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Bagdad devient un camp militaire pour des factions chiites opposées

Les forces pro-gouvernementales et les combattants fidèles à l’ecclésiastique chiite Moqtada al-Sadr se déploient dans la capitale irakienne suite à la prise d’assaut du parlement
Les forces pro-gouvernementales et les combattants fidèles à l’ecclésiastique chiite Moqtada al-Sadr se déploient dans la capitale irakienne suite à la prise d’assaut du parlement

BAGDAD – La capitale irakienne est devenue un camp militaire pour les factions armées chiites alors que les combattants du gouvernement et ceux qui sont fidèles à Moqtada al-Sadr assemblent leurs forces, après que plusieurs milliers de partisans de l’imam chiite ont pris d’assaut le parlement irakien ce samedi.

L’accumulation de troupes menace de déborder en une confrontation chiite interne et entrave les efforts fournis par le gouvernement pour lutter contre le groupe État islamique dans l’ouest et le nord du pays, plusieurs milliers d’hommes étant retirés des lignes de front.

Les routes menant à la zone verte de Bagdad, qui abrite des ambassades, le parlement irakien et l’aéroport, se sont transformées en une longue ligne de postes de contrôle sur laquelle des centaines de véhicules blindés et des milliers de combattants de la force chiite de « mobilisation populaire » sont déployés pour protéger sa sécurité.

La distance entre les véhicules blindés ne dépasse pas 50 mètres. La zone grouille de combattants couverts de poussière et aux traits fatigués, équipés de mitrailleuses et de lance-roquettes.

Des commandants de factions armées chiites et des responsables irakiens de la sécurité ont indiqué à Middle East Eye que la plupart des hommes qui se trouvent aujourd’hui à Bagdad ont été redéployés depuis les lignes de front du nord et de l’ouest de l’Irak « pour protéger l’État et le gouvernement ».

Des Sadristes prennent d’assaut la zone verte de Bagdad (AFP)

« Nous avons déployé une partie des troupes autour de Bagdad car nous savons que les cellules dormantes de Daech qui s’y trouvent profiteraient de ces circonstances pour mener d’autres attaques », a indiqué à MEE Ahmed al-Assadi, commandant de la faction armée chiite Jund al-Imam et porte-parole des troupes de « mobilisation populaire ».

« Nous en avons également déployé à l’intérieur de Bagdad [autour de la zone verte] pour protéger l’État et les institutions gouvernementales. »

Les milices semblent être en désaccord avec l’éminent ecclésiastique chiite Sadr, qui a déplacé plusieurs milliers d’hommes de ses brigades Saraya al-Salam (« Brigades de la paix ») de l’ouest de Samarra, une ville située à environ 50 km au nord-est de Bagdad, pour les déployer dans ses bastions à travers la capitale.

Le fossé n’a cessé de se creuser depuis plusieurs mois, alors que Sadr s’efforce de faire pression pour qu’un nouveau cabinet soit formé et pour remettre en cause la domination des blocs politiques fortement ancrés en Irak. Alors que Sadr et le Premier ministre Haïder al-Abadi ont tous deux soutenu un nouveau cabinet composé en grande partie de bureaucrates, la plupart des députés se sont efforcés de bloquer leurs manœuvres, voyant en elles un défi à leur propre pouvoir.

Depuis, l’accumulation des troupes de deux forces chiites potentiellement hostiles a contribué à créer dans la capitale une atmosphère volatile qui n’a pas été observée depuis des années.

Un jour après que les partisans de Sadr ont pris d’assaut le parlement samedi, ces tensions menaçaient d’éclater et de donner lieu à une confrontation tous azimuts.

« L’affrontement entre chiites constitue une ligne rouge pour nous, mais nous combattrons quiconque menace l’État, le gouvernement et le système politique », a affirmé à MEE un commandant de premier plan d’une milice chiite.

« Peu importe qu’ils soient chiites ou non. Nous combattons Daech parce qu’il menace l’État, alors quelle est la différence ? »

Des commandants et des responsables de la sécurité ont indiqué que des puissances régionales et internationales étaient intervenues pour prévenir les affrontements dans les rues ce dimanche, et ont poussé Sadr à « éviter de déclencher une lutte entre chiites ».

Au dernier moment, alors qu’une confrontation semblait inévitable, Sadr a demandé à ses partisans de quitter la zone verte et de rentrer.

