De Haza al-Masaa à Fawazeer : les meilleures séries télé du Ramadan
Pendant de nombreuses années, « série du Ramadan » a été un raccourci dans l’industrie cinématographique pour désigner une série au jeu d’acteur exagéré et à l’esthétique grossière. Mais même dans les premières années de la télévision arabe, les séries dramatiques recélaient davantage que ne le laissait entendre leur réputation ultérieure.
Les séries du Ramadan remontent aux années 1960 : la première série télévisée de la région, Hareb min al-Ayyam (« s’échappant du temps »), a été diffusée en Égypte en 1962.
Thriller policier sur une série de vols dans un petit village, cette création du réalisateur Nour El Demerdah a conquis la région, faisant de l’Égypte le plus important producteur de feuilletons pour les quatre décennies suivantes.
Aujourd’hui, le paysage télévisuel arabe ne ressemble plus en rien à ses origines modestes. Le Ramadan est progressivement devenu la saison télévisée la plus importante et la plus lucrative de l’année, attirant les plus grands talents de la région et des fonds publicitaires apparemment sans fin.
L’argent et la concurrence des émissions américaines ont forcé les producteurs à réinventer la série du Ramadan. Les productions ont gagné en valeur, la narration s’est faite plus audacieuse et le jeu d’acteur est devenu plus raffiné et moins théâtral.
La structure en 30 épisodes (un épisode pour chaque jour du mois) n’a pas vraiment évolué, malgré le récent essor du format de 15 épisodes.
L’âge d’or de la télévision arabe est toujours attendu : la censure est plus étouffante que jamais, l’écriture reste inégale et la réalisation incohérente.
Cela dit, avec l’entrée en scène de producteurs d’Afrique du Nord et d’Irak et les plateformes de streaming qui attirent un public plus jeune, les productions arabes sont sur une trajectoire ascendante – repoussant constamment les limites, tout en offrant une fenêtre indispensable sur les mœurs et les valeurs en évolution de leurs sociétés respectives.
Pour le public novice, naviguer dans le vaste paysage des séries du Ramadan est un défi, en particulier à cause du peu de sous-titres disponibles.
Mais les choses changent à cet égard aussi. Bien qu’elle ne produise aucune série du Ramadan, Netflix a commencé à acquérir des succès arabes récents, tels que Mohammed Ali Road et The Sculptor.
Des rivaux régionaux comme Shahid et OSN proposent également des feuilletons classiques sous-titrés (en anglais), ce qui permet aux téléspectateurs curieux de découvrir plus facilement que jamais l’univers délirant de la série du Ramadan.
Le meilleur endroit pour commencer : l’Égypte
Plutôt que de suivre l’ordre chronologique, le meilleur moyen de se lancer dans les séries du Ramadan est de regarder les feuilletons plutôt récents.
Malgré une concurrence régionale accrue aujourd’hui, les séries égyptiennes restent les plus abouties, les plus « bankables » et les plus regardées. Impossible donc de commencer ailleurs.
Le meilleur point de départ est Haza al-Masaa (Later Tonight, 2017), série audacieuse et multi-personnages de Tamer Mohsen, considérée par de nombreux critiques (y compris votre serviteur) comme la meilleure série du Ramadan du siècle.
C’est la plus belle œuvre à ce jour de Mohsen, qui est l’une des voix les plus caractéristiques des séries arabes.
Cette étude désarmante et intime de la classe sociale, du sexe et de la crise de la masculinité est l’œuvre la plus authentique qui émerge d’Égypte depuis le coup d’État de 2013.
Remarquablement tournée et bénéficiant du jeu parfait d’Eyad Nassar, Muhammad Farrag, Ahmed Dawood et Asma Abul-Yazid, Haza al-Masaa reste inégalée dans sa franchise et son authenticité – la référence pour toutes les séries ultérieures sur les relations.
Tout aussi audacieux et esthétique est Afrah Al-Qoba (Les Noces du quartier du dôme, 2016) l’adaptation par Mohamed Yassin du roman du même nom du lauréat du prix Nobel Naguib Mahfouz de 1981.
Située au début des années 1970, l’histoire tourne autour d’un groupe de comédiens qui se rendent compte que la pièce pour laquelle ils ont été engagés s’inspire de leur propre vie.
