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Affaire des drones : où se cachent les bases américaines en Afrique du Nord ?

Alors qu’une nouvelle polémique éclate sur le déploiement de drones américains en Tunisie, qu’en est-il vraiment de la présence militaire des États-Unis en Afrique du Nord ? Le point sur une présence plus fantasmée qu’opérationnelle

L'utilisation de de drones dans le Sahara se limiterait donc à la surveillance des routes caravanières et des points d’eau, ou au bombardement de cibles déterminées (AFP)

Depuis un an, pas un mois ne passe sans que le site de suivi des vols Flightradar24 ne détecte le survol d’un pays du Maghreb ou du Sahel par un avion de reconnaissance ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance), capable de filmer de jour comme de nuit en haute résolution tout ce qui se passe au sol, ni sans que soit annoncée l’installation d’une base de drones américains dans la région.

Après la méga-infrastructure de 100 millions de dollars (un peu plus de 90 millions d’euros) en construction à Agadez dans le nord du Niger, c’est la Tunisie qui a été citée hier, par un officiel américain dans le Washington Post, comme étant lieu d’opération de drones américains.

Réaction officielle du ministre tunisien de la Défense : il n’y a aucune base américaine en Tunisie. Dans une déclaration, mercredi, à l'agence TAP, le porte-parole du ministère, le colonel Belhassen Oueslati, explique que la coopération militaire entre la Tunisie et les États-Unis comprend un programme d'entraînement et de formation offert par des experts militaires américains sur l'utilisation d'un matériel sophistiqué de reconnaissance et de contrôle.

« En effet, on ne peut pas considérer 70 soldats et quelques drones, dans un hangar en bout de piste d’une base aérienne comme une base souveraine d’un pays étranger, mais une mise à disposition partielle d’une infrastructure. Le ministre tunisien a bien botté en touche » confirme à MEE un expert américain.

Car c’est là la pratique usuelle des américains dans la région : implanter dans les armées locales, de petites unités pouvant au choix intervenir ou faire de la reconnaissance.

L’Île mystérieuse de Pantelleria

C’est le cas au Maroc, où le Haut commandement de l’armée américaine pour l’Afrique basé en Allemagne (AFRICOM) utilise depuis maintenant plusieurs années une partie de la base aérienne de Guelmim (dans le sud marocain) pour ses activités de surveillance aérienne. Idem au Mali et au Burkina Faso, où la France et les États-Unis gardent une présence non négligeable de moyens de reconnaissance.

Mais les puissances occidentales gardent aussi des capacités d’intervention dans les enclaves européennes proches de l’Afrique du Nord.

L’aéroport international de Luqa à Malte est devenu une plaque tournante pour les aviations italiennes, françaises et américaines, pour la surveillance du Golfe de Syrte, parfois sous couvert des opérations de contrôle de l’immigration clandestine de l’agence Frontex.

La position la plus mystérieuse avérée, utilisée par le renseignement américain pour espionner les cieux tunisiens et libyens reste Pantelleria.

Cette petite île italienne, qui se trouve à peine à 60 km au large de la ville de Klibia en Tunisie, est devenue une véritable plateforme offshore pour les compagnies privées de renseignement aérien, qui louent leurs appareils aux États-Unis mais à d’autres pays comme la France ou l’Italie.

Cachés sous des noms génériques tels que CAE Aviation –  dont le Fairchild Melin III (avion de reconnaissance à hélice) s’est crashé à Malte avec à son bord des espions français – ou Aircraft Logistics Group, ils épient nuit et jour le mont Chaambi en Tunisie ou les faubourgs de Misrata en Libye.

Sans oublier les bases de Rota et de Moron en Espagne qui seront le fer de lance américain en cas d’action en Afrique du Nord.

Tamanrasset, base rêvée pour les Américains

Quid de l’Algérie ? Les États-Unis avaient, bien avant le reste des pays de la région, tout entrepris pour louer la base aérienne de Tamanrasset, à l’extrême sud du pays.

Idéalement située et permettant de couvrir l’ensemble de la zone sahélo-saharienne, elle présentait de plus l’avantage d’avoir été construite par une entreprise américaine (BRC, filiale de Halliburton) selon des normes de l’OTAN.

