Algérie : les coulisses de l'opération contre un émir de l'EI
ALGER - L’affaire avait fait beaucoup de bruit. Fin mars, le ministère algérien de la Défense annonçait avoir tué un des émirs ralliés au groupe État islamique (EI) les plus importants en Algérie : Noureddine Laouira, alias Naoura alias Abou al-Hammam, chef de la seriat (cellule) el-Ghoraba couvrant « Constantine et ses environs ».
La disparition de cet ancien cadre d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), expert en explosifs, qui avait donc fait dissidence avec l’organisation d’Abdelmalek Droukdel pour rejoindre celle d’Aboubakr al-Baghdadi, a porté un nouveau coup aux tentatives de l’EI de se structurer en Algérie.
Middle East Eye a pu obtenir les détails de l’opération, menée par les forces spéciales des services de renseignement de l'armée et des hommes du 12e escadron des paras algériens.
« Nous suivions déjà Laouira quand il se trouvait chez AQMI », confie une source sécuritaire algérienne à MEE. « Nous avions déjà quelques informations sur lui et sur sa famille. Son frère, qui avait participé à un attentat à Skikda en 2007, a été condamné à dix ans de prison pour appartenance à un groupe terroriste. C'est au moment où il a été mis en prison qu'Abou al-Hammam a rejoint le maquis. Nous savions aussi que depuis quelques mois, grâce aux informations d’un terroriste repenti [ayant déposé les armes], Laouira rendait régulièrement visite à sa mère à Constantine. »
Une équipe de vingt personnes, agents et officiers spécialistes des filatures et des analyses vidéo de plusieurs services de sécurité, ont alors commencé par vérifier plus d’une centaine d’heures d’enregistrements des caméras de surveillance de la ville, jusqu’à ce qu’il apparaisse, en survêtement et baskets sur des images d’une caméra placée à proximité d’une mosquée du centre-ville de Constantine.
Depuis le début de l'année, 35 combattants armés tués
« Après l’assassinat de l’officier de police revendiqué par sa seriat [en octobre dernier], nous avions intensifié les recherches », poursuit notre interlocuteur. « Là, nous avons découvert qu’il était propriétaire d’un restaurant en centre-ville. Il en avait cédé la gestion à deux ex-terroristes d’AQMI. »
Pour ne pas attirer l’attention de leur cible, les enquêteurs ont choisi de ne pas interroger le gérant – qui sera ensuite arrêté pour « appartenance à un groupe terroriste » – mais de le placer 24 heures sur 24 sous surveillance. Une des personnes de son entourage a alors immédiatement intrigué les enquêteurs.
« Il s’agissait d’un chauffeur de taxi clandestin, qui un jour, est venu le voir pour une entrevue, très brève et très tendue, dans un coin de rue près du restaurant. »
La surveillance du chauffeur a révélé qu’il changeait de téléphone portable toutes les semaines et qu’il se déplaçait beaucoup. « On a découvert que lui aussi avait rejoint l’EI, qu’il avait déjà fait de la prison pour une affaire de trafic de faux papiers de véhicules et que son frère avait été tué par les services de sécurité en 1998 dans les maquis de Jijel, en Kabylie », affirme notre interlocuteur.
L’opération contre Noureddine Laouira a commencé lorsque le chauffeur de taxi clandestin s’est rendu dans sa Renault 19 dans la commune d’Aïn Fakroun, près d’Oum el-Bouaghi, dans l’est algérien.
« Nos hommes l’ont alors suivi. Près d’une forêt, il a fait monter quelqu’un dans sa voiture. Nous cherchions à savoir si cet homme était Laouira. Une des voitures qui les suivait était équipée d’une caméra à haute définition qui avait pris plusieurs photos très nettes de la voiture et de ses occupants. »
Une fois la certitude acquise sur l’identité des personnes à bord, « les forces de sécurité ont attendu qu’il quitte une zone où se trouvaient de nombreux civils, et quand il s’est engagé sur la route de Djebel El Houahch [région boisée qui domine Constantine], le 12e escadron des forces spéciales, accompagnées de trois officiers, à bord de deux véhicules utilitaires, ont rapidement approché la Renault 19. Les hommes à bord de la voiture ont tiré et les forces spéciales ont répondu en mitraillant la voiture. »
Depuis le début de l’année, 35 combattants armés ont été tués par l’armée, selon le ministère de la Défense.
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