Racontée sous de multiples perspectives et imprégnée d’un réalisme magique, Afrah Al-Qoba est une série d’époque austère qui se déroule dans le Caire décadent du début de l’ère Sadate.
La ville se noie dans la dépendance à l’opium, les dysfonctionnements familiaux et la corruption morale.
D’une atmosphère envoûtante, le spectacle est le couronnement de Yassin, bien que son mystère de meurtre tout aussi audacieux, Moga Harra (Heatwave), réalisé en 2013, vaut également la peine d’être regardé.
Plus léger : A Girl Named Zat, adaptation en 2013 par Kamlah Abu-Zikri du roman emblématique de Sonallah Ibrahim sorti en 1992. Cette coproduction de la BBC est un panorama de la vie égyptienne de la révolution de 1952 jusqu’au soulèvement de 2011, du point de vue d’une femme de la classe moyenne.
Comme le roman dont elle est issue, Zat regorge de commentaires et d’observations astucieux sur les événements qui ont changé le visage de la société égyptienne. C’est peut-être l’entrée la plus discrète de cette liste, mais sa chaleur et son humanité ne la rendent pas moins importante.
L’introduction à la télévision arabe de nombreux téléspectateurs occidentaux initiés a commencé avec Grand Hotel en 2016, l’adaptation à succès par Mohamed Shaker d’une série espagnole de 2011 du même nom.
Située dans les années 1950 à Assouan, cette série policière romantique suit un jeune homme qui voyage vers le sud à la recherche de sa sœur cadette disparue.
Dépourvue de commentaires sociaux, Grand Hotel est néanmoins une histoire très engageante, renforcée par le romantisme de l’écrivain Tamer Habib et le fort sens de l’espace de Shaker.
La série a fait la une des journaux en 2018 lorsqu’elle est devenue la première série égyptienne acquise par Netflix. Elle reste l’une des rares œuvres de la télévision arabe bénéficiant d’un public important à l’échelle internationale.
Les meilleures séries à dévorer
Avec le nouveau millénaire, la domination de la télévision égyptienne a été menacée par l’essor des séries historiques syriennes.
L’offre de l’Égypte était devenue indigeste à la fin des années 1990, entravée par une direction terne qui n’avait pas évolué depuis des décennies.
Inondés de généreux fonds publics, les réalisateurs syriens ont insufflé une nouvelle vie à la tradition télévisuelle du Ramadan. Des dialogues ambitieux, des récits épiques et un jeu d’acteur subtil ont aidé les séries syriennes à se démarquer des performances égyptiennes mélodramatiques contemporaines.
Au cours des années 2000, la Syrie a produit de nombreuses œuvres saluées par la critique, dont les plus célèbres sont les séries historiques du défunt Hatem Ali, dont le mélange d’histoire et de mélodrame a produit la forme idéale pour le binge watching.
Parmi les nombreuses excellentes séries qu’il a produites, trois se sont démarquées. Dans les 40 épisodes d’Al-Zeer Salem (2000), Hatem Ali a exploré l’Arabie préislamique à travers le poète et guerrier Abu Layla al-Muhalhel pendant la guerre d’El Basous (494-534).
Des paysages accidentés et des batailles habilement chorégraphiées à l’accent mis sur la poésie et les coutumes de la jahiliya (période antéislamique selon le Coran), l’œuvre la plus chère d’Ali reste une référence des drames historiques arabes.
Plus audacieux dans les thèmes et le ton : Mulouk al-Tawa'ef (« rois des sectes », 2005), la troisième partie, et la plus sombre, d’une trilogie qui relatait la conquête musulmane de l’Espagne.
Un drame à la Tudors retraçant la chute de la dynastie omeyyade espagnole, la dernière grande série syrienne d’Ali est un monstre sauvage – une production somptueuse montée avec un panache remarquable. Les conspirations sans fin, les liaisons doubles et les luttes de pouvoir restent étrangement pertinentes dans le paysage politique arabe contemporain.
La plus grande œuvre de Hatem Ali pourrait bien être Al-Taghriba al-Filistinia (« l’aliénation palestinienne », 2004), une fiction sur l’affliction palestinienne vécue par une famille rurale du mandat britannique dans les années 1930 jusqu’à la guerre de 1967.
