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Attentat du 14 juillet : « Pour les Niçois, l’été est fini »

Les vagues continuent de rouler et les plages d’étinceler au soleil, mais pour de nombreuses personnes à Nice, l’attentat du 14 juillet a tout changé
Une femme est en pleurs devant le mémorial érigé en hommage aux victimes de l’attentat du 14 juillet à Nice, le 16 juillet (AFP)

Nice, FRANCE – Il est inhabituel dans la bouillonnante ville de Nice d’entendre le bruit de la mer même lorsque l’on marche le long de la côte.

Mais le lendemain de l’attaque qui a causé la mort d’au moins 84 personnes, fauchées par un poids-lourd lancé dans la foule qui célébrait le 14 juillet, la fête nationale française, le rythme régulier des vagues est un son réconfortant pour ceux qui sont sortis rendre hommage aux victimes. Le silence s’est emparé de la promenade des Anglais, la « prom », comme l’appellent les habitants du coin.

« C’est vide », constate Nadine, témoin de l’attaque de jeudi soir, en quittant la prom. « Ça fait bizarre. »

« Je n’ai jamais vu la promenade comme ça », commente à son tour Christophe Tomasini, un Niçois de 25 ans.

Vendredi, le chemin qui se trouve près de la plage, tout comme la route, ont été fermés par la police tandis que des agents continuent d’enlever les débris de la nuit de l’attaque.

Le camion utilisé pour commettre l’attentat (MEE/Yann Schreiber)

Les fleurs placées par les résidents et les touristes sur les barricades ne sont pas les seuls rappels douloureux de ce qui s’est passé. Les couvertures de survie et les gants en latex éparpillés sur le sol le sont tout autant.

Devant un grand mémorial érigé près de l’endroit où le poids-lourd s’est immobilisé quand son conducteur a succombé aux balles de la police, en face du restaurant Balthazar, une brasserie typique du sud de la France, les gens ont déposé des gerbes de fleurs.

Vendredi, le Balthazar a offert gratuitement de l’eau et des sandwiches aux personnes présentes sur les lieux, épuisées.

« J’ai vu une petite fille », poursuit Nadine, qui n’a pas voulu donner son nom de famille. « On pouvait seulement distinguer son corps, pas le visage. »

Elle avait quitté le feu d’artifices tôt mais était retournée plus tard avec sa voiture pour aider autant que possible.

« J’ai vu des jambes cassées en deux », raconte-t-elle à Middle East Eye, essayant de refouler ses larmes derrière ses grandes lunettes de soleil. « Des os… c’était horrible. »

Elle a préféré passer la journée du lendemain à l’extérieur – regarder les informations à la maison la rendant malade, a-t-elle expliqué. Elle s’est alors rendue à la cellule psychologique du Centre universitaire méditerranéen, où les victimes et leurs proches peuvent parler à des volontaires ou obtenir un soutien spirituel.

Puis elle a ensuite quitté le centre, la tristesse se transformant en une colère désespérée. Elle accuse l’État de ne pas avoir su fournir une sécurité suffisante pour ce jour de fête nationale. Elle n’est pas la seule à exprimer ce sentiment parmi les personnes endeuillées.

De nombreuses personnes sont venues rendre hommage aux victimes au mémorial érigé sur la promenade des Anglais (MEE/Yan Schreiber)

Un immense échec

« Ils ont assuré la sécurité de l’Euro », dit-elle en référence au championnat de foot européen qui a eu lieu en France, « mais pas celle des feux d’artifice et de la fête nationale. « C’est un immense échec de l’État. Il y a des policiers partout maintenant, mais ça ne sert plus à rien. »

Thomasini, lui-même chauffeur de poids-lourd, assistait au feu d’artifice avec sa famille lors de cette nuit tragique. Heureusement, ils sont partis plus tôt à cause du vent et du froid. Parcourant le seul trottoir resté ouvert le long de la promenade, il affirme que l’attaque s’est produite « à cause de leur p**** de religion ».

« Il n’y a pas assez de sécurité, et nous laissons l’extrémisme se développer », lance-t-il.

Le département français des Alpes-Maritimes est l’un des bastions du Front national, parti d’extrême-droite. Et bien que Tomasini n’ait pas indiqué pour qui il allait voter lors des élections présidentielles de l’année prochaine, ses opinions trouvent un écho parmi un groupe plus vaste que celui formé par les seuls partisans de la présidente du Front national, Marine Le Pen.

« Ils [les musulmans] nous imposent leur style de vie », renchérit Tomasini, avant d’ajouter que l’attentat de jeudi « ne l’empêche pas de vivre. Je vais sortir ce soir avec ma fille ».

Nice est connue pour ses plages, ses palmiers, ses monumentaux et la promenade des Anglais, un point de ralliement touristique qui date du XIXe siècle. Mais la ville de Nice représente également un autre « melting pot » français de cultures et de religions, bordée de zones comparables aux « banlieues » parisiennes – un terme qui se teinte souvent d’une connotation négative – où sont majoritaires les populations immigrées.

