« Little Palestine, journal d’un siège » : la résilience palestinienne à l’honneur dans un long métrage
Quel est le secret de la résilience et de la détermination des Palestiniens, ce qu’ils appellent soumoud ? Décennie après décennie, ils sont confrontés à la brutalité, à la dépossession et à la brutalité flagrante d’individus qui n’ont aucun compte à rendre, mais ont l’audace de jouer les victimes. Imaginez que vous êtes Palestinien : comment faites-vous face ?
Laissez-moi vous raconter une histoire. En quarantaine et isolé à la maison ces jours-ci, je regarde presque tout sur le petit écran de mon iPad, à quelques centimètres seulement de mon visage et avec des écouteurs pour épargner à mes jeunes enfants le bruit et les occasionnels écarts de langage.
Le fait que les Palestiniens vivent sous le siège, sous l’occupation, subissent la dépossession, l’exil et la misère commence à se transformer en quelque chose d’allégorique
Ce n’est pas l’idéal pour regarder des films, surtout pour ma génération qui est née et a grandi avec le grand écran. Mais la pandémie de COVID-19, combinée aux progrès du numérique, a rendu possible cette aubaine en demi-teinte. L’isolement sanitaire s’accompagne de Netflix, HBO Go, Amazon Prime, Hulu et Dieu seul sait quelles autres plateformes de streaming. Mais que Dieu vous garde si vous êtes à la merci des goûts de ces entreprises et de leur sagesse inexistante.
Pendant les vacances de Noël, j’ai été gratifié d’un festival personnel du film palestinien, offert par l’un des plus grands cinéastes palestiniens vivants, Nizar Hassan. Depuis son domicile près de Nazareth, il a rassemblé pour moi une collection audacieuse et révélatrice d’œuvres récentes. Nous communiquions via WhatsApp, e-mail et SMS, et en s’adaptant au décalage horaire entre New York et Nazareth, nous discutions après le visionnage autour d’un thé et d’un café, bien que nous nous trouvions d’un bout à l’autre du monde.
Nous avons parlé de politique, de la vie, de bons et de mauvais films, tout en échangeant les dernières nouvelles concernant nos vies personnelles, nos familles, nos projets précédents et à venir. Ensuite, nous ajournions la séance jusqu’au prochain film. C’était comme être au festival du Caire, de Cannes, de Berlin ou de New York – sauf que celui-ci était en ligne et entièrement consacré aux films palestiniens les plus récents.
La vie sous le siège
Un des films majeurs que j’ai vus ainsi, c’est Little Palestine, journal d’un siège d’Abdallah al-Khatib, à propos du camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie. Celui-ci abrite des milliers de Palestiniens et est devenu un important champ de bataille pendant la révolution syrienne et le chaos qui a suivi. Le documentaire suit la vie de Palestiniens lambda sous le siège en accordant une attention particulière aux détails. Il est d’une clarté saisissante et on discerne la touche de quelqu’un qui sait.
Tout au long du film, la caméra de Khatib devient une résidente discrète du camp – toujours là, invisible pour elle-même et pour les autres. Il est impossible d’imaginer qu’un autre cinéaste, à l’exception de quelqu’un qui a passé sa vie dans le camp, puisse placer et déplacer une caméra de manière aussi imperceptible, tout en saisissant des images intégrales d’un paysage que nous apprenons à embrasser.
Il ne semble pas y avoir beaucoup de choses en ligne sur le film ou son réalisateur, mais un synopsis sur le site de critique de films Rotten Tomatoes indique : « Entre 2011 et 2015, [Khatib] et ses amis ont documenté la vie quotidienne des habitants assiégés, qui ont décidé de faire face aux bombardements, au déplacement et à la faim en se rassemblant, en étudiant, en musique, avec amour et joie. Des centaines de vies ont été irrémédiablement transformées par la guerre et le siège – de celle de la mère d’Abdallah, devenue infirmière s’occupant des personnes âgées dans le camp, aux militants les plus féroces dont la passion pour la Palestine a été progressivement sapée par la faim. »
J’ai commencé à me renseigner davantage sur Khatib, qui aurait étudié la sociologie à l’Université de Damas et était actif aux côtés de l’agence de l’ONU pour les réfugiés à Yarmouk avant le soulèvement syrien.
La poésie de Khatib, intitulée Les 40 règles du siège, plane sur le documentaire comme un fantôme errant : « Quand l’avenir tire la langue de manière sarcastique / Quand les réponses les plus évidentes aux questions simples / Sont aussi rares qu’un morceau de sucre. » Ici, on réalise que ce que Khatib a amené devant sa caméra est la fusion de faits évidents et de visions libératrices, autrement dissimulées aux observateurs ponctuels de la vie palestinienne.
