Comment l'État islamique a formé des escadrons de la mort dans le sous-sol de Mossoul
MOSSOUL, Irak - Illuminée par les minces faisceaux lumineux des lampes frontales des soldats et de leurs téléphones mobiles, l’échelle horizontale projette des ombres angoissantes sur les murs du tunnel de chemin de fer abandonné.
Depuis presque trois ans, ce tunnel au plafond élevé a servi de camp d’entraînement à l’État islamique (EI) pour l’entraînement de la plupart de ses soldats d’élite. Il y avait assez de place pour former jusqu'à 50 personnes en même temps.
Ce tunnel s’étend sur deux kilomètres et demi sous les collines poussiéreuses de la périphérie sud de Mossoul. Les soldats expliquent que le camp de Palmyre – dont le nom s’inspire de la ville historique syrienne – était le plus grand centre de formation de l’État islamique en Irak.
Il abrite encore les équipements des recrues de l’EI – qui ont reçu un rigoureux programme d’entraînement inspiré par celui des Forces spéciales.
Un maillage de fils barbelés a été tendu sur des poteaux de faible hauteur, sous lesquels devaient ramper les stagiaires. Une tyrolienne de vingt mètres de long, que les forces irakiennes ont coupée, traîne, inerte, sur le plancher : elle faisait partie d’un parcours du combattant que devaient suivre les recrues chargées de sacs à dos en toile remplis des grosses pierres.
« C’était un très bon entraînement pour des soldats de type forces spéciales » explique à Middle East Eye le lieutenant-colonel Abdulemir al-Mohamed Alwi, responsable des médias pour la division d’élite Réponse rapide irakienne (ERD).
« Ils auraient reçu ici un entraînement intensif et intelligent et seraient devenus de bons combattants. Mais cet entraînement n’était pas ouvert à tout le monde. Il était exclusivement réservé aux forces d’élite de Daech, dont les plus jeunes s’appelaient ‘’Les lionceaux du Califat’’, ainsi qu’aux combattants préparés aux missions suicide spéciales destinées à prendre les lignes ennemies à revers ».
Une voie de chemin de fer abandonnée transformée en camp d’entraînement
Le tunnel faisait jadis partie d’un réseau ferroviaire reliant Mossoul à la capitale de l’Irak, Bagdad. À vingt kilomètres du centre-ville, il s’étire sous la périphérie de la banlieue d'Abu Saif, à l’ouest de Mossoul.
Il avait été laissé à l’abandon quelques décennies plus tôt, avant même la prise de pouvoir par Saddam en 1979, et fut réquisitionné à la mi-2014 par l’EI après sa prise de contrôle de la ville.
Comprenant que ce tunnel, loin des zones résidentielles, pourrait constituer l’endroit idéal pour un centre d’entraînement clandestin, où séances de formation et réunions de haut niveau se dérouleraient dans le plus grand secret, l’EI arracha les anciennes voies du chemin de fer pour installer dans le tunnel tous les équipements nécessaires pour abriter pendant plusieurs semaines des groupes pouvant atteindre jusqu’à 50 combattants à la fois.
Depuis qu’en octobre dernier, l’armée irakienne a lancé sur Mossoul son offensive, depuis longtemps planifiée, l’EI s’est fortement appuyé sur les vastes réseaux de tunnels parcourant le sous-sol de Mossoul et de la région environnante pour défendre ce qui fut autrefois sa forteresse en Irak.
Ce camp de Palmyre était totalement invisible du ciel, mais les frappes aériennes ont réussi à loger une bombe dans l’une de ses entrées, suite aux informations enregistrées par les opérations de surveillance trahissant une activité suspecte dans la région, au moment où les forces irakiennes progressaient vers l’ouest de Mossoul. En quelques jours, les forces terrestres de l’ERD ont réussi à pénétrer dans les lieux, mais l’accès est resté restreint jusqu’à ce que les unités du génie militaire déclarent que tout danger écarté.
« Nous avons trouvé un grand nombre de tunnels et nous attendons à en trouver encore plus, mais c’est de loin le plus long, jusqu’à présent », relève Ahmed, un soldat de l’ERD.
Ce graffiti l’annonce : la marche de l’EI sur Rome a commencé
Plusieurs indices indiquent que le tunnel avait récemment été utilisé – mais les forces de l’ERD ont indiqué n’avoir trouvé le corps d’aucun combattant de l’EI. Même si l’attaque aérienne a effectivement démoli une entrée, l’intérieur était protégé par d’extraordinaires défenses : des chicanes faites de milliers de sacs de sable, construites à chaque entrée du tunnel. Des trous dissimulés dans le toit fournissaient des voies d’évacuation supplémentaires.
Les murs blanchis à la chaux sont toujours barbouillés de représentations du désormais tristement célèbre drapeau noir de l’EI, et constellés de dessins floraux incongrus et grossièrement exécutés, en plus des graffitis calligraphiés affichant les mots d’ordre de Daech.
« Nous soutenons le Califat et nous comptons de par le monde des amis prêts à prendre les armes », menace l’un d’eux.
