Algérie : qui veut la tête de Ahmed Ouyahia ?
ALGER – Le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, 66 ans, subit depuis quelques semaines une série de déconvenues dans un contexte délicat où chaque fait et geste politique est analysé comme un indice pour la prochaine présidentielle du printemps 2019.
Un premier incident a été provoqué par son propre ministre de la Justice, Tayeb Louh, réputé proche du cercle présidentiel. Habituellement prudent, le garde des Sceaux a lancé, le 5 novembre, une charge hargneuse contre son patron, Ouyahia.
Faisant l’éloge du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, lors d’une réunion publique à Oran (ouest), Louh a déclaré : « Vous vous souvenez tous des taxes sur les cartes d’identité, les passeports, etc. Qui les annulées ? Le président de la République ! ».
En juin, le président Bouteflika avait, selon des sources officielles, annulé ces taxes prévues dans la loi de finances complémentaires 2018. Les commentateurs y ont vu un désaveu de la présidence au Premier ministre. L’augmentation des tarifs pour les passeports ou les cartes d’identité avaient, à l’époque, indigné l’opinion publique.
Pour rappel, en janvier dernier, Ahmed Ouyahia a également été contredit par le chef de l’État sur la politique du partenariat public-privé et sur l’ouverture des capitaux des entreprises publiques.
Le ministre de la Justice a rappelé par ailleurs la campagne, dans les années 1990, d’emprisonnement de dizaines de cadres d’entreprises publiques. « L’époque de l’arbitraire est révolue grâce aux directives du président de la République. Il n’y aura pas de retour [à ces méthodes] hors du cadre légal », a-t-il affirmé.
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« Il faut rappeler à tous les Algériens et Algériennes que, suivant les orientations du président de la République et conformément à son programme complémentaire dans tous les secteurs, que les abus dont ont été victimes dans les années 1990 les cadres de l’État, font partie du passé et ne peuvent en aucun cas se reproduire », a martelé Tayeb Louh.
Chef de gouvernement entre 1995 et 1998, Ahmed Ouyahia reste marqué au fer rouge par cette opération « mains propres ». La plupart des cadres ont été innocentés mais cette politique radicale a longtemps traumatisé les dirigeants des grandes compagnies étatiques.
Le « méchant » Ouyahia, le « bon » Bouteflika
Piqué au vif, le Premier ministre répond à travers son parti, le Rassemblement national démocratique (RND), au lendemain même des déclarations de Louh.
« M. Ouyahia n’était pas à la tête du secteur de la Justice lorsque des cadres ont été emprisonnés au milieu des années 1990, et dont le nombre s’élevait à ‘’quelques dizaines et non des milliers’’. Dire que M. Ouyahia a emprisonné des cadres est une accusation infondée et calomnieuse et une atteinte à des magistrats indépendants et respectables », lit-on dans le communiqué du RND.
En revanche, le parti du Premier ministre n’a pas réagi pas aux allusions sur le désaveu du président Bouteflika concernant les taxes sur les documents administratifs.
Second opus des déconvenues du Premier ministre : un symbole très cher aux Algériens qu’il est accusé de bafouer.
Présent, le 11 novembre, au Forum de Paris sur la Paix en tant que représentant du président Bouteflika, Ahmed Ouyahia a prononcé un discours qui lui coûtera une nouvelle polémique.
Dans son intervention, le chef de l’Exécutif évoque « un million et demi de morts » durant la guerre de libération algérienne (1954-1962). Médias et réseaux sociaux s’insurgent et lui reprochent le fait de ne pas employer le terme de « martyrs », habituellement utilisé dans cette formule.
Sur le portail du Premier ministère, un démenti tente d’éteindre le feu : une « chaîne de télévision privée » serait coupable d’une « odieuse tentative de manipulation par montage des propos [d’Ahmed Ouyahia] ».
Or, Ahmed Ouyahia a bien employé le terme « morts » et non « martyrs » comme le montre le passage filmé par la télévision algérienne officielle. Un de ses plus proches adjoints au RND, Seddik Chihab, a tenté ensuite de relativiser l’affaire : le Premier ministre a « employé un langage admis » dans ce genre de forums internationaux.
Ces déconvenues et les rumeurs sur des mésententes entre Ahmed Ouyahia et le cercle présidentiel nourrissent les supputations sur le scénario de la prochaine présidentielle.
État de santé et succession, des tabous
Le Front de libération national, FLN (parti au pouvoir) avait, fin octobre, déclaré que son candidat à cette élection serait le président du parti, Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, affaibli par la maladie. Il briguerait ainsi son cinquième mandat à la tête de l’État.
La question de la santé du chef de l’État, et de sa succession future, sont à tel point des tabous que les dignitaires du système évitent d’en parler en public.
Pour rappel, le parti de Ahmed Ouyahia est membre d’une « coalition de soutien » au président Bouteflika aux côtés du FLN, du Mouvement pour l’Algérie et de Tajamou Amel al-Jazair, créée le 7 novembre.
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Certaines sources imputent les déboires de Ouyahia à son statut de probable successeur au président Bouteflika.
L’ancien président du Parlement, Abdelaziz Ziari, cadre du FLN, a déclaré à un média local, le 8 novembre : « En dehors de mon parti, je ne vois personne, en dehors du leader actuel d’un autre parti de la majorité et qui est le Premier ministre, qui soit capable de venir remplir le fauteuil d’Abdelaziz Bouteflika ».
Une affirmation commentée par un proche de Ouyahia : « Cela prouve que l’ancien président de l’APN a du respect pour le secrétaire général du RND [Ouyahia]. De notre côté, nous ne cessons de réitérer notre soutien indéfectible au président de la République ».
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