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Libye : des élections doivent avoir lieu en 2023. Voilà comment y parvenir

Les principaux obstacles aux élections en Libye sont l’actuelle élite politique qui risque de perdre le pouvoir. L’ONU doit la contourner, si le pays veut renouveler sa légitimité politique
Des Libyens manifestent contre le report des élections, dans la ville de Benghazi, le 24 décembre 2021 (AFP)
Des Libyens manifestent contre le report des élections, dans la ville de Benghazi, le 24 décembre 2021 (AFP)

La Libye est toujours en plein conflit, très polarisé, et aucune issue ne se profile à l’horizon.

La période de transition agitée ces onze dernières années est dans une impasse politique, les camps politiques en place ne montrent aucune inclinaison pour un accord qui pourrait les mener à libérer leurs postes de pouvoir.

L’ingérence étrangère a joué un rôle néfaste en exacerbant la situation ces dernières années, ne faisant qu’accroître les divisions.

L’ingérence étrangère a joué un rôle néfaste en exacerbant la situation ces dernières années, ne faisant qu’accroître les divisions

Des appels à de nouvelles élections – présidentielles et législatives ou uniquement législatives – pour renouveler les institutions politiques et leur légitimité ont été lancés par tout un éventail d’acteurs au niveau local, régional et international.

Des élections avaient été convenues en 2021 et la date fixée au 24 décembre de la même année, mais elles n’ont pas eu lieu en raison de divers facteurs. 

L’impulsion renouvelée via la nomination d’un nouvel envoyé spécial de l’ONU en Libye, le Sénégalais Abdoulaye Bathily, soutenue par les principaux acteurs internationaux pour amener les camps libyens à s’engager à organiser de nouvelles élections, doit encore donner lieu à un accord sur une base constitutionnelle et une date définitive pour ces élections.

« Il est de plus en plus admis que certains acteurs institutionnels entravent activement le processus visant à l’organisation de nouvelles élections », a reconnu Bathily dans un briefing au Conseil de sécurité de l’ONU en novembre.

Personnalités clivantes

Il est clair que l’ONU et la communauté internationale commencent à réaliser que les principaux obstacles aux élections en Libye sont les institutions actuelles, dont le mandat a pris fin il y a bien longtemps.

Les lois relatives aux élections promulguées l’année dernière par le président de la Chambre des représentants de Tobrouk, Aguila Salah Issa, pour des élections présidentielles et législatives présentaient des défauts. Elles ont été adoptées sans vote de la Chambre ou consultation du partenaire politique de cette dernière, le Haut Conseil d’État basé à Tripoli, comme le stipule l’accord politique de Skhirat signé en 2015.

Pendant un discours du chef militaire Khalifa Haftar dans l’est de la Libye, un de ses partisans fait le V de la victoire lors d’un rassemblement marquant le 71e anniversaire de l’indépendance du pays, à Benghazi, le 24 décembre 2022 (AFP)
Pendant un discours du chef militaire Khalifa Haftar dans l’est de la Libye, un de ses partisans fait le V de la victoire lors d’un rassemblement marquant le 71e anniversaire de l’indépendance du pays, à Benghazi, le 24 décembre 2022 (AFP)

Un autre grand facteur ayant contribué à l’échec des élections a été la candidature aux élections présidentielles de personnalités controversées telles que Saïf Kadhafi, qui est recherché par la Cour pénale internationale (CPI), Khalifa Haftar, personnalité extrêmement clivante qui a la nationalité américaine et est perçu comme cherchant à faire revenir en Libye une dictature militaire, et Abdel Hamid Dbeibah, qui a été accusé de revenir sur un serment de ne pas se présenter lorsqu’il a été choisi comme Premier ministre en mars 2021. 

Le coup de grâce porté aux espoirs d’élections a été la déclaration de « cas de force majeure » à peine deux semaines avant la date du scrutin par la Haute Commission électorale nationale, après avoir reçu un avertissement écrit d’une commission de la Chambre des représentants pour mettre fin au processus.

Les désaccords concernant les critères d’éligibilité des candidats à la présidentielle – principalement ceux qui ont une double nationalité ou le statut de responsable militaire avant de démissionner de leur poste – sont le principal obstacle empêchant les élections jusqu’à présent, et l’impasse devrait se poursuivre.

Par conséquent, compter sur un accord de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État concernant les lignes constitutionnelles conduira à un autre échec.

L’absence d’accord entre la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’État sur une base constitutionnelle peut être surmontée si la communauté internationale fait preuve de volonté et de détermination pour soutenir les Libyens en vue d’atteindre un consensus.

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Il est possible d’y arriver au moyen d’une initiative de l’ONU qui contourne l’élite politique actuelle, laquelle ne veut pas que ces élections aient lieu car elle serait remplacée par de nouveaux dirigeants politiques. 