Ahmed, un soldat de l’ERD, éclate de rire à la lecture d’une inscription qu’il déchiffre à haute voix : la marche de l’EI sur Rome a commencé. « C’est carrément débile », commente-t-il avec mépris. « J’aime beaucoup Rome. Je ne tiens pas à ce que Rome subisse ce qu’ils ont fait à Mossoul. Ne touchez pas à Rome ».
« Personne ne serait capable d’arriver jusqu’ici et monter une telle installation sans une aide extérieure. Mais on ne sait pas encore par quels pays ils étaient soutenus ».
- Le lieutenant-colonel Abdulemir al-Mohamed Alwi
Les cibles abandonnées en carton et en métal témoignent de la façon dont les recrues d’EI ont été formées au maniement d’armes diverses et variées. Les combattants commençaient à tirer au pistolet sur des cibles placées à 50 mètres, et passaient ensuite à des armes plus lourdes, en reculant jusqu’à 300 mètres.
Les stagiaires s’entraînaient au tir sur des cibles en béton armé, grossièrement décorées de peintures de Kalashnikovs, et apprenaient à se défendre. Des flèches peintes en rouge leur désignaient l’endroit exact où placer leurs fusils pour viser les cibles, avant de s’esquiver pour se mettre à couvert.
Au milieu du tunnel, Alwi s’arrête devant une partie très étendue qui a été incendiée. « Il y avait sans doute quelque chose d’aussi secret qu’intéressant, ici, parce que Daech y a mis le feu avant de partir », explique-t-il en touchant du pied de fragiles formes noircies, qui se désintègrent en cendres sous sa botte.
« Aucune idée de ce que cela pouvait être, mais on peut être sûr que c’était important puisque c’est la seule chose qu’ils ont incendiée et qu’ils sont partis en laissant beaucoup d’autres choses intactes. »
Des cartes de Mossoul sur des planches d’aggloméré
Dans une des issues du tunnel obscurci, équipé il y a peu de l’éclairage électrique, de l’eau courante et de la climatisation, ne restent que les gravats de la zone d’accueil du camp de Palmyre, où les nouvelles recrues étaient triées, analysées et enregistrées. Un plus loin se trouve la zone d’habitation, équipée de salles de bain, et une grande surface dédiée à la prière au sol recouvert de tapis. Derrière, sur le mur, la peinture d’une mosquée.
Le sol de la zone d’accueil est jonché de journaux de Daech glorifiant les opérations suicide et énumérant les noms des combattants morts au combat ce mois-là, ainsi que les pertes subies par l’ennemi, sans oublier les brochures expliquant comment vérifier si les gens sont de « véritables » musulmans.
Les soldats de l’ERD exhibent des brochures de Daech au format de poche en se moquant des instructions expliquant comment tuer un mouton : les stagiaires du camp de Palmyre avaient plus de chances de décapiter des soldats irakiens que d’abattre des animaux, raillent-ils.
Les forces de l’ERD confient que la découverte de ce camp d’entraînement leur a offert un précieux aperçu de la façon dont opèrent les combattants de l’EI sur le terrain. Une carte des quartiers Sud de Mossoul, sur une planche d’aggloméré, a été abandonnée. Elle ne comporte aucun nom de ville, révélant que les recrues ont été formées à se déplacer sans nommer les lieux géographiques, et n’y faire référence qu’avec des noms de code chiffrés.
« Chaque chiffre désigne un lieu ou une position, énuméré dans un registre à part », explique Alwi. « Ils apprennent ces chiffres par cœur et communiquent ainsi où ils se trouvent sans prononcer le nom du lieu. »
Il montre comment certains itinéraires ont été tracés sur la carte à l’aide de croix rouges et bleues gribouillées au stylo-feutre.
Ces cartes correspondent à des fiches collées sur du bois stratifié – énumérant les chiffres de diverses positions ainsi que le nom des combattants de l’EI qui en ont le contrôle – retrouvées dans la zone Est de Mossoul, à proximité de positions précédemment tenues par des tireurs d’élite de Daech.
Ont-ils bénéficié de soutiens étrangers ?
Pour creuser les tunnels, l’EI utilisait des foreuses professionnelles qui servaient aussi à aménager de grandes pièces de chaque côté du tunnel : les chambrées des stagiaires, dont le sol est jonché de dizaines de paquets de cagoules vides et d’emballages de bottes militaires.
Alwi affirme avoir la certitude que des sociétés étrangères ont fourni Daech, et il explique que les forces irakiennes travaillent désormais en collaboration avec une société canadienne pour tâcher de localiser les chaînes d’approvisionnement en équipements logistiques, vêtements et chaussures.
De l’étranger, il y a eu à la fois une aide physique et financière. « Nous estimons que des combattants et formateurs étrangers se trouvaient ici, ainsi que des soldats des forces spéciales étrangères, probablement », explique-t-il en se dirigeant vers l’étroite bande de lumière du jour qui, depuis les frappes aériennes, constitue la seule voie d’entrée praticable dans le tunnel.
« Ici, l’EI a bénéficié de soutiens étrangers, c’est certain. On a trouvé des rapports des renseignements ainsi que quelques livres en anglais et des manuels de formation militaire irakiens datant du temps de Saddam. Personne n’aurait pu arriver jusqu’ici et monter une telle installation sans soutien externe. Mais on ne sait pas encore par quels pays ils étaient soutenus ».
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.
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