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L’unité par la division : le plan des sunnites pour leur salut et celui de l’Irak

En se basant sur la constitution irakienne, des sunnites de premier plan ont proposé de créer une région autonome dans le cadre des efforts visant à stabiliser le pays
Oussama al-Nujaifi a évoqué la semaine dernière pour Middle East Eye les espoirs d’un Irak plus fédéraliste (AFP)

BAGDAD – Les figures politiques sunnites d’Irak ont un plan pour rétablir l’unité dans leur pays et soutiennent que le seul moyen d’arrêter la crise politique et sécuritaire en Irak est de créer une région autonome pour les sunnites.

« Cela permettrait de ramener la stabilité et l’unité en Irak, de poursuivre le système politique actuel et de remédier aux problèmes et aux erreurs [commises par le gouvernement à dominance chiite] », a expliqué à Middle East Eye Oussama al-Nujaifi, chef du Comité supérieur de coordination (« Higher Coordination Committee » – HCC) et ancien vice-président irakien, à Bagdad.

Le HCC est un organe politique sunnite composé de treize blocs parlementaires et partis sunnites irakiens de premier plan.

« Former des régions à partir de provinces situées à l’intérieur des frontières administratives est une question tout à fait normale et légitime. Cela permettrait d’organiser les relations entre Bagdad et les régions et de distribuer l’autorité », a-t-il soutenu.

Les musulmans sunnites, qui ont gouverné l’Irak pendant des siècles jusqu’à la chute de Saddam Hussein, déplorent la marginalisation, l’exclusion et les discriminations subies de la part du gouvernement à dominance chiite à Bagdad, qui a pris les commandes après l’invasion américaine de 2003.

Oussama al-Nujaifi, chef du Comité supérieur de coordination et ancien vice-président irakien (MEE/Hadeer Al-Sayeed)

Les sunnites sont devenus les grands perdants lorsque le groupe État islamique s’est emparé de vastes étendues de territoire dans le nord et l’ouest du pays en juin 2014. Ils ont perdu le contrôle de leurs villes, dont beaucoup ont depuis été reprises par les forces kurdes et chiites.

Les sunnites ont attribué au gouvernement irakien et aux forces de sécurité fédérales la responsabilité de la progression éclair de l’État islamique, tandis que Bagdad a accusé les sunnites des provinces du nord et de l’ouest du pays de collaborer et de sympathiser avec les combattants de l’État islamique.

« Bagdad enfreignait les règles [...] et interférait dans les affaires du peuple. Bagdad interférait même dans l’administration de la province de Mossoul [...] en imposant un couvre-feu, en bloquant des routes et des marchés et en arrêtant des gens au hasard », a indiqué Nujaifi à MEE.

« Cela a créé une atmosphère de division et de tension entre le peuple et les forces irakiennes et cela a entraîné la chute des villes », a-t-il ajouté.

Selon Khalid al-Mafraji, porte-parole du HCC, « les sunnites arabes ne seront pas en mesure de résoudre leurs problèmes avec Bagdad sans obtenir l’autonomie dans leurs zones, sans être indépendants et sans pouvoir s’autogouverner ».

La réponse des sunnites consiste à utiliser la constitution du pays de 2005 pour transformer leurs bastions provinciaux en des régions semi-autonomes.

La constitution stipule que toutes les provinces d’Irak ont le droit de le faire si cela est soutenu par la majorité à l’issue d’un référendum.

Toute motion permettant d’organiser ce vote doit bénéficier du soutien d’un tiers du conseil provincial ou d’un dixième des électeurs inscrits.

En cas de succès, les nouveaux cantons feraient toujours partie de l’Irak fédéral mais se verraient octroyer des pouvoirs dévolus similaires à ceux dont jouit la région kurde irakienne autonome, bien que pas aussi larges.

« La première étape est de transformer chaque province sunnite en région, et quand les gens verront les avantages de ce système administratif très important, alors les réactions seront sûrement très positives », a soutenu Mafraji.

Les discussions ne sont pas officiellement remontées jusqu’au Parlement irakien et aucune nouvelle demande n’a été transmise au gouvernement central par une province sunnite, ont indiqué à MEE des responsables et figures politiques irakiens.

En vertu de la constitution irakienne, les nouvelles régions endosseraient la responsabilité des services de santé, de l’enseignement, du logement, des finances, des municipalités et du tourisme. De plus, les régions seraient autorisées à former et à contrôler les forces de protection régionales, la police locale et les autres services de sécurité locaux, ce qui représente l’objectif principal que la plupart des sunnites espèrent réaliser dans le but de chasser de leurs secteurs les forces de sécurité à dominance chiite.

