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Algérie : l’autosuffisance alimentaire, un ambitieux projet menacé par le réchauffement climatique

L’Algérie, malgré sa grande dépendance aux importations, vise l’autosuffisance alimentaire. Mais la sécheresse qui touche sa bande côtière menace ces ambitions. Comme alternative, les autorités se tournent vers le Sahara, où les eaux souterraines sont abondantes
Cette année, en raison de la sécheresse et du retard des pluies, les olives sont prématurément mûres. Certains agriculteurs ont donc commencé la cueillette plus tôt que prévu (AFP/Ryad Kramdi)
Cette année, en raison de la sécheresse et du retard des pluies, les olives sont prématurément mûres. Certains agriculteurs ont donc commencé la cueillette plus tôt que prévu (AFP/Ryad Kramdi)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

Comme chaque matin, Mohamed Gasmi part inspecter sa ferme. Son champ de près de cinq hectares, situé dans la région de Baba-Ali, près d’Alger, est labouré depuis plusieurs semaines pour accueillir des grains d’avoine.

Mais alors que décembre commence, les précipitations sont encore trop rares. « En principe, nous devons semer en octobre. Mais la pluie se fait attendre, alors nous attendons », confie à Middle East Eye le quadragénaire, au teint basané, un brin fataliste.

En cette journée de novembre, il fait anormalement chaud. Le soleil, au zénith, caresse cette immense plaine de la Mitidja, dont la végétation jaunie ne s’est pas remise des épisodes caniculaires de l’été et de la chaleur qui s’est poursuivie en octobre et même durant les premiers jours de novembre.

Jadis fertiles, connues pour leur abondante production d’agrumes, de produits maraîchers et de céréales, ces terres agricoles qui s’étendent à perte de vue d’Alger jusqu’aux confins de Blida (vers le sud) et à Boumerdès (à l’est d’Alger) sont aujourd’hui envahies par le béton.

Mohamed Gasmi fait partie de ces agriculteurs qui, en plus de composer avec les constructions qui poussent comme des champignons autour de sa ferme, doit faire face à une pluviométrie capricieuse, ce qui menace son activité.

À l’instar du céréalier de la Mitidja, d’autres agriculteurs se plaignent des retards des pluies qui impactent de plus en plus négativement les rendements agricoles.

Réduire les importations de céréales

Rachid Oulebsir, fermier et oléiculteur dans la vallée de la Soummam (en Basse Kabylie), en donne un exemple dans son secteur. Retraité de l’Éducation nationale, âgé de 70 ans, il est devenu au fil des ans un spécialiste de l’olivier, arbre auquel il a d’ailleurs consacré un livre.

« D’habitude, la cueillette des olives commence début décembre. Mais cette année, à cause de la sécheresse et du retard des pluies, les olives sont prématurément mûres. Certains agriculteurs ont donc commencé la cueillette plus tôt que prévu. La récolte sera donc maigre comparée à l’année précédente par exemple », témoigne-t-il à MEE en décrivant un fruit asséché et sans chair.

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La situation sur le terrain et les alertes météorologiques contrastent avec les ambitions du gouvernement algérien, qui prévoit de couvrir les besoins alimentaires du pays à hauteur de 83 % en 2023.

Cette ambition, affichée par le Premier ministre Aïmene Benabdarrahmane, est justifiée par la hausse enregistrée dans la production de certaines denrées alimentaires.

C’est le cas des céréales, dont la production a augmenté en 2022 de 48 % par rapport à la saison précédente, selon le ministre de l’Agriculture Hafid Henni qui s’exprimait en septembre devant les députés.

Cette hausse touche également les légumineuses : la production a atteint 1,2 million de quintaux, soit une hausse de 20 % par rapport à la saison dernière. La production de pommes de terre a quant à elle grimpé de 30 % avec 44,2 millions de quintaux récoltés en 2022.

Désormais, le gouvernement algérien vise plus haut. Il ne veut plus se contenter de réaliser des rendements excédentaires en fruits et légumes, il veut étendre cette rentabilité à des filières stratégiques comme le blé et le lait, deux produits très consommés en Algérie mais largement importés.

