Amman a uniquement rejoint l’alliance anti-terroriste saoudienne car elle est « non contraignante »
Middle East Eye est en mesure de révéler que la Jordanie et d’autres pays musulmans ont rejoint la coalition de l’Arabie saoudite contre le groupe État islamique (EI) uniquement parce que celle-ci était non contraignante.
Lors d’une réunion avec les dirigeants du Congrès américain en janvier, évoquée pour la première fois par Middle East Eye la semaine dernière, le roi Abdallah II de Jordanie a demandé aux politiques américains d’être « réalistes » à propos de la coalition contre l’EI menée par l’Arabie saoudite.
Interrogé sur l’alliance militaire « islamique » de l’Arabie saoudite, qui a été annoncée en décembre et se compose de 34 pays à majorité musulmane, Abdallah a déclaré que son caractère non contraignant était la raison pour laquelle la Jordanie et les autres membres avaient accepté de la rejoindre.
« Il s’agit davantage d’une coalition non contraignante pour montrer que nous sommes opposés à l’EI. Dans ce cas, nous [ses membres] avons tous signé », a-t-il estimé.
Abdallah a indiqué que, en marge de la coalition saoudienne, il avait essayé de faire en sorte que Riyad « aille au Caire afin que nous puissions donner un visage arabe musulman aux coalitions contre l’EI, mais cela a été refusé pour quelque raison ».
Après le refus de l’Arabie saoudite de se joindre aux discussions secrètes dans la capitale égyptienne, Abdallah a dit qu’ils avaient opté à la place pour une « approche fragmentaire », ajoutant qu’il avait envisagé la mise en place de « forces opérationnelles » pour lutter contre l’EI et d’autres groupes similaires.
Abdallah a fait ces déclarations lors d’une réunion avec de hauts responsables politiques américains en janvier. Middle East Eye a obtenu un compte-rendu détaillé de la réunion auprès d’une source proche des discussions qui a requis l’anonymat.
La coalition saoudienne était l’un des nombreux sujets abordés par Abdallah lors de la réunion, outre la confirmation par le roi du déploiement de forces spéciales britanniques et jordaniennes en Libye et en Somalie.
Il a également révélé que des opérations militaires jordaniennes secrètes sont en cours en Syrie et il a accusé le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, d’envoyer des « terroristes » en Europe.
Controverse sur la coalition
Lorsque l’Arabie saoudite a annoncé sa coalition pour lutter contre l’EI en décembre, cela a soulevé des interrogations notamment pour le fait d’avoir été accepté très rapidement.
Le ministre de la Défense et vice-prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a hâtivement organisé une conférence de presse à minuit le 15 décembre et a déclaré qu’une alliance militaire avait été créée pour cibler le « terrorisme mondial » en Afghanistan, en Égypte, en Libye, en Irak et en Syrie.
L’Arabie saoudite a lancé la coalition militaire « pour lutter contre le terrorisme », selon un communiqué officiel qui a accompagné son annonce, lequel ajoutait qu’un « centre d’opérations interarmées basé à Riyad [coordonnerait et soutiendrait] les opérations militaires ».
Toutefois, aucune action militaire n’a été attribuée à la coalition depuis sa formation.
Le lendemain, il a été annoncé que plusieurs membres de la coalition avaient déclaré qu’ils n’avaient pas approuvé cette annonce.
L’Indonésie a dit avoir besoin de plus d’informations ; plus tard, Jakarta a annoncé qu’elle « ne voulait pas se joindre à une alliance militaire ».
Le ministre des Affaires étrangères du Pakistan Aizaz Chaudhry s’est dit « surpris » de lire qu’Islamabad avait été inclus et d’autres politiciens pakistanais ont dit qu’ils avaient entendu parler de la coalition pour la première fois dans les médias.
Un autre membre, la Malaisie, a immédiatement exclu toute contribution militaire.
La confusion entourant l’annonce de la coalition a amené les experts de la région Giorgio Cafiero (fondateur de Gulf State Analytics) et Daniel Wagner (PDG de Risk Solutions) à critiquer l’alliance dans le Huffington Post, la qualifiant de « château de cartes ».
La formation de la coalition est intervenue à un moment où la pression pesant sur l’Arabie saoudite allait croissant : cette dernière faisait face à des critiques de plus en plus nombreuses dans les médias anglophones concernant ses tentatives « mollassonnes » de combattre l’EI et son idéologie, que beaucoup ont comparé au style d’islam salafiste ultra-conservateur de Riyad.
À Washington, Abdallah n’est pas particulièrement entré dans les détails de la coalition saoudienne ; cependant, en réponse à une question à ce sujet du représentant républicain de la Floride Ander Crenshaw, le roi a indiqué qu’il cherchait des moyens de « renforcer davantage les forces arabes pour traverser les frontières ».
Il n’a pas révélé comment il envisageait de créer une telle force, mais plus tôt dans la conversation, il avait suggéré que des forces britanniques et jordaniennes coopéraient pour mener secrètement des opérations contre le groupe militant al-Shabab en Somalie.
« Nous avons commencé avec al-Shabab, car ils alimentent la Libye », a-t-il déclaré, se référant au chaos et au conflit qui règnent en Libye depuis qu’une révolution soutenue par l’OTAN en 2011 a renversé le dirigeant de longue date Mouammar Kadhafi.
Plus tard, Abdallah a dit vouloir que les pays d’Afrique orientale coopèrent et s’occupent de la lutte contre le terrorisme, mais sous la supervision des Arabes.
Le roi de Jordanie a une grande expérience militaire, ayant été formé comme officier des forces spéciales à la Royal Military Academy Sandhurst en Grande-Bretagne en 1980 avant de servir brièvement comme officier de l’armée britannique.
Depuis qu’il est devenu roi en 1999, Abdallah a cherché à développer la capacité militaire de la Jordanie, en particulier les forces spéciales du pays. Le spécialiste de la Jordanie Sean Yom de l’Université Temple avait déclaré à MEE que cette politique avait fait d’Amman la « capitale des forces spéciales du Moyen-Orient », suggérant que les Jordaniens disposent des meilleures forces spéciales dans la région.
Lors de la réunion de Washington, Abdallah a déclaré que la lutte contre l’EI était le début d’une troisième guerre mondiale, menée contre les « hors-la-loi de l’islam ». Il a ajouté que la bataille s’étendait de l’Indonésie à la Californie.
En réponse à sa déclaration, le représentant Crenshaw a abondé dans le sens du roi et ajouté : « La Jordanie est au milieu de cette guerre mondiale. »
Crenshaw a demandé au roi Abdallah quelle serait l’efficacité de la coalition saoudienne contre l’EI comparée à celle des États-Unis et si Washington devait rejoindre l’alliance de Riyad.
Abdallah a répondu que « toute coalition de ces points chauds sur la carte doit avoir un visage musulman ou arabe puisqu’il s’agit d’une guerre musulmane, mais nous devons être réalistes au sujet des coalitions car beaucoup s’y joignent, mais on ne parvient pas à développer des forces de déploiement rapide. »
Aucun des politiques américains présents à la réunion n’a répondu à nos sollicitations.
Le directeur des affaires politiques de la Cour royale jordanienne Manar Dabbas a renvoyé MEE vers le conseiller pour la presse du gouvernement, mais a déclaré que « les discussions de Washington étaient confidentielles. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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