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En Algérie, la voiture est devenue un produit rare et cher

Pour préserver les réserves de change et tenter de mettre sur pied une industrie automobile, l’Algérie serre la vis aux concessionnaires. Conséquence : les importations sont inexistantes et les voitures se font rares et chères
Depuis 2019, l’Algérie n’a importé que quelques milliers de véhicules, un chiffre insignifiant comparé aux 450 000 de 2012 (AFP)
Depuis 2019, l’Algérie n’a importé que quelques milliers de véhicules, un chiffre insignifiant comparé aux 450 000 de 2012 (AFP)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

Hangar désaffecté, baies vitrées opaques de poussière et enceinte sens dessus dessous… le showroom du constructeur automobile coréen Kia Motors de Caroubier, un quartier de la petite couronne d’Alger, est quasiment à l’abandon.

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Située dans un lieu stratégique reliant plusieurs axes routiers à destination et en provenance de l’est du pays, cette représentation commerciale constituait, jusqu’au milieu des années 2010, une vitrine de la filière automobile en Algérie.

En ce mois de janvier, les locaux, qui s’étendent sur des centaines de mètres carrés, ne sont occupés que par quelques employés affairés à entretenir de rares voitures en manque de révision.

Nous sommes loin des dizaines de commerciaux, mécaniciens, agents de sécurité ou ingénieurs qui écumaient les lieux il y a plus de six ans de cela.

Le propriétaire, Abdelhamid Achaïbou, faisait partie des rares patrons algériens à avoir assis la concession automobile en Algérie. Durant de longues années, sa société, Elsecom, commercialisait des marques asiatiques et européennes comme Kia, Suzuki, Isuzu et Ford.

Créer « une industrie automobile »

Mais en 2015, l’agrément qui lui permettait de travailler lui a été retiré. « J’ai dû licencier plus de 1 000 employés. Depuis 2015, mon entreprise n’a presque plus d’activité », a-t-il déclaré, amer, le 28 novembre à la Cour de justice d’Alger en marge d’un procès qui concernait d’anciens responsables de l’ère Bouteflika.

Abdelhamid Achaïbou était entendu en tant que témoin. Après 2015, toutes les marques qu’il représentait avaient été « données » à d’autres industriels, autorisés à installer des usines d’assemblage dans le but de créer « une industrie automobile » dans le pays.

Si les gouvernements qui se sont succédé depuis début 2020 ont élaboré plusieurs textes de loi censés régir le secteur, à chaque fois, les opérations d’importations ont été gelées

Ainsi, depuis 2016, des usines de montage ont vu le jour partout en Algérie. Profitant d’un abattement fiscal accordé par l’État sur les pièces de rechange destinées au montage, les patrons de ces entreprises ont eu le vent en poupe.

En un peu plus de deux ans, ils ont assemblé des centaines de milliers de véhicules. Sur cette période, le coût des pièces de rechange importées était de 4,3 milliards de dollars par an en moyenne, selon les informations révélées le 20 décembre par l’ancien ministre de l’Industrie, Youcef Yousfi, lors d’un procès auquel a pu assister Middle East Eye.

L’homme défendait, devant le tribunal d’Alger, une volonté d’aller vers l’industrie de montage en « attendant de créer une vraie industrie automobile » à plus long terme.

Un plaidoyer en forme de désaccord avec les autorités actuelles, à la suite de la fermeture brutale de ces usines en 2019, secouées par le début des manifestations populaires qui allaient faire tomber le pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika – dont la campagne électorale était financée en grande partie par ces constructeurs automobiles.

Dès son arrivée au pouvoir en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune a mis un coup d’arrêt à cet élan industriel et stoppé l’importation de voitures pour « préserver les réserves de change » (en Algérie, les devises versées aux importateurs en contrepartie de dinars pour chaque opération d’importation sont la propriété de l’État à travers la Banque centrale).

Depuis 2019, l’Algérie n’a importé que quelques milliers de véhicules, un chiffre insignifiant comparé aux 450  000 de 2012.