C’est en tout cas ce qu’affirme l’auteur et journaliste russe du quotidien Pravda, Sergey Balmasov, qui a publié dans la publication de la Fondation pour la culture stratégique un long déroulé sur les tractations qui ont eu lieu ces dernières années, entre Alger et Washington et la gestion prudente de l’armée algérienne de la présence américaine dans la région sahélo-nord-africaine.

Même si l’intention était connue dès 2003, Washington n’a entrepris de démarches sérieuses que durant l’hiver 2009/2010. Ce qui a fait d’Alger, le temps d’une saison, une destination privilégiée des hauts gradés de l’armée américaine, des agences de renseignement (CIA, NSA, DIA, etc.) et des pontes de la diplomatie de l’ombre. Un seul leitmotiv : convaincre leurs homologues algériens d’intensifier « la coopération contre le terrorisme », ou plutôt d’adhérer à la vision de la guerre américaine « contre le terrorisme ».

Des deux pieds au Sahel

L’une des réunions les plus importantes a eu lieu le 3 février 2010 et a réuni le directeur général de la Sûreté nationale algérienne, le colonel Ali Tounsi (assassiné une semaine plus tard) et Gina Abercombie-Winstanley, haut fonctionnaire du bureau de coordination du Département d’État pour le contre-terrorisme.

Cette réunion avait été précédée par celle qui a mis face à face le général cinq étoiles William Ward, commandant de l’AFRICOM au général-major Lounès, commandant des forces aériennes. Et par la rencontre du patron de l’US Airforce pour l’AFRICOM, le général Ronald « Ron » Landier, avec des membres du gouvernement algérien.

À la mi-février 2010, les négociateurs américains, y compris l’ambassadeur de l’époque David Pierce, qui fut le premier « chargé de mission » en vue d’obtenir la location d’une base, ont rapporté un « assouplissement » des conditions algériennes et ont semblés confiants quant à l’installation d’une base de drones à Tamanrasset. « Le risque de déstabilisation nous a paru trop important », explique un officier des services de renseignements à Alger.

Jusqu’à ce que les révoltes arabes et l’intervention de l’OTAN en Libye ne remettent en question ce nouveau style de coopération algéro-américaine. 

Certains hauts gradés américains se congratulaient déjà  en coulisses d’avoir les deux pieds au Sahel et anticipaient même l’utilisation de la base de Tamanrasset pour des opérations autres que celles de reconnaissance de routine (comme par exemple le suivi du déploiement de l’armée algérienne).

En janvier 2012, Alger, qui change radicalement de ton, refuse officiellement de discuter de location de bases militaires. Le message est non seulement adressé aux Américains mais aussi à toutes les forces étrangères qui montreraient une intention dans ce sens.

Surveiller le désert, un défi encore impossible

Pour comprendre la raison principale de la démarche américaine d’essaimer des drones dans la région, il faut revenir aux capacités réelles des drones Reaper, largement utilisés sur le théâtre sahélien et tordre le cou à quelques idées reçues.  

D’abord, un millier d’avions sans pilote continuellement en vol ne pourront voir qu’une infime fraction de cette immense région de plus de 3 millions de kilomètres carrés.

Leur utilisation se limiterait donc à la surveillance des routes caravanières et des points d’eau, ou au bombardement de cibles déterminées. Car c’est là toute la différence entre la présence de drones dans la région et leur absence.

« En multipliant des bases, l’armée américaine se dote de la capacité de frapper dans un délai de quelques minutes ou de quelques heures des cibles qui se seraient dévoilées à travers de précédents vols de reconnaissance, de renseignements sur le terrain ou d’identification radio », précise un militaire algérien à MEE.

C’est d’ailleurs ce qui a manqué aux Américains lors des attaques de Benghazi en 2012 qui ont coûté la vie à l’ambassadeur Stevens, pendant lesquelles il aura fallu deux heures pour dépêcher un drone d’une base du nord de l’Italie.

L’enjeu pour les Américains ? Trouver le moyen de surveiller une région grise tellement grande qu’elle en devient impossible à surveiller, en maximisant les chances de tomber sur des nids de combattants armés, mais aussi d’avoir une vision précise sur ce qui se passe en Libye.

En se dotant d’un satellite de télécommunication et en s’apprêtant à acquérir une grande quantité de drones armés chinois CH4 et émiratis Yabhon United 40, l’Algérie espère entrer dans le jeu et se donner les moyens de voir et intervenir bien au-delà de ses frontières.

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