Turquie : Erdoğan booste les salaires et les services sociaux pour remporter les élections
À dix mois des élections en Turquie, le président Recep Tayyip Erdoğan montre déjà qu’il ne se laissera pas faire en dépit des difficultés économiques du pays.
L’inflation annuelle a dépassé 80 % en août, tandis que la livre turque poursuit sa dépréciation par rapport au dollar américain, avec une chute de 27 % de sa valeur enregistrée cette année.
Mais les sondages réalisés par des instituts indépendants comme par l’AKP au pouvoir montrent que le soutien en faveur du gouvernement se renforce depuis quelques mois. Le changement d’état d’esprit des électeurs encourage le parti au pouvoir à croire qu’il peut remporter les prochaines élections.
Même les observateurs qui avaient initialement écarté toute chance de victoire d’Erdoğan pensent désormais qu’il pourrait conserver son poste.
Le président est connu pour sa capacité à sortir des lapins de son chapeau et à tirer son épingle du jeu lors des campagnes électorales.
Cette fois-ci, il joue la carte populiste traditionnelle en boostant les salaires et les dépenses sociales et en effectuant des percées dans différents segments de la société.
En juillet, Erdoğan a augmenté le salaire minimum de 30 %, une mesure qui a touché près de la moitié des 30 millions de travailleurs du pays. Son gouvernement a enchaîné en augmentant les salaires des employés du secteur public d’environ 42 %, ce qui a profité à près de cinq millions de fonctionnaires. Le secteur privé lui a emboîté le pas.
Hausse des aides sociales
Le gouvernement d’Erdoğan a ensuite initié des réformes de la rémunération du personnel de santé, annulé les intérêts sur les prêts étudiants, lancé un programme de logement à bas coût pour les primo-accédants et créé un système proposant aux entreprises des crédits plus avantageux – soit autant de manœuvres stratégiques pour attirer certains blocs d’électeurs.
Si Erdoğan insiste sur le fait que les faibles taux d’intérêt lui coûtent très cher, le dirigeant a trouvé 7 à 10 milliards de dollars auprès de la Russie pour les réserves en déclin de la Banque centrale de Turquie et cherche à obtenir 20 milliards de dollars de l’Arabie saoudite pour financer le déficit courant, gonflé par la volatilité des prix de l’énergie.
Erdoğan a trouvé 7 à 10 milliards de dollars auprès de la Russie et cherche à obtenir 20 milliards de dollars de l’Arabie saoudite
Le président turc ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a annoncé la semaine dernière un autre plan d’aide destiné aux faibles revenus : le gouvernement versera 30 milliards de livres turques (1,6 milliard d’euros) pour solder les prêts contractés par plus de cinq millions de personnes.
Le ministère de l’Énergie continuera également de subventionner les factures d’électricité et de gaz, une politique qui devrait coûter 200 milliards de livres (11 milliards d’euros) cette année.
Le ministère de la Famille entend augmenter les aides sociales à destination des personnes se trouvant dans l’incapacité de payer leurs factures. Une nouvelle loi sera ratifiée pour permettre aux personnes concernées par une « retraite différée » de prendre leur retraite, ce qui apaisera un bloc puissant qui milite en ce sens depuis des années.
Le gouvernement entend également convertir des centaines de milliers de postes contractuels en emplois permanents.
En parallèle, en dépit d’une inflation galopante, le PIB de la Turquie a augmenté de 7,6 % au deuxième trimestre 2022 grâce à de solides revenus issus du tourisme, à une augmentation des exportations et à des injections directes de liquidités en provenance de Russie et du Golfe – mais avec un déficit commercial en forte hausse.
Selon des sources proches du gouvernement, le parti au pouvoir continuera d’augmenter le salaire minimum et les salaires des fonctionnaires l’année prochaine.
« Les gens s’habituent à l’inflation, qui ralentira en hiver », affirme une source à Middle East Eye. « L’inflation aura de moins en moins d’importance à l’avenir. Et avec toutes ces mesures, la situation financière des gens s’améliorera. »
En effet, Erdoğan accède à toutes les revendications populistes d’ordre fiscal et économique des électeurs dans l’espoir de préserver sa base de soutien. Dix mois, c’est long, mais il ne faut pas le retirer de l’équation.
Opération séduction chez les alévis
Le candidat à la présidence le plus probable de l’opposition, le leader du CHP Kemal Kılıçdaroğlu, répond à ces mesures en mettant en avant toute une série de problèmes qui préoccupent le grand public.
Ses critiques portant sur les factures d’électricité, le manque de dortoirs pour les étudiants, les prix élevés des véhicules et les problèmes de retraite poussent le gouvernement à prendre des mesures sur ces terrains.
« Kılıçdaroğlu ne fait que parler, mais moi, j’agis », a déclaré un jour Erdoğan, semblant ainsi confirmer que son gouvernement agit en réaction aux déclarations du chef de l’opposition. La cote de popularité de Kılıçdaroğlu est également en train de rattraper rapidement celle d’Erdoğan.
S’il milite pour les sujets qui lui tiennent à cœur, Kılıçdaroğlu ne dispose pas des mêmes leviers financiers pour subvenir aux besoins du public, à l’exception des municipalités gérées par l’opposition en proie à des problèmes budgétaires.
Par ailleurs, l’opposition fait face à une lutte interne pour présenter un candidat commun : l’opposition nationaliste turque ne veut pas coopérer avec le HDP pro-kurde contre Erdoğan, ce qui compromet la possibilité d’intégrer leurs 10 % de voix, qui seraient d’une importance cruciale pour remporter la course électorale.
Erdoğan a pour sa part effectué un acte de foi en s’adressant symboliquement à la communauté religieuse des alévis, qui compte près de cinq millions de personnes. Les alévis sont généralement opposés à Erdoğan et ont tendance à voter pour le CHP et les partis de gauche.
Pour la première fois en vingt ans, Erdoğan a visité le mois dernier un cemevi, lieu de rassemblement religieux des alévis, et a rencontré leur clergé. Il a ensuite assisté à une fête alévie en l’honneur d’un de leurs héros religieux. En parallèle, le ministère de l’Intérieur place des alévis à des postes d’État.
Fervent sunnite, Erdoğan a toujours eu maille à partir avec les alévis, mais il tente également de satisfaire leurs revendications. Cette approche est interprétée par de nombreux observateurs à Ankara comme un effort visant à rendre l’opposition moins cohérente et à diminuer l’animosité envers Erdoğan au sein de la communauté alévie, témoignant ainsi du pragmatisme du président.
Il est difficile de prévoir s’il remportera le prochain scrutin, compte tenu des importants défis économiques et politiques auxquels le pays est confronté. Mais une chose est sûre : Erdoğan est prêt à se montrer créatif et à se dépasser, tandis que l’opposition souffre toujours d’un manque d’unité et de stratégie.
Une catastrophe en Europe liée à la crise énergétique pourrait offrir à Erdoğan une autre opportunité. En dépit du risque pour l’économie turque, cette situation pourrait favoriser le tourisme et occasionner davantage de commandes européennes pour des exportations turques, ce qui aiderait le pays à maintenir la croissance de son PIB. Ce serait une aubaine pour sa stratégie consistant à injecter de l’argent dans la sphère publique.
- Ragıp Soylu est correspondant de MEE en Turquie, établi à Ankara. Il était auparavant correspondant pour les médias turcs Daily Sabah et atv à Washington et à Londres. Il a également collaboré avec divers organismes d’information, dont CNN et Foreign Policy.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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