Au mémorial, les débats vont bon train : au sujet de la religion, des médias, de la politique, de l’exclusion. Un jeune homme soutient que la France s’est montrée top légère dans sa gestion de personnes suspectées de terrorisme.

« Le Coran et la Bible sont la même chose, juste écrits différemment », déclare pour sa part une jeune fille présente dans l’assemblée.

Un homme plus âgé intervient alors, parlant de respect et de compréhension mutuels entre les religions. « Si nous voulons vivre en paix, nous devons connaître la religion de l’autre », affirme-t-il. La jeune fille acquiesce.

L’une des plus grandes églises locales a organisé une messe en l’honneur des victimes. À la fin du service, les prêtres continuent de discuter avec les membres de leur communauté sur le perron, sous le soleil de fin de journée.

« Pour les Niçois, l’été est fini », constate Gil Florini, un prêtre catholique. Il a été réquisitionné au centre d’urgence psychologique durant la nuit pour aider les victimes et leurs proches, tout comme des imams et des rabbins.

« J’étais en jean et en t-shirt » quand le maire m’a appelé, se remémore-t-il. « Je me suis rapidement changé et j’ai conduit jusque là-bas, en passant par tous les points de contrôle de la police. »

Il ignore comment cette nuit mouvementée l’affectera sur le long terme, ajoute-t-il.

Des enquêteurs sur la promenade des Anglais à Nice (MEE/Yann Schreiber)

« Il n’a jamais pratiqué l’islam »

Un peu en dehors du centre-ville, d’autres prières sont organisées. Le boulevard de la Madeleine accueille l’une des deux mosquées de la ville.

Nice et son département, les Alpes-Maritimes, ne sont pas étrangers à la radicalisation. Les autorités départementales ont récemment fermé cinq salles de prière musulmanes clandestines qu’elles suspectaient de prôner un islamisme violent. Sur le boulevard de la Madeleine, en face de la mosquée Ennur, un responsable de la communauté s’inquiète des possibles répercussions de l’attentat.

« La stigmatisation existe déjà », soutient Ahmad Kassar, agent financier de l’association musulmane locale, l’Union des musulmans des Alpes-Maritimes.

Au moins dix musulmans comptent parmi les morts de l’attaque de jeudi, indique Kassar, et une vingtaine de plus ont été blessés. Il pense qu’il est « très probable » que quelqu’un de sa propre communauté ait perdu la vie, mais il est trop tôt pour le dire.

Le profil de l’assaillant tel qu’il émerge des rapports des médias – son nom était Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un citoyen français d’origine tunisienne connu des services de police pour des actes de violence et de petite délinquance – est « la preuve qu’il ne connaissait rien à cette religion », affirme Kassar. L’homme était âgé de 31 ans et vivait légalement à Nice.

« Il n’a jamais pratiqué l’islam », a-t-il ajouté. « Même son frère l’a dit aux médias. »

Kassar se tient à l’entrée de la mosquée, près de la minuscule porte dépourvue de symboles religieux, au rez-de-chaussée d’un immeuble. « Bibliothèque Ennur – centre culturel La Madeleine », peut-on lire sur la fenêtre.

Florini, le prêtre, pense lui aussi que l’attentat n’était pas motivé par la religion, et décrit l’assaillant comme souffrant de troubles mentaux.

Manuel Valls, le Premier ministre français, a déclaré que l’attaquant « était un terroriste » et était « certainement lié d’une façon ou d’une autre à l’islam radical », bien que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ait refusé de confirmer ces affirmations, disant qu’il n’avait pas de preuve faisant état de liens avec le djihad radical.

Depuis, l’attentat a été revendiqué par l’État islamique, dont la branche médiatique Amaq a cité une source du groupe indiquant que l’un de ses « soldats » avait perpétré l’attaque du 14 juillet « en réponse aux appels à cibler les nations de la coalition qui combat [l’EI] ».

Depuis le début de l’année, au moins 55 résidents du département des Alpes-Maritimes sont partis pour la Syrie ou l’Irak. « Nous n’avions pas vu venir ce problème », a reconnu Kassar.

Mais il y a un problème de radicalisation « partout », a-t-il poursuivi, pas seulement à Nice. Lui aussi espère qu’il n’y aura pas de répercussions négatives, mais il l’admet : « ça peut arriver ».

Suite aux attentats de novembre à Paris, la France a connu une hausse des attaques contre des mosquées et des salles de prière musulmanes.

Plus tôt dans la journée, Kassar a participé à une prière en hommage aux personnes décédées durant l’attaque. Un sermon unique a été prononcé dans toutes les mosquées françaises, pleurant les morts et condamnant la violence.

Mais en France, les récents attentats n’ont fait qu’accroître les tensions.

« La vie reprendra son cours et tout semblera normal à nouveau », a commenté Florini, d’un ton se voulant optimiste et rassurant.

Alors que le parfum des bougies emplit l’air autour des deux sites commémoratifs érigés le long de la promenade, la police retire ses barricades et les voitures se remettent à investir la route. La vie revient, faisant à nouveau disparaître le bruit des vagues.

Traduit de l’anglais (original).

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