Le Conseil présidentiel libyen a récemment proposé une initiative, soutenue par l’envoyé spécial de l’ONU, pour mener des négociations directes entre Aguila Salah Issa et Khaled al-Michri, président du Haut Conseil d’État, à Ghadamès le 11 janvier. Celle-ci visait à atteindre un accord définitif sur les différences en suspens entre les lignes constitutionnelles, mais elle a été rejetée par le Haut Conseil d’État et ignorée par la Chambre des représentants.

Aguila Salah Issa et Khaled al-Michri ont choisi de se rencontrer au Caire, le 5 janvier, afin d’annoncer leur intention de se mettre d’accord sur une nouvelle feuille de route pour tenir des élections.

Beaucoup ont perçu cette initiative comme une autre manœuvre visant à détourner le processus politique d’un engagement rapide en faveur d’élections. En réalité, il ne peut y avoir d’élections fructueuses en 2023 que si la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’État peuvent être contournés, grâce à une initiative menée et supervisée par l’ONU avec le soutien vital de la communauté internationale. 

Légitimité renouvelée

Toute nouvelle initiative pourrait se baser sur l’utilisation de mécanismes alternatifs, par exemple donner le pouvoir au Conseil présidentiel d’édicter des décrets présidentiels, la suspension de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État et l’établissement de la base constitutionnelle et des lois électorales nécessaires à l’organisation de ces élections.

Les élections ne sont pas une baguette magique qui résoudrait tous les problèmes de la Libye et mettrait fin au conflit et à l’instabilité qui y règnent. Cependant, de nouvelles élections sont extrêmement importantes pour renouveler la légitimité politique et seraient un pas en avant pour guérir les divisions

Autre possibilité, un nouveau forum de dialogue pourrait être créé, comprenant les partis politiques, les collectivités et toute autre force politique et civile dans un format similaire au précédent Forum de dialogue politique libyen qui a produit l’actuelle feuille de route de l’ONU. 

Une autre option serait de reporter les élections présidentielles très controversées et d’organiser d’abord des élections législatives, lesquelles pourraient être facilement organisées en 2023 s’il y avait un accord local et le soutien de la communauté internationale pour s’engager dans cette voie. Les élections législatives sont idéales car elles fourniraient l’opportunité pour tous les camps politiques de participer. 

Un Parlement nouvellement élu aurait alors une légitimité renouvelée. Il aurait le pouvoir de désigner un gouvernement uni et de mettre fin aux divisions actuelles, de résoudre les désaccords concernant les critères d’éligibilité à l’élection présidentielle, qui pourrait être organisée plus tard, et de prendre la responsabilité d’achever la voie constitutionnelle.

Des élections pourraient avoir lieu en 2023 s’il y avait un accord entre les principaux acteurs internationaux en Libye, en particulier l’Égypte et la Turquie, pour faire pression sur les divers camps libyens qu’ils soutiennent. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait aussi fournir un soutien uni et véritable à la mission d’appui des Nations unies en Libye et Bathily devrait faciliter une solution pour la tenue d’élections crédibles.

En supposant que des élections puissent avoir lieu en 2023, la liberté et l’équité de ces élections à travers le pays restent à voir, étant donné que l’est et le sud de la Libye sont sous le contrôle militaire total de Haftar, soutenu par des milliers de combattants étrangers, y compris le célèbre groupe de mercenaires russes Wagner.

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Puis il y a les questions relatives à ce qui se passerait si des personnalités controversées telles que Khalifa Haftar et Saïf Kadhafi étaient autorisées à se présenter à des élections présidentielles. Leurs partisans et eux-mêmes accepteraient-ils les résultats en cas de défaite ? Y aurait-il des troubles violents et un rejet du vainqueur déclaré, quel qu’il soit ? 

Les élections ne sont pas une baguette magique qui résoudrait tous les problèmes de la Libye et mettrait fin au conflit et à l’instabilité qui y règnent. Cependant, de nouvelles élections sont extrêmement importantes pour renouveler la légitimité politique et seraient un pas en avant pour guérir les divisions en unissant les organes législatifs et exécutifs. 

Pour parvenir à une résolution durable du conflit libyen, menant à une paix à long terme et à la stabilité, il faut également progresser sur d’autres sujets parallèles vitaux.

Parmi eux figurent l’unification des institutions souveraines clés, notamment l’armée, l’achèvement du processus constitutionnel et l’avènement d’une réconciliation nationale étayée par une justice de transition pour les nombreux individus et groupes qui ont souffert tout au long de l’ère Kadhafi ainsi qu’au cours de la dernière décennie.

- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @Guma_el_gamaty

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Guma El-Gamaty is a Libyan academic and politician who heads the Taghyeer Party in Libya and a member of the UN-backed Libyan political dialogue process. Follow him on Twitter: @Guma_el_gamaty
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