Al-Nosra renforce sa mainmise sur Alep, en dépit de l’opposition civile
ALEP, Syrie – Les drapeaux noirs du Front al-Nosra sont brandis fièrement alors que ses partisans défilent dans les rues de la partie orientale de cette ville contrôlée par les rebelles.
Le trafic est au point mort tandis que des foules se rassemblent pour tirer en l’air à la Kalachnikov et louer la filiale d’al-Qaïda : « Nous sommes les soldats de Dieu… la démocratie est pour les infidèles. »
Depuis le début de l’année, ces défilés sont devenus un événement quasi-hebdomadaire à Alep, ville qui est devenue une poudrière de la guerre de Syrie – attaquée depuis les airs par la Russie, appuyée sur le terrain par les forces gouvernementales syriennes.
Le cessez-le-feu convenu au niveau international entre les rebelles « modérés » et les forces gouvernementales syriennes n’inclut pas al-Nosra, faisant pression sur ses combattants par un bombardement continu afin qu’ils se retirent des zones civiles.
À Idlib, ville voisine et bastion du groupe, des manifestants pro-démocratie ont affronté des partisans d’al-Nosra le mois dernier.
Cependant, à Alep, al-Nosra semble rester de marbre face aux contre-défilés des modérés et à l’opposition à sa présence, apparemment croissante parmi les habitants.
Tout indique qu’al-Nosra est à Alep et compte y rester.
Mustapha al-Maghrebi, qui vend des vêtements dans l’est de la ville, a déclaré à Middle East Eye : « Les manifestations visent les personnes qui s’opposent à eux. Ils appellent à la mise en place d’un califat et de la charia à la place du régime ‘’infidèle’’ », a-t-il ajouté – allusion aux modérés qui dirigent actuellement les zones tenues par les rebelles.
« Ils n’ont pas d’autre but que de rappeler à la population et à l’Armée syrienne libre qu’al-Nosra est présent, fort et n’ira nulle part. »
Arif al-Ahmed, professeur d’anglais, a ajouté : « Évidemment. Qui peut vivre dans Alep et n’avoir jamais vu les manifestations d’al-Nosra dans les rues ? Ils ciblent des zones où le niveau d’éducation religieuse n’est pas élevé. Dieu les punira pour cela. »
Al-Nosra s’est engagé dans la guerre syrienne en 2011, et en 2012 avait émergé comme l’un des groupes militaires les plus redoutables d’Alep.
Les relations entre al-Nosra et les autres groupes rebelles à Alep sont mitigées depuis lors. En 2012, certains commandants de l’ASL à Alep ont salué ce groupe, qualifié de précieux dans leur guerre contre le président Bachar al-Assad. Cependant, d’autres ont critiqué l’idéologie d’al-Nosra.
Mais chez certains combattants de l’ASL, le sentiment est différent.
Ahmad Jalal, commandant dans l’ASL, estime que jusqu’à un tiers des habitants soutient le groupe et suggère une alliance avec al-Nosra malgré leur statut d’épouvantail dans le cessez-le-feu.
« Les Syriens ont beaucoup d’amis dans la bataille sur le front », a-t-il expliqué. « Nous différons [d’al-Nosra] à bien des égards, mais ils ne sont pas nos ennemis au sens littéral aussi longtemps qu’ils ne nous combattent pas. Ils ne sont pas nos ennemis et ne sont pas nos amis non plus en ce moment. »
Abd ar-Rahman Sheikh, un capitaine de Jaysh al-Islam, un groupe salafiste allié à l’ASL, va un peu plus loin.
Sheikh, stationné à Alep, ne considère pas al-Nosra comme un ennemi et estime que ses combattants constituent une force importante dans la ville – leurs prouesses sur le champ de bataille ne doivent pas être occultées.
« Pour moi, nous n’avons aucun problème. Ils sont de forts combattants sur le front », juge-t-il.
Bien que ni Jalal ni Sheikh ne soient les porte-parole de leurs groupes respectifs, leurs déclarations indiquent qu’au moins certains commandants rebelles estiment que la filiale d’al-Qaïda sera nécessaire dans les batailles à venir.
Et al-Nosra a été actif pendant le cessez-le-feu.
Plus tôt cette semaine, ses combattants ont chassé les forces gouvernementales syriennes du village alépin d’el-Eis, ce qui suggère une volonté non seulement de maintenir, mais aussi d’étendre son influence dans la province.
La paix précaire avec d’autres groupes rebelles ne tient toutefois pas toujours et d’autres coups de force pourraient amener à s’interroger sur ce point.
L’ASL a affronté al-Nosra plus tôt cette année dans la province d’Idlib.
Un rapport de IHS Conflict Monitor, qui suit le conflit en Syrie, indique qu’il y a eu une « augmentation substantielle » des combats entre les groupes sunnites qui soutiennent le cessez-le-feu et les factions sunnites rivales qui ne soutiennent pas le cessez-le-feu ou en ont été exclues.
À Idlib, les combats entre al-Nosra et son allié Jund al-Aqsa, d’un côté, et les forces kurdes et l’ASL de l’autre « ont quadruplé voire quintuplé au cours des deux premières semaines depuis la trêve ».
La possibilité d’affrontements similaires à Alep se profile.
Khaldoun Dibluni, un vendeur en téléphonie mobile dans l’est d’Alep, observe tout ce qui se passe – bombardements, mitraillage des avions gouvernementaux et multiplication des manifestations. « Chaque semaine, des gens manifestent, brandissant soit les bannières vertes de la révolution soit les bannières noires du front al-Nosra », a-t-il rapporté.
Pour certains Alépins, il y a des raisons de croire que la présence d’al-Nosra renforcera la guerre en ville, malgré le cessez-le-feu.
« Évidemment, je m’inquiète », a déclaré Maghrebi, le vendeur de vêtements. « Les puissances internationales bombardent les régions où est présent al-Nosra. Cela s’est produit récemment depuis le cessez-le-feu. »
Reste à voir s’il assistera à des combats en règle impliquant al-Nosra.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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