« Sadr a obtenu tout ce qu’il cherchait en prenant d’assaut la zone verte. Il a regagné la confiance des masses et l’assurance que l’armée se tiendra toujours du côté du peuple », a déclaré à MEE sous couvert d’anonymat un leader sadriste proche des pourparlers visant à désamorcer la crise.

« Il ne voulait pas entrer en collision avec les autres chiites, et les pressions des Iraniens et des Américains étaient très fortes », a déclaré le dirigeant.

Lundi, Sadr est parti en Iran, où il devrait selon de nombreuses sources rencontrer le guide suprême iranien Ali Khamenei.

Le méchant de l’histoire

Toutefois, les tensions demeurent fortes plusieurs jours après la prise d’assaut du parlement, point culminant de plusieurs mois de protestations menées par les Irakiens contre la corruption et de luttes intestines entre factions politiques au sujet d’un programme de réformes proposé par Abadi.

Depuis 2003, le gouvernement irakien est construit sur un système de quotas assurant la représentation de tous les partis politiques kurdes, sunnites et chiites.

Ses détracteurs, dont Sadr fait partie, soutiennent que le système a encouragé la corruption au sein du gouvernement et souhaitent qu’il soit remplacé.

La prise d’assaut du parlement est survenue après que Sadr a déclaré samedi dans un discours télévisé que ses partisans devaient amener leurs manifestations dans la zone verte « à un niveau supérieur ».

En vingt minutes, plusieurs dizaines de manifestants avaient escaladé les murs anti-explosion de six mètres qui entourent la zone.

Un soldat irakien fait un geste de la main devant des sadristes lors des protestations dans la zone verte (AFP)

Les forces de sécurité n’ont pas fait grand-chose si ce n’est tirer des coups de semonce en l’air, ont indiqué des responsables. Les manifestants qui ont pu entrer ont ensuite ouvert les portes de sécurité pour des milliers d’autres manifestants qui attendaient à l’extérieur.

Des responsables de la sécurité travaillant dans la zone ont expliqué à MEE que les manifestants avaient atteint les locaux du cabinet, le bureau d’Abadi et le palais du Premier ministre, mais qu’ils n’avaient pas pris d’assaut ces lieux.

À la place, les manifestants ont pris d’assaut la salle du parlement, cassé des meubles, frappé plusieurs députés et détruit des véhicules.

Dans la soirée, Sadr les a appelés à quitter le bâtiment et à partir pour se rassembler et camper pour la nuit sur la « place des Célébrations », où l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein organisait des parades militaires et des festivals annuels.

Qui a laissé entrer la foule ?

« Les forces chargées de sécuriser la zone verte n’ont même pas essayé d’arrêter les manifestants, a affirmé un haut responsable irakien de la sécurité. Les premières enquêtes ont révélé que les agents ont reçu l’ordre de ne pas affronter les manifestants et de les laisser entrer. »

« Selon nos enquêtes, c’est le lieutenant-général Mohammad Ridha, commandant des forces spéciales chargées de la sécurité de la zone verte, qui a donné cet ordre, bien que nous ne puissions confirmer jusqu’à présent si c’est bien lui qui l’a donné ou si c’est quelqu’un d’autre », a déclaré le responsable.

Ridha, un officier militaire chiite, a reçu Sadr et lui a embrassé la main en public le 27 mars, lorsque Sadr a commencé un sit-in à l’entrée du parlement pour exiger la mise en place d’un nouveau cabinet de « technocrates ».

Les chefs des blocs parlementaires ont blâmé Abadi pour l’irruption de samedi, affirmant que celle-ci a été prévue par le Premier ministre en accord avec Sadr afin de « faire pression sur les blocs politiques » et de les forcer à voter sur la question du remaniement ministériel.

« Le commandant en chef des forces armées [Abadi] porte l’entière responsabilité de toute violation de la sécurité ou tout assaut contre les institutions de l’État, son entité et son prestige », a déclaré Salim al-Jabouri, président du Parlement.

« Il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger chaque citoyen irakien ainsi que les représentants du peuple. »

Pourtant, Abadi semblait détendu lorsqu’il marchait parmi les manifestants ce samedi, dans une séquence vidéo publiée par son bureau de presse.

Il continue également de bénéficier du soutien des États-Unis et de la communauté internationale. Le démettre de ses fonctions ne sera pas aussi simple que nombre de chefs de factions irakiennes le croient.

« Il semble être dans une position très forte. Évidemment, nous le soutenons fortement en raison de ce qu’il représente », a déclaré lundi le secrétaire américain à la Défense Ash Carter.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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