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Omicron : l’inégalité d’accès aux vaccins et la politique de l’empire

Priver les pays pauvres de vaccins, leur faire payer le double de l’Occident, leur imposer des vaccins moins sûrs : impossible de passer à côté du privilège impérial
Le nouveau variant du COVID-19, Omicron, est un rappel que les inégalités vaccinales dans le monde créent des failles dans l’immunisation en dehors de l’Occident (AFP)
Le nouveau variant du COVID-19, Omicron, est un rappel que les inégalités vaccinales dans le monde créent des failles dans l’immunisation en dehors de l’Occident (AFP)

Le variant Omicron du COVID-19 place une fois de plus le monde face aux réalités biopolitiques de la pandémie mondiale. 

Après avoir été généralement assouplies voire levées, les restrictions de circulation sont à nouveau en vogue. Spécialistes comme non spécialistes relèvent que l’asymétrie de la vaccination mondiale a permis au virus de muter dans les pays où les vaccins ne sont pas facilement disponibles, pays depuis lesquels il se répand maintenant dans le reste du monde.

C’est à la fois le reflet de l’économie mondiale qui requiert le déplacement de population vers l’Occident – tout en donnant aux États occidentaux le pouvoir de restreindre cette circulation – et de l’inégalité vaccinale mondiale qui crée des failles dans l’immunisation ailleurs.

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Sans surprise, la nouvelle vague de restrictions affecte de manière disproportionnée la circulation depuis les pays africains (pas uniquement depuis l’Afrique du Sud, où ce variant a été identifié, bien que son origine soit inconnue).

Les restrictions de voyage et les appels à étendre la distribution de vaccins résument les deux faces de la biopolitique de l’empire : la première qui interdit et restreint – la face répressive pour utiliser le vocabulaire de la théorie politique – et la seconde qui s’étend au côté « productif » du pouvoir (tel que les campagnes de vaccination) ou la partie qui « promeut la vie », pour utiliser les termes proposés par Michel Foucault.

Ces derniers développements rappellent comment cette nature janusienne du pouvoir se voit d’autant plus à travers les relations d’empire. Le privilège impérial coule dans les capillaires des régimes biopolitiques, même (ou en particulier) ceux qui visent à « promouvoir la vie », comme l’actuelle campagne de vaccination mondiale.  

Disparité vaccinale

Le contexte palestinien donne un exemple parlant : le succès de la campagne de vaccination israélienne est l’autre face de la politique d’apartheid vaccinal qui fait de la bande de Gaza (qu’Israël contrôle à travers son siège pro-longé) un vide désolé d’immunisation. 

Cette disparité dans l’immunisation ne se limite pas aux cas tels que Israël ou le phénomène de nationalisme vaccinal.

L’économie politique de la distribution mondiale de vaccins a créé des espaces similaires de privation d’immunité, alors même que les vaccins sont déployés, une situation décrite par le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, comme un apartheid vaccinal.

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Selon un groupe de professionnels de la santé publique pédiatrique : « Être à l’écart des programmes vaccinaux pour les pays à faibles et à moyens revenus et ne pas avoir les solutions significatives actuellement ressemble fortement à la situation en Afrique du Sud au XXe siècle. » 

Selon l’OMS, « seuls 15 % des promesses de dons de vaccins – des pays riches qui ont accès à de grandes quantités – ont été concrétisées. » Parmi les pays affectés par cette disparité figurent ceux qui ont contribué aux essais vaccinaux et « fourni des sujets de test ».

En d’autres termes, les pays pauvres ont fourni de la matière première humaine pour les essais de vaccins, vaccins qui seront ensuite utilisés pour aider à protéger les pays à hauts revenus et améliorer les prétentions technologiques de « l’Occident avancé ».

Cette contribution du monde en développement s’étend également à la production comme dans le cas de l’Inde, leader de la production de vaccins génériques, et où seulement 8,3 % de la population est totalement vaccinée selon les récentes estimations.

Pour les Palestiniens qui vivent en Cisjordanie occupée et dans Gaza sous blocus israélien, la campagne de vaccination est bien à la peine (AFP)
Pour les Palestiniens qui vivent en Cisjordanie occupée et dans Gaza sous blocus israélien, la campagne de vaccination est bien à la peine (AFP)

Pendant ce temps, les vaccins ont été vendus à des prix disparates, les pays riches payant moins et « certains pays africains payant plus de deux fois plus par dose que leurs homologues européens », même si « certains vaccins produits en Afrique sont exportés en Europe ».

Cela a été fait au prétexte que les pays européens ont payé le développement du vaccin, ce qui rend inéligible la contribution du monde en développement aux essais et à la production de vaccins.

