« À Oran, les gens vivent ! » : la capitale de l’ouest algérien soigne son image
Dans le train à grand vitesse qui roule depuis deux heures depuis Alger, Rachida, une architecte de 48 ans, scrute avec excitation les paysages qui défilent. C’est la première fois qu’elle emprunte un tel moyen de transport pour se rendre en vacances à Oran, où elle vient d’acquérir, avec son époux, un pied-à-terre sur la corniche, un boulevard de bord de mer très prisé des touristes.
« Mon mari a déjà pris la route en voiture avec les enfants et nos bagages. Je les rejoins en compagnie de ma sœur », explique-t-elle à Middle East Eye d’un ton léger.
Rachida, qui vit à Alger, a découvert Oran au cours d’une escapade familiale, il y a deux ans. La grande cité d’1,5 million d’habitants, située dans de l’ouest algérien, au bord de la Méditerranée, l’a charmée par son ambiance joyeuse et détendue, ses soirées festives qui se prolongent jusqu’à l’aube et sa cascade de paysages éblouissants jusqu’à la baie, qui lui valent le surnom d’El Bahia (« la radieuse »).
Traduction : « Bonne nuit, Oran. »
« Je n’ai jamais compris pourquoi Albert Camus a été si injuste avec Oran en la décrivant comme une ville laide et ennuyeuse qui tourne le dos à la mer. C’était à une autre époque peut-être », considère Rachida avec indulgence.
Sur le quai de la gare où elle vient de descendre après quatre heures de trajet, la jeune femme hume la brise salée et conclut pour sa part avec enthousiasme qu’Oran est « une fenêtre ouverte sur laquelle souffle un vent de liberté ».
« Ici, chacun vit comme il veut. Il y a beaucoup de tolérance », renchérit Kader, un chauffeur de taxi qui attend les voyageurs à l’entrée de la gare. Le bâtiment, construit en 1908 par les Français est de style néo-mauresque. Des symboles faisant référence aux trois religions monothéistes ont été intégrés dans son architecture comme un clin d’œil aux communautés musulmane, juive et chrétienne qui peuplaient la ville à cette époque-là. L’horloge, par exemple, a la forme d’un minaret, alors que des croix chrétiennes et des étoiles de David ornent les plafonds et les grilles des fenêtres.
Avec son allure imposante, la gare tranche avec les constructions voisines plus modestes de Mdina Jdida, le cœur historique d’Oran, édifié au début de la colonisation française pour circonscrire et contrôler les populations autochtones.
Le quartier, réputé pour son marché hétéroclite aux allures de bazar, est aussi le lieu de naissance de grandes figures de la chanson oranaise comme Blaoui Houari et Ahmed Wahbi.
Disco Maghreb, l’attraction touristique
Quelques centaines de mètres plus loin, dans la rue Sidi El Bachir, d’autres célébrités comme les stars Cheb Khaled et Cheb Mami, qui ont propulsé la musique raï sur la scène internationale, décorent, à jamais gravés sur des pochettes de cassettes audio d’un autre âge, les rayons du disquaire Disco Maghreb.
Le magasin ouvert dans les années 1980 et popularisé par la star mondiale d’origine oranaise Dj Snake dans un clip en 2022 s’est transformé en une grande attraction touristique.
Tous les jours, sa devanture rongée par le temps sert de décor aux amateurs de selfies. Youcef, un Franco-Algérien de 29 ans en visite à Oran, ne déroge pas au rituel.
« Le raï a bercé mon enfance. Mes parents étaient fans de Hasni [icône du raï algérien, surnommé « le Rossignol », assassiné pendant la guerre civile en 1994]. Je suis né l’année où il a été tué. À la maison, ses chansons passaient en boucle », raconte-t-il à MEE avant de prendre la pose devant le rideau baissé du magasin.
Au cours d’un voyage en Algérie en août 2022, le président français Emmanuel Macron avait également fait un détour par Disco Maghreb, où il avait rencontré le propriétaire des lieux, Boualem Benhoua.
Avant la visite du chef de l’État français, le faubourg défraîchi où se trouve le disquaire, mais aussi le quartier du Plateau (sur les hauteurs d’Oran) abritant la maison natale du couturier Yves Saint Laurent, avaient fait l’objet de travaux de ravalement de façade. Mais tous les bâtiments, tels des squelettes lézardés défiant le temps, n’avaient pas pu être repeints.
