cela infirme l’argument du clergé selon lequel chaque discipline a besoin de ses propres experts pour formuler des opinions crédibles. 

Khamenei établit des règles dans divers domaines de la vie des gens sans rapport avec la religion, de la politique étrangère au programme nucléaire en passant par l’économie, et même le nombre d’enfants que les gens devraient avoir.

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Alors même que le pays traverse une crise économique, il soutient que l’augmentation du nombre d’enfants devrait devenir la norme : « Lorsque la population est importante, les individus justes sont naturellement plus nombreux, les capacités augmentent naturellement et les ressources humaines sont évidemment supérieures. »

S’il n’y a pas besoin d’expertise pour comprendre différents domaines de la connaissance humaine, le clergé ne peut pas monopoliser la compréhension de l’islam.

Alors pourquoi Khamenei interfère-t-il sans broncher dans les affaires de la nation, tout en regardant et comprenant ces affaires à travers une épaisse lentille idéologique ? 

Khamenei, en tant que chef de l’État et dans le rôle de Vali-ye faqih (gardien de la jurisprudence), a publié une fatwa qui rend hors sujet les trois branches du gouvernement et les oblige à mettre en œuvre ses opinions, faisant observer : « Selon la religion chiite, tous les musulmans doivent obéir à l’ordre du gardien de la jurisprudence et se soumettre à ses ordres. Cet édit s’applique même à d’autres grands ayatollahs… S’il y a contradiction entre l’autorité et les décisions prises par le gardien de la jurisprudence et l’ensemble du peuple, l’autorité et les décisions du gardien de la jurisprudence prévalent. »

Lors de sa dernière intervention dans un domaine susceptible de mettre en danger la vie de millions d’Iraniens, Khamenei a déclaré le 8 janvier : « Les importations de vaccins américains et britanniques dans le pays sont interdites. Je l’ai dit aux fonctionnaires et je le dis publiquement maintenant. » 

Dans une déclaration montrant son ignorance de la situation, il faisait observer : « S’ils peuvent créer un vaccin, si leur usine Pfizer peut fabriquer un vaccin, alors pourquoi veulent-ils nous le donner ? Ils devraient le consommer eux-mêmes pour ne pas avoir autant de morts. »

« Notre peuple ne sera pas un cobaye pour les entreprises de fabrication de vaccins »

- Ali Khamenei

Examinant la question à travers sa vision idéologique du monde, il a tranché : « Notre peuple ne sera pas un cobaye pour les entreprises de fabrication de vaccins. » 

Il est allé encore plus loin, affirmant qu’il était possible que les États-Unis « envoient des gens, se présentant comme des experts désirant lutter contre le coronavirus, observer l’efficacité du virus, qui aurait été en partie généré spécifiquement pour l’Iran ».

Le gouvernement se soumet

Comme d’habitude, immédiatement après l’annonce publique de l’interdiction par Khamenei, les responsables du gouvernement sont tombés d’accord en critiquant les vaccins occidentaux. Le ministre de la Santé, Saeed Namaki, n’a pas perdu de temps : « La recommandation du guide de ne pas acheter les vaccins américains et britanniques repose sur des recherches scientifiques à grande échelle. » Il n’a pas précisé qui a mené ces recherches ni où elles l’ont été. 

Trois jours plus tard, 200 des 290 membres de l’actuel Parlement radical qui, selon Khamenei lui-même, « est l’un des Parlements les plus forts et les plus révolutionnaires de l’ère post-révolutionnaire », l’ont soutenu dans un communiqué : « En raison de preuves de choc, d’effets secondaires et même de décès dans certains cas après l’injection des vaccins, y compris ceux de Pfizer… le gouvernement devrait interdire l’importation de vaccins produits par des entreprises américaines, britanniques et françaises. » 

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Les Iraniens ont réagi avec colère sur les réseaux sociaux. S’opposant clairement aux remarques de Khamenei, le Conseil médical iranien a envoyé une lettre au président iranien Hassan Rohani : « En tant que représentants de la communauté médicale en Iran… [nous vous demandons de] rester à l’écart des questions politiques… et respecter les droits évidents du peuple. »

Ces trente dernières années, les décisions de Khamenei, motivées pour beaucoup par son idéologie, ont été sources de difficultés pour le peuple iranien.

Oui, la grande stratégie du système politique américain vise à maintenir l’unipolarité et sa propre hégémonie, et en ce qui concerne Israël, les États-Unis encouragent l’occupation, la violence des colons et l’accaparement des terres depuis des décennies.

Mais la doctrine purement idéologique de Khamenei en vertu de laquelle « pas de pourparlers, pas de détente » avec les États-Unis n’a aidé ni les Palestiniens ni les Iraniens, qui sont nombreux à peiner pour survivre. 

Khamenei se vante : « Je ne suis pas diplomate. Je suis révolutionnaire. » Tout cela est bon pour satisfaire sa base, mais les pauvres en paient le prix. Et cette fois, suite à la décision d’interdire les vaccins américains et britanniques, ils pourraient le payer de leur vie. 

- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @SShahidsaless.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shahir Shahidsaless is an Iranian-Canadian political analyst and freelance journalist writing about Iranian domestic and foreign affairs, the Middle East, and the US foreign policy in the region. He is the co-author of Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. He is a contributor to several websites with focus on the Middle East. He also regularly writes for BBC Persian. He tweets @SShahidsaless.
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