Le projet de « région sunnite », publié par Adnan al-Dulaimi, homme politique sunnite de premier plan et chef de l’ancien bloc parlementaire Tawafiq, comprendrait cinq provinces : Ninive, Anbar, Salaheddine, Diyala et Bagdad. 

Chiites, sunnites, Kurdes

Selon de nombreuses sources, la province d’Anbar, vaste sur le plan géographique, serait la première à emprunter cette voie.

« Ce qu’il faut maintenant, c’est poser la première pierre [former la région] et Anbar est la meilleure province qui puisse constituer cette pierre », a indiqué à MEE un important homme politique sunnite sous couvert d’anonymat.

« À la fin de l’année, nous espérons qu’Anbar sera la première région sunnite en Irak et que Ninive sera la deuxième », a-t-il ajouté.

Une manœuvre en vue d’une reconnaissance internationale

La plupart des blocs parlementaires et partis politiques sunnites font pression pour obtenir le soutien national et international nécessaire à la création de leurs régions.

Des conférences politiques ont eu lieu en Turquie, à Doha, en Jordanie et à Erbil à la fin de l’année dernière afin d’unifier les factions sunnites irakiennes et de les encourager à soutenir les projets de régions comme étant « un moyen fondamental » de mettre fin à la marginalisation des sunnites à travers les « violations systématiques » commises par le gouvernement de Bagdad et les forces de sécurité fédérales irakiennes, a affirmé Nujaifi.

Mafriji et Nujaifi ont indiqué que la proposition désormais sur la table consiste à « régionaliser les provinces », mais les idées qui circulent sur les médias sociaux et qui ressortent des conférences de presse des alliés de Nujaifi et Mafraji semblent indiquer autre chose.

Rafi al-Issawi, ancien ministre des Finances irakien en fuite et important allié de Nujaifi, a mobilisé la communauté arabe et internationale et l’a appelée à soutenir la formation de la « région sunnite ».

Atheel al-Nujaifi, frère d’Issawi et de Nujaifi, a fondé la semaine dernière un groupe informel de « représentation des Arabes sunnites » à Washington pour rechercher le soutien de la communauté internationale afin d’offrir aux sunnites irakiens « des droits juridiques, constitutionnels et humains », a précisé un communiqué publié par Nujaifi.

Cependant, alors que de nombreux secteurs sont encore sous le contrôle de l’État islamique, les sunnites ont besoin de l’aide de l’armée du gouvernement central et de ses milices chiites alliées pour reprendre les secteurs que les sunnites considèrent comme les leurs.

Ahmed, qui vit à Falloujah, ville de la province d’Anbar contrôlée par l’État islamique, a confié à MEE que tout est préférable au fait d’être gouverné par le groupe État islamique.

« La situation est très mauvaise et ne peut être tolérée. Nous voulons être sauvés et nous ne nous opposerons pas à l’entrée d’une quelconque force du gouvernement irakien à Falloujah », a déclaré Ahmed, qui n’a pas souhaité donner son nom complet.

« Nous savons que l’armée nous arrêtera et nous insultera, mais au moins, nous serons sûrs que nos familles seront en sécurité et trouveront de quoi manger. »

Ahmed estime que les forces armées qui participeront à la reprise de Falloujah « brûleront tout, et [que] ce ne sera pas un problème tant que ce sont nos fils qui gouvernent par la suite ».

Les Kurdes, qui jouissent d’une autonomie de facto depuis 1991, et les chiites d’Irak, qui ont écrit la constitution fédérale, ont  affirmé n’avoir aucun problème avec les projets de régions « tant qu’elles seront en conformité avec la constitution irakienne ».

Cependant, ils ont averti que la question de savoir où ces cantons pourraient se trouver susciterait beaucoup de discussions.

« Nous ne sommes pas contre la formation des régions. C’est dans la constitution [...] Mais qu’en sera-t-il des zones contestées ? », a indiqué à MEE Araize Abdullah, un législateur kurde de premier plan.

Abbas al-Bayati, un député chiite, a expliqué à MEE que les frontières et les responsabilités économiques constitueraient les principales pierres d’achoppement.

« Ce qui est confirmé, c’est que la région sunnite ne comprendra pas Bagdad. Bagdad est à tout le monde », a soutenu Biyati.

Le député a prévenu que les sunnites devaient réexaminer l’intégration des parties contestées de Salaheddine, Anbar et Mossoul dans la nouvelle région. « Ils doivent avant tout résoudre le problème des zones contestées dans ces provinces avec les Kurdes et les chiites », a-t-il ajouté.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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