Comment Israël a intensifié son programme de colonisation après la victoire électorale de Trump
Sur une colline au sud de Naplouse, la colonie d’Amihai prend forme.
Les équipes de construction et les engins de chantier fouillent le site poussiéreux. Des routes rudimentaires quadrillent la terre sèche. Des rangées identiques de maisons rectangulaires inachevées sont plantées là, délimitées par des saletés empilées dans leurs jardins avant et arrière.
Avikhay Buaron, l’un des premiers résidents d’Amihai, se plaint de la taille de sa maison : « À Amona, nous avions une maison de 180 m² que nous avions construite avec notre propre argent. Celle-ci fait 90 m², nous avons sept enfants ». Il soutient toutefois les projets du gouvernement visant à étendre les frontières d’Israël avec les colonies. « Amihai est complètement légal », affirme-t-il. « C’est casher. »
Amihai a été offert aux résidents juifs comme Buaron par les autorités israéliennes en guise de compensation après l’évacuation de l’avant-poste d’Amona en Cisjordanie en février 2017.
Les autorités israéliennes reconnaissent les colonies, mais les avant-postes – érigés par les colons sans l’autorisation préalable du gouvernement israélien – sont considérés comme illégaux en vertu de la loi israélienne.
Toutefois, Buaron a foi dans les autorités. « L’État israélien revendiquera la souveraineté sur la Judée et la Samarie [la Cisjordanie] », prédit-il, « parce que le peuple israélien croit que c’est sa patrie. Penser que les juifs vont quitter la Judée est une grossière erreur. Ils n’iront nulle part. »
Et il y a aussi un gouvernement étranger, à plus de 9 000 km de cette colonie, envers lequel Buaron est reconnaissant.
« Dieu merci, nous avons l’Amérique », dit-il.
Une vision d’Israël
La construction d’Amihai a été approuvée en mars 2017, la première nouvelle colonie officiellement établie par le gouvernement israélien depuis 1992.
Déjà, 102 habitations ont été autorisées depuis que le président américain Donald Trump, le plus grand partisan d’Israël à la Maison-Blanche depuis des décennies, a pris ses fonctions en janvier 2017.
Sous Trump, Washington a clairement exprimé son soutien à Israël, reconnaissant Jérusalem comme sa capitale en décembre 2017 et ne condamnant pas l’utilisation de la force mortelle contre les manifestants palestiniens à Gaza pendant la Grande marche du retour.
Néanmoins, le nombre d’agréments accordés aux colonies israéliennes au cours de la même période a fait l’objet de beaucoup moins de publicité. Chaque projet d’habitation – défini comme un logement individuel – doit franchir quatre étapes au sein du gouvernement israélien. Ce n’est qu’alors que l’appel d’offres est lancé, ce qui permet aux entrepreneurs potentiels de postuler pour la construction de la colonie.
Au cours des deux dernières années, l’expansion de la colonisation a été forte. Ceci indépendamment de l’étape où en est la colonie, que ce soit un ensemble de dessins d’architecte dans un bureau de planification ou la remise des clés du logement à une famille de colons.
Au cours des dix-huit mois précédant l’élection de Trump en novembre 2016, 4 476 logements ont été approuvés, selon l’organisation israélienne Peace Now. Mais dans les dix-neuf mois qui ont suivi, ce chiffre a plus que triplé, pour atteindre 13 987 logements.
« Ce que nous constatons sur le terrain depuis l’élection de Trump, c’est [le soutien] aux Israéliens pour l’expansion de leurs colonies »
- Hagit Ofran, Peace Now
La construction de colonies en Cisjordanie est illégale en vertu du droit international. La quatrième Convention de Genève stipule que « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle », comme cela s’est produit avec Israël en Cisjordanie.
Et les chiffres continuent de croître : pour les dix-neuf derniers mois, ceux-ci excluent l’approbation par le gouvernement israélien, le 3 juillet de cette année, de 1 000 logements destinés à étendre la colonie de Pisgat Zeev à Jérusalem-Est.
« Ce que nous constatons sur le terrain depuis l’élection de Trump, c’est [le soutien] aux Israéliens pour l’expansion de leurs colonies. Nous le voyons dans ce qui est dit officiellement par l’administration américaine et sur le terrain avec ce que fait Israël », a déclaré Hagit Ofran, membre de l’équipe de surveillance de la colonisation de l’ONG israélienne Peace Now.
L’expansion des colonies, ainsi que la pression exercée sur les villages palestiniens par les autorités israéliennes, est politique et conforme à la vision d’étendre la souveraineté israélienne à travers la Cisjordanie occupée jusqu’au Jourdain.