Politique d’empire

Même dans les cas où la biopolitique « promeut la vie », comme lorsqu’elle crée des infrastructures pour des programmes de vaccination efficaces et conçoit des politiques qui visent à garder la population en bonne santé, la politique de l’empire est planifiée, et les inégalités se créent. 

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Un appareil élaboré de surveillance a émergé avec le déploiement des vaccins : passeports vaccinaux, certificats COVID, autorisations spéciales de travail et de circulation, exigences de test PCR récent ou de test de diagnostic rapide qui n’ont pas tardé à s’immiscer dans le quotidien de nombreuses régions du monde.

Si ces mesures (ou du moins certaines d’entre elles) sont nécessaires pendant une pandémie mondiale, il est important de noter la façon dont elles visent de manière disproportionnée la main d’œuvre migrante et contrôle la circulation des gens de la périphérie du système impérial vers les centres de l’empire.

Évidemment, les moyens de subsistance de ceux de la périphérie dépendent du mouvement centripète vers les centres impériaux ; les pays plus riches et blancs sont plus susceptibles d’établir et de mettre en œuvre des mécanismes de contrôle qui sécurisent (et parfois monétisent) la circulation des plus pauvres et des populations racisées.

Même dans les cas où certains vaccins présentent un risque (certes minime), qui selon les spécialistes est contrebalancé par ses bénéfices, la distribution du risque le long de la faille impériale reste inégale.

Les pays pauvres ont fourni de la matière première humaine pour les essais de vaccins, vaccins qui seront ensuite utilisés pour aider à protéger les pays à hauts revenus et améliorer les prétentions technologiques de « l’Occident avancé »

Dans la métropole impériale, lorsque les vaccins associés à un faible risque de syndrome de thrombose-thrombocytopénie (TTS) sont utilisés, ils sont administrés avec une prudence absente en périphérie.

Au-delà de la surveillance des symptômes après leur administration, il est conseillé à certaines franges de la population de recevoir un autre vaccin qui n’est pas associé à un tel risque (et qui, pour diverses raisons logistiques, ne sont pas disponibles en grande quantité hors d’Occident).

Ce ne fut clairement pas le cas pour le reste du monde. Le risque créé en périphérie d’empire gagne en intensité avec l’émergence du système de contrôle mondial.

Pour des raisons pratiques (et compréhensibles), les centres métropolitains occidentaux et d’autres centres impériaux (notamment les monarchies pétrolières) exigent que les travailleurs migrants, les étudiants et les pèlerins reçoivent l’un des vaccins certifiés par l’Occident (excluant ainsi les vaccins chinois et russes) avant leur départ. 

Liberté de circuler

Puisque les vaccins Pfizer et Moderna (qui sont les plus utilisés aux États-Unis, en Europe et dans d’autres pays riches) ne sont pas présents dans les pays les plus pauvres dans les mêmes quantités, cela se traduit par une pression pour recevoir l’un des deux vaccins à adénovirus afin d’avoir la liberté de circuler dans le monde impérial.

Ces nouveaux variants nous rappellent que l’extension du privilège vaccinal hors de l’Occident n’est pas un acte de charité occidentale mais plutôt une mesure nécessaire prise par l’Occident pour se protéger.

Elle souligne le régime impérial d’expansion asymétrique des privilèges impériaux et que la création de poches de dépossession n’est pas durable : ces poches de désolation elles-mêmes deviennent les hot spots pour que le virus mute et se répande à nouveau.

Le virus ne se répand pas simplement selon le script de Michel Foucault ; il se répand selon le script de plusieurs intellectuels postcoloniaux qui ont terrorisé la façon dont le régime consistant à promouvoir la vie dans la métropole impériale est toujours hanté par la désolation créée de l’autre côté de la faille impériale.

Avertissement : cette évocation de la politique de la vaccination ne se veut en aucune façon une remise en cause de la science à l’origine du vaccin ou de son efficacité médicale. La critique de la biopolitique de l’empire et sa manifestation dans les campagnes de santé publique n’est en aucun cas un argument contre la vaccination. L’auteur de cet article a déjà reçu sa première dose de vaccin et prévoit de se faire administrer la seconde, probablement avant la publication de cet article. 

Ahmed D. Dardir est titulaire d’un doctorat en études du Moyen-Orient de l’Université Columbia. Son prochain livre s’intitule provisoirement Licentious Topographies: Global Counterrevolution and Bad Subjectivity in Modern Egypt. Il contribue régulièrement à un certain nombre de médias. Vous pouvez le retrouver sur son blog.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ahmed D Dardir is the co-founder of the Institute for De-Colonising Theory (IDCtheory). He holds a PhD in Middle Eastern Studies from Columbia University. He is a regular contributor to a number of media outlets. His personal blog can be found at https://textualtrimmings.blogspot.com.
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