Layaly al-Helmeya est le feuilleton ultime du Ramadan : un amalgame convaincant de documentation sociale perspicace et de pure bêtise
Imposante par sa portée et son émotion, c’est la série arabe ultime sur l’histoire palestinienne : une reconstitution approfondie d’une époque historique rarement abordée à la télévision.
La série ultime du Ramadan à dévorer est Layaly al-Helmeya (« les nuits d’Helmeya »), diffusée de 1987 à 2016, une série dramatique égyptienne au long cours racontant l’histoire moderne de l’Égypte, des derniers jours de la monarchie à la révolution de 2011.
Mettant en vedette certains des personnages les plus emblématiques de la télévision arabe et prônant une narration au sensationnalisme éhonté, Layaly al-Helmeya est le feuilleton ultime du Ramadan : un amalgame convaincant de documentation sociale perspicace et de pure bêtise, écrit avec une nonchalance sans effort par Osama Anwar Okasha, le grand maître de la fiction télévisée égyptienne.
Tout ne fonctionne pas, et le récit devient insupportablement lourd à partir de la saison cinq, alors mieux vaut s’en tenir aux quatre premières saisons.
Comédies avec un éclairage politique
Les comédies ont longtemps été un incontournable du Ramadan, depuis 1972 et le classique égyptien Adat w Takaleed (« coutumes et traditions »). Indémodables et non moins populaires que les séries, les comédies du Ramadan ont subi de profondes transformations depuis : des sketches au succès aléatoire des années 1990 à l’engouement pour les sitcoms mal adaptées des années 2000.
Contrairement aux séries, les comédies télévisées sont locales, propres à leurs cultures respectives et difficiles à traduire au niveau régional, et encore plus à l’international. Tous les deux ans, une comédie à succès du Ramadan réussit à transcender les barrières culturelles, aidée par des commentaires politiques mordants.
La Syrie d’avant-guerre a produit des comédies remarquables, mais rien ne s’est autant démarqué que De’ah Da’iah (« le district de Dayaa », 2008-2010) de Laith Hijo, une comédie de potes se déroulant dans la ville côtière de Lattaquié qui oppose la nature et la vie traditionnelle à l’urbanité moderne.
Mis à part la caractérisation hilarante, ce qui élève le spectacle est son sous-texte politique audacieux et provocateur, qui touche à la corruption structurelle, à la négligence gouvernementale et à la migration forcée. Ne durant que deux saisons, De’ah Da’iah est la dernière comédie syrienne importante.
Plus controversée, du moins dans ses premières saisons : Tash ma Tash, série en cours depuis 1992. L’émission de télévision la plus connue et la plus ancienne d’Arabie saoudite est une comédie qui suit les mésaventures de deux fauteurs de troubles (interprétés par Nasser al-Qasabi et Abdullah al-Sadhan) dans un pays déchiré entre modernité et tradition archaïque.
Contrairement aux séries syriennes et égyptiennes, l’humour de Tash ma Tash ne se traduit pas toujours bien, tandis que la mise en scène est très élémentaire. Mais la critique sociale affichée était époustouflante pour l’époque, ciblant les responsables religieux, la bureaucratie et le népotisme.
L’émission a perdu sa niaque après son acquisition par MBC en 2005, devenant rapidement un moyen pour le régime saoudien de diffuser son programme.
Tout aussi politique et plus pertinent, Watan ala Watar (« un pays suspendu à un fil », 2009 à aujourd’hui) est le feuilleton télévisé le plus regardé de Palestine de tous les temps. Il dénonce tout, des querelles de factions à l’incompétence, ainsi que l’impact de la stagnation politique sur les individus, ce qui lui a souvent valu les foudres des autorités locales.
Les trois premières saisons sont les plus pointues, et même si son ton critique s’est quelque peu atténué, Watan ala Watar reste un élément impératif de la scène télévisée palestinienne autrement pauvre.