« Il faudrait des pluies pénétrantes au plus vite pour espérer rattraper le retard et ne pas perturber le cycle des cultures, notamment des céréales »

- Mohand-Amokrane Nouad, ingénieur agronome

Pour cela, il mise sur des mesures incitatives visant à améliorer les rendements dans ces filières. Les paysans peuvent par exemple acheter à des prix très avantageux des graines spéciales, adaptées aux climats chauds et arides, que l’État achète sur le marché international.

« Nous devons, dès la prochaine saison agricole, réduire considérablement les quantités de céréales importées », a insisté récemment le président Abdelmadjid Tebboune, qui souhaite dépendre de moins en moins des importations. Mais pour cela, l’agriculture doit « se moderniser, une modernisation qui doit toucher les techniques et les mentalités aussi », a-t-il ajouté en faisant allusion à l’inertie qui empêche le secteur agricole de se moderniser.

Cependant, les autorités algériennes doivent aussi faire face à une sécheresse de plus en plus menaçante selon des experts. Ce qui constitue « un risque » pour le rendement, d’après l’ingénieur agronome Mohand-Amokrane Nouad.

« Pour la majorité des cultures, la saison des semailles est maintenant dépassée de plusieurs semaines », explique-t-il à MEE. « Il faudrait des pluies pénétrantes au plus vite pour espérer rattraper le retard et ne pas perturber le cycle des cultures, notamment des céréales. »

Investir au Sahara 

« On peut semer du blé même en décembre, voire en janvier », tempère pour sa part Rachid Oulebsir, qui espère un retour « au cycle décennal de pluviométrie [décennie au cours de laquelle les précipitations sont plus abondantes que la décennie suivante] spécifique à la Méditerranée » pour notamment remplir les nappes phréatiques.

Les autorités algériennes encouragent les agriculteurs à investir dans les immenses domaines désertiques assis sur la gigantesque nappe phréatique du Sahara, notamment via le raccordement des fermes au réseau électrique et des aides financières pour le forage de puits destinés à l’irrigation.   

« L’avenir de l’Algérie réside aujourd’hui dans les terres sahariennes, d’autant que le Sud algérien pourrait s’ériger en véritable base en vue de réaliser la sécurité alimentaire, à travers des investissements de qualité dans le secteur agricole », a recommandé le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, lors d’un déplacement dans la wilaya (préfecture) d’El-Meghaier (Sud-Est).

Le Qatar, via l’entreprise Baladna, considérée comme l’une des plus importantes sociétés de production laitière du golfe Persique, projette d’ouvrir une ferme dans le Centre-Ouest de l’Algérie pour l’élevage de vaches et la production laitière (AFP/Karim Jaafar)
Le Qatar, via l’entreprise Baladna, considérée comme l’une des plus importantes sociétés de production laitière du golfe Persique, projette d’ouvrir une ferme dans le Centre-Ouest de l’Algérie pour l’élevage de vaches et la production laitière (AFP/Karim Jaafar)

Pour cela, a-t-il promis, « l’État est déterminé à aider et à accompagner les investisseurs désirant développer ce secteur, dans le cadre de la mise en œuvre des engagements pris par le président de la République ».

Pour réaliser ces objectifs, le gouvernement veut procéder par étape.

« Bien entendu, la priorité, pour le moment, c’est d’atteindre une autosuffisance totale en blé dur et en orge, et d’augmenter la production actuelle de blé tendre. Mais par la suite, nous devons développer encore nos capacités pour produire un surplus en orge et en blé dur pour l’exportation », a suggéré Nacredine Messaoudi, dirigeant de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OIC, organisme public) lors d’une conférence tenue en mai à Alger.

Actuellement, la valeur annuelle de la production agricole est estimée à un peu plus de 25 milliards de dollars. Le secteur représente 14 % du produit intérieur brut (PIB) du pays selon le gouvernement.

Mais la facture des importations des biens alimentaires avoisine les 10 milliards de dollars par an. Il s’agit essentiellement des céréales et du lait dont la production locale ne suffit pas malgré la politique de subventions.

Des investissements étrangers sont d’ailleurs prévus pour combler une partie de ce déficit. Le Qatar, via Baladna, considérée comme l’une des plus importantes sociétés de production laitière du golfe Persique, va ainsi investir dans la production laitière et l’élevage de vaches dans une ferme pilote d’El Bayadh (centre-ouest). Le projet devrait démarrer début 2023.

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