C’est une vision qu’Ofran croit voir devenir réalité. « Ils se dirigent vers une mentalité d’annexion, à travers de nombreuses initiatives législatives du gouvernement. »
Trump rompt avec la tradition
Les présidents américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont toujours critiqué les colonies israéliennes.
« Obama ne pouvait rien faire pour la paix dans la région, mais Trump ne gère pas cela en tant que président », a déclaré Walid Assaf, président de la Commission contre le mur et les colonies de l’Autorité palestinienne.
« Il n’applique pas le droit international et il protège uniquement l’occupation israélienne. Trump est en fait l’un des pires présidents des États-Unis de tous les temps. »
Lors de sa première rencontre avec Benyamin Netanyahou en 2009, Obama a déclaré à son homologue israélien qu’il devait geler les colonies.
« Même auparavant, sous l’administration Bush, il y avait une politique claire consistant à ne pas accepter la construction de colonies où que ce soit », rapporte Ofran
Cela a changé avec Trump.
« Nous avions l’habitude de voir, avec les administrations précédentes, des réactions au développement dramatique des colonies. Cette administration n’a émis quasiment aucun commentaire »
- Hagit Ofran, Settlement Watch
« Il s’agit surtout de ce que les États-Unis n’ont pas officiellement déclaré », précise Ofran. « C’est plutôt le manque de commentaires sur les choses qui sont faites sur le terrain par Israël. Nous avions l’habitude de voir, avec les administrations précédentes, des réactions au développement dramatique des colonies. Nous aurions eu des commentaires de la Maison-Blanche. Cette administration n’a émis quasiment aucun commentaire. »
Hagit Ofran affirme que le gouvernement israélien fait maintenant des choses qui étaient considérées comme tabou dans le passé, comme les nouvelles habitations pour colons approuvées au cœur d’Hébron. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), cette zone est classée deuxième en Cisjordanie pour la violence des colons contre les Palestiniens au début de l’année 2017.
« Les projets de construction d’une nouvelle colonie de 31 habitations au cœur d’Hébron sont quelque chose que nous n’avions pas vu depuis les années 1980 », explique Ofran. « Ce n’est pas seulement la quantité, c’est la qualité de ce qu’ils font. »
« Je suis absolument persuadée que l’administration Trump est pour Netanyahou. Trump l’aide à faire ce qu’il veut. »
La « neutralité » de la Maison-Blanche
La réaction de la Maison-Blanche actuelle à l’expansion a été neutre dans son langage. Dans au moins deux communiqués consultés par Middle East Eye, apparaît l’expression « l’activité de colonisation non contenue ne fait pas avancer la cause de la paix ».
Le 24 janvier 2017, quelques jours seulement après l’investiture de Trump, Israël a approuvé l’installation de 2 500 logements pour les colons en Cisjordanie
La nouvelle administration américaine est restée silencieuse.
Le 16 juin 2017, moins de six mois après le début du mandat de Trump, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a déclaré que le gouvernement avait approuvé le plus grand nombre d’habitations pour colons depuis 1992.
Grâce à Trump, Israël ne se retient plus, a déclaré Lieberman au Times of Israel dans une interview.
« Il est évident que les États-Unis sont notre principal partenaire stratégique, et avec nos partenaires nous sommes dans la transparence », a-t-il déclaré. « Tout est ouvert. Nous gardons les lignes ouvertes, nous gardons le dialogue, nous gardons la sincérité, nous avons des ententes. »
Lors d’un point presse à Washington le 7 décembre 2017, le lendemain de l’annonce du déménagement de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, un journaliste a demandé à David Satterfield, secrétaire d’État adjoint au Bureau des affaires du Proche-Orient, quelle était la position des États-Unis concernant la construction de colonies à Jérusalem-Est. Il a répondu : « Je ne vais pas redéfinir la politique à ce stade. »
Cette question a été soulevée à nouveau le 5 juin de cette année.
Heather Nauert, porte-parole du département d’État, a répondu : « Le président a évoqué à de nombreuses reprises les colonies, et l’une des choses qu’il a dites c’est que l’activité de colonisation non contenue ne fait pas avancer la cause de la paix. Le président a également déclaré que le gouvernement d’Israël lui en avait parlé et qu’ils avaient eu des conversations privées à ce sujet. Toutefois, nous avons été clairs sur la question des colonies depuis le premier jour. »
MEE a adressé une demande de commentaires à des représentants de l’ambassade américaine en Israël. Ceux-ci ont refusé de donner toute interview mais ont déclaré dans un communiqué : « Le gouvernement israélien a clairement indiqué qu’il avait l’intention d’adopter une politique concernant les activités de colonisation qui tiendra compte des préoccupations du Président. Les États-Unis s’en félicitent.
« Le gouvernement a été clair : bien que l’existence de colonies ne soit pas en soi une entrave à la paix, de nouvelles activités de colonisation sans limite ne contribuent pas à faire avancer la paix ».
