Algérie : vendredi, c’est jour de manif’ pour Mounir
Mounir, 25 ans, habite le quartier de Belouizdad (qu’on appelle toujours de son nom français Belcourt), quartier populaire et animé de la capitale, où il est né. Jeudi 14 mars, il suit le mot d’ordre des ultras du MCA et de l’USMA, les deux plus grands clubs de foot d’Alger, qui ont appelé à boycotter le derby. Les supporters, fer de lance des marches massives dans Alger depuis le 22 février, considèrent qu’il n’est pas possible de s’amuser au stade à un moment aussi critique pour le pays. Pour Mounir, se priver de match est une manière de s’engager contre le système.
Mounir ne lâche son téléphone que pour faire du sport. Il reçoit sans cesse des notifications sur les différents appels à manifester contre les propositions du président Abdelaziz Bouteflika, qui, le 11 mars, a annoncé l’annulation de la présidentielle d’avril avec une prolongation de son mandat. Mounir s’impatiente. Il attend fébrilement le lendemain au point de faire une insomnie qu’il meuble en consultant les réseaux sociaux où s’affichent vidéos et photos, chants des supporters et anecdotes sur les trois marches précédentes.
Vendredi 15 mars, acte IV de la mobilisation. Mounir ne se réveille qu’à midi, il se dépêche de prendre un café au cercle du CRB (l’équipe de football de Belouizdad) avec des amis avant de se diriger vers la place du 1er Mai.
Des jeunes, des familles, des personnes âgées commencent à se rassembler autour de la fontaine de la place. Certains portent des drapeaux algériens comme des capes. Une vingtaine de fourgons de la police stationnent un peu plus loin, au-dessus de l’entrée du grand hôpital Mustapha Pacha.
Mounir croise un ami, Abdou, qui habite tout près. Les deux compères décident de suivre la foule qui emprunte la grande rue Hassiba Ben Bouali pour accéder au centre-ville et place Maurice Audin, épicentre des manifestations depuis le 22 février. Des centaines de personnes marchent mais tous ne sont pas des manifestants : on croise des vendeurs d’écharpes aux couleurs de l’Algérie et de drapeaux (algérien et palestinien), des volontaires qui, déjà, nettoient trottoirs et chaussées et des jeunes qui distribuent gratuitement des bouteilles d’eau fraîche.
La rue Hassiba Ben Bouali débouche sur le rond-point Mauritania : des milliers de personnes convergent ici : une marée humaine avance sur le boulevard Amirouche. Des manifestants scandent « Enlève ta casquette et viens avec nous ! » en passant devant le commissariat central d’Alger sur ce même boulevard. Les policiers regardent la foule passer. Mounir et son ami décident de couper par la rue Hamani, ex-Charras, pour « monter » vers l’esplanade la Grande Poste.
Il est à peine 13 h 30, la place et les rues autour de la Grande Poste sont noires de monde. L’ambiance est festive, les familles se mélangent aux cortèges des supporters qui assurent l’animation : vuvuzela, derbouka, mégaphone… Les slogans fusent : « Le peuple veut faire tomber le régime ! », « Bouteflika, on ne te donne même pas une minute de plus ! », « Pouvoir assassin ! ». Les forces anti-émeutes sont là, stationnées sur les bords de la route. Elles se contentent de regarder ces milliers de personnes qui n’arrêtent pas d’arriver de partout. Mounir entend un policier commenter : « C’est comme au stade, ils se gèrent très bien ces jeunes ! »
La foule tourne entre la Grande Poste et la place Maurice Audin en empruntant le tunnel des facultés qui passe sous la fac centrale. À droite, la police bloque le passage vers le palais du gouvernement, rue du docteur Saâdane.
À l’intérieur du tunnel des facultés, résonnent les slogans chantés en chœur. Les fumigènes, la foule, les drapeaux déployés et cette lumière au bout… Mounir se croit dans un film de science-fiction. La chair de poule. Les larmes. Mounir et Abdou sont tellement émus qu’ils ne ressentent ni la pression des corps, ni la chaleur, ni le bruit.
Place Maurice Audin, c’est la folie ! On ne voit plus le bout de la foule, il est 14 h et le barrage de police qui bloquait l’accès au boulevard Mohammed V a cédé devant la pression des milliers de manifestants qui, maintenant, couvrent tout le centre-ville. Mounir, comme tout le monde, filme et prend des selfies.
Mounir, qui a perdu de vue Abdou dans la foule, aimerait savoir si la mobilisation est la même dans son quartier. Mais revenir sur ses pas s’avère compliqué. Tous les grands axes de la capitale sont noirs de monde. Il faut une heure pour parcourir un trajet qui prend deux minutes en temps normal. Difficilement, et en empruntant ruelles et raccourcis, il arrive enfin place du 1er mai. Il n’est pas déçu, la foule est immense !
Les manifestants occupent tout le boulevard Belouizdad, qui mène vers le quartier de Mounir. Les policiers restent cantonnés sur les bords de la manifestation. Seuls des agents en « civil » se sont glissés dans la foule pour traquer d’éventuels pickpockets. Il est presque 16 h, les familles commencent à quitter la manifestation pour rejoindre leurs véhicules garés loin des trajets des marches. Mounir est impressionné. Pour lui, il y a plus de monde que vendredi 8 mars. Il se demande, tout en suivant la marée humaine, si les marcheurs seront cette fois entendus.
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