« Le vieux bâti s’écroule partout. Allez voir [les quartiers de] Gambetta, El Kmul, El Hamri », déplore Mustapha, un vendeur de fruits et légumes qui sillonne avec sa camionnette chaque jour les ruelles de la Radieuse.
À Sidi El Houari, où il marque un arrêt, les pans d’immeubles dévastés se succèdent, vestiges d’une mémoire foisonnante et glorieuse. Le quartier, bâti par des marins andalous en l’an 900, porte le nom d’un saint musulman né à Oran, patron de la ville.
Sur les lieux, convergent les femmes du quartier et d’ailleurs en quête de bénédiction.
Hassiba, originaire de Tizi-Ouzou fait partie des visiteuses. Elle est montée à pied du front de mer, où elle a loué un studio, pour faire une offrande à Sid El Houari, un morceau de tissu qu’elle déploie soigneusement sur son tombeau.
« Oran est une ville à la fois mystique et noceuse. Les gens vivent en communauté, dans une parfaite harmonie et dans une grande tolérance », explique-t-elle à MEE en décrivant la ville, dont la réputation s’oppose souvent à celle de la capitale Alger, considérée comme davantage conservatrice, austère et couche-tôt, victime aussi d’une plus importante présence policière.
Vitrine chic
Sur la crête du Murdjajo, un massif montagneux qui domine la ville, le fort de Santa-Cruz, érigé lors de la prise de la ville par les Espagnols au XVIe siècle, reste l’emblème touristique de la ville, sa carte postale.
Tous les jours, les visiteurs arpentent les fortifications avant d’aller se réfugier en contrebas, sous les arcades de la basilique de Notre-Dame du Salut ou dans une grotte qui servait de lieu de retraite à Sidi Abdelkader, un autre saint d’Oran.
Une vieille dame, qui s’est improvisée gardienne des lieux, guide les pèlerins et les curieux dans l’antre éclairée par des bougies. « Je viens ici depuis des années. Je passe un coup de balai, j’allume des cierges et je me repose en admirant le paysage », résume-t-elle à la sortie.
Traduction : « Capturer le coucher de soleil enchanteur à Oran, accompagné de la mélodie émouvante de Cheb Hasni. »
À ses pieds, un panorama incomparable : la mer qui dessine la baie, la rade de Mers el-Kebir avec sa base navale, les quartiers populaires, puis les nouveaux parsemés d’immeubles hauts et rutilants.
Hai Seddikia, une ancienne bourgade située sur la route de la forêt de Canastel, à quinze minutes du centre-ville, est devenue la vitrine chic d’Oran avec ses hôtels et ses résidences haut de gamme.
À proximité, les restaurants qui s’alignent dans la rue Akid Lotfi ne désemplissent pas. Dès la nuit tombée, ils sont assaillis par les clients qui font la queue jusque dans la rue pour attendre que des places se libèrent.
« Les soirées sont très animées ici. Les gens sortent, se baladent. Ils vivent ! », se délecte Lamine, 26 ans, qui vient chaque été de Lyon pour un mois s’installer dans le complexe touristique des Andalouses, à 28 kilomètres de là.
Sur son lieu de villégiature, il prend plaisir à aller écouter chaque soir les vedettes de rai, qui électrisent la scène. « Je suis content que cette musique, autrefois underground, cantonnée aux cabarets, sorte de ses carcans, car elle est une partie de notre patrimoine », souligne le jeune homme.
À l’occasion des Jeux méditerranéens de 2022, organisés à Oran, c’est le groupe mythique Raïna Raï qui avait, entre autres artistes, animé la cérémonie d’ouverture. Cette édition marquée par la participation de 3 300 athlètes de 26 pays avait permis à la ville de rayonner et d’offrir au monde l’image d’une cité accueillante au riche passé.
Pendant leur séjour, des sportifs avaient d’ailleurs été conviés par la municipalité à des visites touristiques, notamment au fort de Santa-Cruz. Des sorties identiques ont profité à des athlètes qui ont pris part en juillet 2023 aux Jeux panarabes, qui ont eu lieu en Algérie.
« Oran mérite d’être connue », souligne Lamine avec ferveur, décidé à revenir l’année prochaine pour se dorer au soleil et danser aux Andalouses.
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