La Cisjordanie abrite aujourd’hui plus de 200 colonies israéliennes, dont au moins 125 sont officiellement reconnues par le gouvernement israélien, et 100 autres ont été construites sans autorisation officielle mais avec le soutien du gouvernement, elles sont connues sous le nom de « avant-postes ». Ces deux types de colonies abritent aujourd’hui près de 600 000 Israéliens.
Le Conseil de Yesha est l’organe de coordination des autorités municipales des colonies du territoire.
Elie Pieprz, son porte-parole, estime qu’Obama avait une « attitude différente » de Trump mais que « c’était une grossière erreur ».
« Je crois fermement que plus il y a de maisons en Judée et en Samarie, meilleures sont les chances de paix, parce que nous détruisons le discours selon lequel les Palestiniens et les Israéliens doivent être séparés »
- Elie Pieprz, Conseil de Yesha
Il nie qu’il y ait eu un essor significatif depuis que Trump est arrivé au pouvoir et que les États-Unis ne soutiennent que la construction de colonies en raison de la « loi de l’offre et de la demande ».
« Je crois fermement que plus il y a de maisons en Judée et en Samarie, meilleures sont les chances de paix, parce que nous détruisons le discours selon lequel les Palestiniens et les Israéliens doivent être séparés », estime-t-il. « Nous avons essayé cela avant 1967 et nous n’avons pas eu la paix. »
« Le gouvernement américain ne dit à personne dans aucune autre partie du monde qu’ils devraient ou ne devraient pas construire de maisons. »
« C’est comme s’ils étaient humains et nous pas »
S’il y a un symbole de la tension actuelle entre Israël et la Palestine sur la question de savoir qui peut vivre où, c’est le village de Khan al-Ahmar, à l’est de Jérusalem.
La tribu de Bédouins palestiniens de Jahalin s’y est installée au début des années 1950 après que le jeune État d’Israël les eut expulsés de leurs terres dans la région de Tel Arad dans le Néguev.
Cependant, les préparatifs sont en cours pour démolir le site et agrandir la colonie voisine de Kfar Adumim, en dépit des condamnations internationales du Royaume-Uni, de la France, de l’Irlande et de l’ONU, entre autres.
Le 5 juillet, la Cour suprême israélienne a ordonné un sursis dans la démolition : une série d’injonctions a par la suite retardé la démolition et l’expulsion de la population. La prochaine audience est prévue le 15 août.
Depuis que Donald Trump est devenu président des États-Unis, 415 projets de logements ont été approuvés à Kfar Adumim, dont 92 le 30 mai. Les autres avaient été approuvés en février 2017, un mois après l’arrivée de Trump.
« L’expulsion continue de génération en génération », explique Ahmad Abu Dahuk, un habitant de Khan al-Ahmar.
« Mes parents ont été expulsés de Tel Arad dans le Néguev et maintenant nos enfants vont être confrontés à la même chose »
- Ahmad Abu Dahuk, habitant de Khan al-Ahmar
« Nous vivons constamment en déplacement. Mes parents ont été expulsés de Tel Arad dans le Néguev et maintenant nos enfants vont être confrontés à la même chose. »
Zakhari Saddam est originaire du village palestinien de Jit, à l’ouest de Naplouse et au nord de la colonie d’Amihai. Il critique l’expansion des colonies et le manque d’accès aux permis de construire pour son village.
Soixante et un pour cent de la Cisjordanie est constituée de ce qu’on appelle la zone C, qui est sous contrôle israélien, le reste du territoire étant soit sous contrôle palestinien, soit partagé entre les deux.
Les demandes de construction palestiniennes doivent passer par l’administration civile israélienne – mais moins de 2 % d’entre elles sont approuvées.
« Il y a des années, il y avait 1 500 personnes dans mon village », explique Saddam. « Maintenant, il y a 3 000 personnes et il nous faut de plus en plus de bâtiments. Dans le même temps, ils permettent aux colons de construire de plus en plus et d’étendre constamment les colonies et les avant-postes. »
Saddam dit vouloir vivre en paix et croire en la solution à deux États – mais il estime que c’est impossible tant que les colonies resteront.
« Ils aimeraient tuer toute chance de paix. Les États-Unis aident Israël et les protègent partout… Ils font tout ce qu’ils veulent, personne ne peut les arrêter. »
Ahmad Abu Dahuk est d’accord – et reproche à Trump d’avoir aggravé une situation déjà précaire. « Trump détruit le monde », estime-t-il. « La colonie s’agrandit et nous rétrécissons. »
« C’est comme s’ils étaient humains et nous pas », dit-il en désignant Kfar Adumim, dont l’expansion menace son village.
Traduit de l’anglais (original).
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