Souffrance et joie
C’est alors que la dystopie qu’on constate de nos propres yeux commence à promettre une utopie qui n’a jamais été. Le fait que les Palestiniens vivent sous le siège, sous l’occupation, subissent la dépossession, l’exil et la misère commence à se transformer en quelque chose d’allégorique. La souffrance humaine se mue en joie, la douleur en rire, le désespoir en bonheur, l’abandon en soins vivants.
Khatib ne cille pas devant la souffrance qu’il nous montre et il n’imagine pas non plus des choses qui ne sont pas là. Tout est là, mais il faut le regard d’un poète pour en véhiculer le sens véritable.
On en revient à la question : comment les Palestiniens survivent-ils ? Quel est le secret de leur résilience et que peut apprendre le monde de cette résilience ? Le fossé entre ce film et des films similaires d’une part, et les circonstances dans lesquelles Hassan s’est arrangé pour que je les voie de l’autre, se comble maintenant. Nous ne contrôlons pas les calamités qui nous tombent dessus, qu’il s’agisse d’une pandémie mondiale ou du colonialisme européen. Mais nous contrôlons la façon de renverser ces faits, de les faire désigner un monde que nous devons délibérément récupérer.
Les circonstances dans lesquelles Khatib entre en contact avec le monde extérieur sont elles-mêmes révélatrices. Selon un article du Guardian paru en 2015, « lors d’une interview via Skype depuis son domicile, Khatib se déconnecte toutes les demi-heures. Il a cinq ordinateurs portables qu’il charge tous les soirs sur un générateur parce que l’électricité est coupée. Ces ordinateurs portables appartenaient à des amis activistes qui ont été tués, l’un d’eux le jour même de l’arrivée de l’[État islamique] alors qu’il tentait de documenter l’invasion avec sa caméra. »
La même situation persiste dans tous les autres camps de réfugiés palestiniens en Palestine et en dehors, peut-être à Gaza plus particulièrement. Mais la vie doit continuer, et c’est le cas. Pensez à la règle numéro un des 40 règles du siège de Khatib : « L’amour et la mort sont directement liés / Plus vous aimez l’amour, plus vous craignez la mort / Et plus vous aimez la mort, plus vous craignez l’amour / Moi, j’ai peur de l’amour. »
« Rayon de soleil »
Ce poète né est condamné à voir la beauté en tout. Comme le notait l’article du Guardian : « Abdallah al-Khatib a médité sur la balle de sniper qui avait percé la fenêtre de sa maison près du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk. Étonnamment, il lui était reconnaissant. ‘’Le sniper voulait tuer quelqu’un, mais ce trou a permis à un rayon de soleil de percer’’, déclarait-il. ‘’Toute chose a deux faces. Il y a de la beauté en toute chose’’. »
Mais de quoi parle exactement le documentaire ? Un critique commence par la bonne note : « La raison pour laquelle le camp de réfugiés […] devrait être une cible de siège, sinon l’excuse omniprésente qu’il est infiltré par les rebelles de Daech [l’État islamique], n’est jamais expliquée. Il ne s’agit toutefois pas d’un documentaire sur la guerre en Syrie, mais d’un portrait de quelque 160 000 pauvres gens entassés dans quelques kilomètres carrés d’immeubles en béton en ruine et éventrés par la guerre, essayant de survivre après une vie passée à essayer de survivre contre vents et marées. »
Dans cette transmutation des reliques numérisées en vérités intransigeantes réside l’endurance de la cause palestinienne : le soumoud
Il ne faut pas romancer la souffrance palestinienne ou l’enrober de poésie. La poésie palestinienne, de Mahmoud Darwish à Khatib, n’est pas jolie ; elle n’est pas belle ; elle est réelle. Nous sommes impressionnés par cette réalité.
Ce qui a été fait aux Palestiniens est barbare, et ceux qui l’ont fait – et qui vivent triomphalement sur leurs ruines – sont des barbares. La poésie de Khatib ou de Darwish n’édulcore pas cette barbarie. Au lieu de cela, elle cède à un sentiment de sublimité coïncidant avec la réalité qu’il voit et la vérité qu’il dit.
Il faut un poète et un artiste courageux et audacieux en Syrie, un maître documentariste en Palestine et un témoin mis en quarantaine chez lui à l’autre bout du monde pour retourner les fragments numérisés de leur vie afin de voir quelque chose au-delà de ces limites, atteignant une allégorie de nos allées et venues terrestres. Dans cette transmutation des reliques numérisées en vérités intransigeantes réside l’endurance de la cause palestinienne : le soumoud.
- Hamid Dabashi est professeur d’études iraniennes et de littérature comparée, récipendiaire de la chaire Hagop Kevorkian, à l’université de Columbia à New York. Parmi ses derniers ouvrages figurent Reversing the Colonial Gaze: Persian Travelers Abroad (Cambridge University Press, 2020) et The Emperor is Naked: On the Inevitable Demise of the Nation-State (Zed, 2020). Son prochain livre, On Edward Said: Remembrance of Things Past, devrait être publié par Haymarket Books dans l’année.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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