L’ex-ministre français de l’Économie Arnaud Montebourg visite l’usine Renault près d’Oran, en 2016 (AFP/Ryad Kramdi)
L’ex-ministre français de l’Économie Arnaud Montebourg visite l’usine Renault près d’Oran, en 2016 (AFP/Ryad Kramdi)

Si les gouvernements qui se sont succédé depuis début 2020 ont élaboré plusieurs textes de loi censés régir le secteur, à chaque fois, les opérations d’importations ont été gelées. Ainsi, après plusieurs mois de valse-hésitation, l’ancien ministre de l’Industrie, Ferhat Ait-Ali, reconnaissait en décembre 2020 que « l’importation n’était pas une priorité ».

Ce dernier annonçait néanmoins des négociations avec de grands constructeurs européens. Depuis, c’est à chaque fois le même scénario : un cahier des charges est annoncé avant d’être systématiquement abandonné en cours de route.

Le nouveau ministre de l’Industrie, Ahmed Zeghdar, qui a pris ses fonctions en juin, a, pendant des mois, soigneusement évité d’évoquer le sujet, laissant les concessionnaires automobiles dans le flou le plus total.

Le marché de l’occasion flambe

Et, pour entretenir l’illusion, le gouvernement a mis en place une commission visant à trier les dossiers des entreprises intéressées par l’importation de voitures.

Mais, à nouveau, ce groupe composé d’experts et d’administrateurs emploie une technique imparable pour ajourner l’échéance : « Aucun dossier ne remplit les critères exigés par la loi. J’ai déposé un dossier pour représenter la marque Isuzu. Mais j’attends, comme tout le monde. Il n’y a pour l’instant aucune information », a indiqué Abdelhamid Achaïbou à Middle East Eye.

Résultat de ce tour de vis sur les importations de véhicules, le marché de l’occasion flambe, et des voitures qui affichent des dizaines de milliers de kilomètres au compteur sont cédées à plusieurs millions de dinars.

Cette situation pour le moins paradoxale inquiète les partenaires étrangers de l’Algérie : le pays, qui constitue en effet l’un des principaux marchés automobiles du continent africain, ne laisse plus entrer de voitures sur son sol

À titre d’exemple, une Dacia Sandero de 2018 peut se vendre à plus de 2,5 millions de dinars (plus de 12 000 euros). Une situation qui rend le véhicule inaccessible pour le plus grand nombre d’Algériens.

Pour tenter de casser les prix, les autorités ont autorisé, depuis la loi de Finances 2020, l’importation des véhicules d’occasion de « moins de trois ans », qui était interdite depuis 2005.

Mais là encore, les textes d’application n’ont jamais suivi. Seuls les anciens combattants de la guerre de libération, qui bénéficient d’abattements tarifaires, ont pu importer individuellement des véhicules, dont certains sont revendus au prix fort sur le marché.

Cette situation pour le moins paradoxale inquiète les partenaires étrangers de l’Algérie : le pays, qui constitue en effet l’un des principaux marchés automobiles du continent africain, ne laisse plus entrer de voitures sur son sol.

Pourtant, des négociations sont menées discrètement pour débloquer la situation. « Les autorités algériennes ont accepté le retour des constructeurs européens », assure un diplomate européen basé à Alger à MEE, sous couvert d’anonymat.

« Initialement, nous avons eu la promesse que cela se fasse au mois de mars [2022]. Mais le gouvernement algérien a demandé un délai supplémentaire. Cela prendra un mois de plus », a-t-il ajouté.

Énième révision du cahier des charges

Le diplomate assure par ailleurs que les autorités algériennes n’ont « formulé aucune exigence particulière » quant au retour des marques étrangères de véhicules.

« Pour les véhicules, le règlement du différend commercial devrait intervenir dans les premiers mois de l’année prochaine », a confirmé Thomas Eckert, ambassadeur de l’Union européenne en Algérie, dans un entretien accordé au quotidien Liberté.

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C’est probablement à cause de cette montée en pression que les autorités algériennes ont annoncé une énième révision du cahier des charges portant sur l’importation des véhicules.

Le 5 décembre, le président Abdelmadjid Tebboune a en effet « ordonné » la « révision immédiate » du texte. Le chef de l’État a également demandé « l’accélération de l’annonce des concessionnaires agréés », insistant sur « l’impératif de fournir, au niveau régional et dans les grandes villes, un réseau de service après-vente en tant que condition pour accepter leurs dossiers ».

Plus d’un mois après cette annonce en Conseil des ministres, le gouvernement ne s’est toujours pas penché sur le sujet.

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