L’Égypte a produit sa juste part de joyaux comédiques, au point qu’il est difficile de réduire le choix à un seul chiffre. Saken Ossady (« le voisin d’à côté », 1995), une satire sociale incisive d’Ibrahim al-Shaqanqiry sur l’étrange rivalité entre deux familles voisines représentant la vieille bourgeoisie mourante et les nouveaux riches, est particulièrement appréciée.
Ne contenant aucunement le sentimentalisme mou fréquent dans les comédies sociales arabes, la série écrite par Yousef Owf est hilarante du début à la fin – acerbe mais attachante, intelligente mais non condescendante.
C’est aussi l’un des documents les plus frappants de l’ère Moubarak – de la disjonction de classe, de la bureaucratie kafkaïenne et de la prolifération cannibale de la culture de consommation.
L’évasion avec Fawazeer
Fawazeer (« énigmes »), est une invention intrinsèque au Ramadan. Diffusés pour la première fois en 1967, chacun des 30 épisodes de Fawazeer contenait une énigme révélée à la fin du mois, réalisée dans une série d’histoires interconnectées parsemées de chants et de danses.
Au fil des ans, Fawazeer a connu une croissance exponentielle en ampleur, atteignant son apogée avec les deux plus grandes stars du genre : Nelly et Sherihan.
De 1975 à 1995, le duo a créé les comédies musicales les plus visuellement époustouflantes de l’histoire de la télévision arabe, combinant des décors élaborés, des costumes criards, des airs contagieux et des numéros de danse chorégraphiés de manière inventive avec des récits fantastiques, teintés de surréalisme. Imaginez des comédies musicales de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) rencontrant Bollywood et vous aurez une idée de la magnificence de Fawazeer.
Pour les générations suivantes, comme l’indique le court métrage Warsha (2022) de Dania Bdeir, lauréat de Sundance, Nelly et surtout Sherihan sont devenus des symboles queers, donnant une nouvelle tournure inattendue à un genre qui a résisté à l’épreuve du temps.
Par où ne pas commencer
Le Golfe a une longue histoire de création télévisuelle, en particulier le Koweït, qui a marqué son premier succès du Ramadan en 1970 avec la comédie Aglah & Amlah.
Contrairement aux récentes productions de l’Égypte, de la Syrie et du Liban, les séries du Ramadan provenant du Golfe ont peu progressé, à la fois sur le plan narratif et esthétique.
S’adressant aux téléspectateurs locaux, de nombreuses séries classiques du Ramadan de la région – Ayam La Tonsa (« jours inoubliables », 1974) en Arabie saoudite, Darb al-Zalaq au Koweït (1977), Sawalef Om Helal (1988) à Bahreïn – relèvent de la nostalgie, appréciées en grande partie par les personnes plus âgées mais difficiles à suivre en dehors du Golfe.
Les séries libanaises restent un goût qu’on acquiert : essentiellement, des mélodrames romantiques à la turque coupés de toute réalité sociale et évitant tout enchevêtrement politique.
Les thrillers d’espionnage égyptiens populaires et réputés, dont le plus célèbre est le légendaire Raafat al-Haggan (1988-1991), sont indéniablement captivants mais ne vieillissent pas bien, embourbés dans un nationalisme imposé par l’État qui se prête à la parodie.
L’importance historique des séries religieuses, quant à elle, ne peut masquer leur impénétrabilité. Révérencieuses jusqu’à la faute et toujours pleines d’inexactitudes, des œuvres illustres telles que Omar du Qatar (2012), Umar ibn Abd al-Aziz (1994) en Égypte et Muawiya, Hassan et Hussein au Koweït (2011) sont de grandes leçons d’histoire islamique, mais ne constituent pas un choix télévisuel de premier ordre.
- Joseph Fahim est un critique et programmeur de films égyptien. Il est le délégué arabe du Festival international du film de Karlovy Vary (Tchéquie), ancien membre de la Semaine de la critique de Berlin et ancien directeur de la programmation du Festival international du film du Caire. Il est co-auteur de plusieurs livres sur le cinéma arabe et a écrit pour de nombreux médias et think tanks spécialisés sur le Moyen-Orient, notamment le Middle East Institute, Al Monitor, Al Jazeera, Egypt Independent et The National, ainsi que pour des publications cinématographiques internationales telles que Vérité Magazine. À ce jour, ses écrits ont été publiés en cinq langues.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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