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À Marrakech, les professionnels du tourisme ont les yeux rivés sur le ciel

En dépit de conditions strictes de voyage et du flou autour de la programmation des vols, les touristes sont de nouveau admis sur le sol marocain. À Marrakech et Essaouira, on les attend même de pied ferme
Amine, vendeur de jus de la place Jemaa el-Fna, à Marrakech (MEE/Tiphaine Ruppert-Abbadi)
Amine, vendeur de jus de la place Jemaa el-Fna, à Marrakech (MEE/Tiphaine Ruppert-Abbadi)
Par Tiphaine Ruppert-Abbadi à MARRAKECH et ESSAOUIRA, Maroc

Petit à petit, la cité ocre reprend son souffle et des couleurs. Symbole d’une activité touristique au point mort, la célèbre place Jemaa el-Fna sort doucement de sa léthargie.

Des rideaux tirés depuis des mois se lèvent, à la nuit tombée, des gargotes dressent le couvert, des opérations « vitrines » comme des balades en calèche sont organisées pour montrer au monde que Marrakech vibre encore.

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Pour les professionnels du tourisme, rouvrir en l’absence de visiteurs étrangers n’a pourtant rien de simple. « Sur la place, quand les touristes ne sont pas là, personne ne peut nous faire vivre. Ces trois jours, j’ai fait 20 dirhams [1,85 euros] », témoigne Amine, 29 ans, de retour à son stand de jus depuis la mi-août.

Pourtant, les affaires doivent reprendre. Question de survie. « Certaines personnes n’ont pas travaillé depuis six mois. Cela crée un gros vide dans la pratique, la formation, le moral. Nous avons besoin de retrouver un dynamisme », assure à Middle East Eye le directeur général du golf Al Maaden.

Pour contrer la perte des touristes golfeurs, son marché principal, Nicolas Barraud tente de susciter des vocations au niveau local et d’attirer de nouveaux clients vers le restaurant, mais fait une croix sur 2020.

« Même si nous baissons les prix et déployons une plus grosse communication, nous restons tributaires de l’aérien. Les conditions pour venir au Maroc sont encore tellement compliquées que nous n’en verrons pas le résultat tout de suite. »

Instabilité des vols

Le regain d’activité que connaît la ville survient en effet après l’annonce, le 6 septembre, de la réouverture partielle du ciel. Pour en profiter, les passagers doivent venir d’un pays exempt de procédure de visa, justifier d’une réservation dans un hôtel, d’un test PCR négatif de moins de 72 heures. Le test sérologique n’est, par ailleurs, plus requis. 

De quoi alléger un peu le casse-tête pour les Français – qui représentent à eux seuls 4,2 millions d’arrivées dans le royaume en 2019 –, confrontés aux laboratoires d’analyse engorgés.

Toutefois ces dispositions s’appliquent aussi bien aux courts qu’aux longs séjours.

« Nous sommes des milliers de non-résidents avec des baux de logement légalisés [à être blroqués en France]. Il faudrait [nous] faire rentrer sur attestation afin d’aider l’économie puisque nous avons le droit de passer 90 jours [sur le territoire] », détaille l’un d’entre eux.

Autre point noir, l’instabilité des vols, pour l’instant principalement assurés par Royal Air Maroc, Air Arabia, Air France ou encore Transavia, à raison de quelque 27 rotations hebdomadaires (contre près de 500 en temps normal).

Marrakech fait rêver, mais la perspective d’une réservation invalidée ou d’un reconfinement loin de chez soi freine les ardeurs. Si quelques étrangers ont déjà sauté le pas, confortant les professionnels dans leur décision, beaucoup semblent préférer jouer la sécurité.

« On ne peut pas envisager ce voyage pour l’instant à cause des quarantaines qui peuvent être décrétées pour les voyageurs. Je pense que l’on va étudier l’idée pour février », indique à MEE un Parisien qui comptait visiter la cité impériale fin septembre.

« Avec cette crise, on prend vraiment conscience de l’importance et de la valeur des touristes pour Marrakech »

- Ayoub, artisan

« Ma réservation de location est effectuée. Je pense arriver pour fin octobre [mais] les vols en partance de Bordeaux ne seront pas maintenus avec certitude. Il nous faut attendre le 10 octobre. Je croise les doigts », espère de son côté une habituée.

« J’avais de très bonnes réservations pour novembre qui ont tendance à être décalées à début 2021 par manque de visibilité », reprend Nicolas Barraud.

« Toutes mes réservations d’octobre ont été annulées pour cause de vols supprimés », se désole à MEE la gérante d’un riad parmi la cinquantaine d’établissements hôteliers en mesure d’accueillir les clients.

Othmane, moul carossa (personne qui transporte les bagages des touristes ou les courses des gens du quartier dans sa carriole) près de la fameuse place de Marrakech, raconte : « Une des maisons d’hôtes qui m’employaient avait prévu de faire sa rentrée le 15 septembre, mais vu la situation, elle a eu peur et ne rouvrira finalement pas tout de suite. »

En attendant, l’homme est passé d’une centaine de dirhams de revenus quotidiens à dix ou vingt.

« Avec cette crise, on prend vraiment conscience de l’importance et de la valeur des touristes pour Marrakech », estime quant à lui Ayoub, qui ne peut toujours pas relancer son activité de vente d’artisanat.

« À Essaouira, le COVID-19, on le sent »

À moins de 200 kilomètres vers l’ouest, Essaouira et ses 200 hôtels classés rien que dans sa médina accusent le coup. Les professionnels ont à peine sorti la tête de l’eau entre le 14 juillet et la fin août, avec les vacances des Marocains. Quelques établissements ont refermé, les autres ouvrent en pointillés ou le week-end.

« Nous n’avons que deux pôles : le port de pêche [confiné pendant septembre mais désormais rouvert] et le tourisme. Quand le tourisme s’écroule, il n’y a plus d’opportunités », affirme à MEE Serge Peuzin, vice-président de l’Association des restaurateurs de la ville, qui a récemment publié une tribune pour alerter sur la situation de ses adhérents. Comme partout au Maroc, le métier fait apparemment partie des « oubliés » du dispositif de la Caisse nationale de sécurité sociale.

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« À Essaouira, le COVID-19, on le sent. Avec l’aéroport de Casablanca fermé, on ne sait pas trop comment ça va se passer. On attend les annonces officielles, les dimanches, avec impatience », poursuit-il.

Et de tempérer l’enthousiasme de la capitale régionale : « Nous sommes positifs… mais pour avril 2021. La relance, c’est à ce moment-là qu’il faudra y travailler sérieusement. Pour l’instant, même si les belles images sont là, il n’y a pas d’opportunités. »

« Nous attendons de voir comment la rentrée va se passer, mais il risque d’y avoir des mises en faillite », avance Marie-José Brandao. La vice-présidente de l’Association des maisons d’hôtes de Marrakech et Essaouira sent que « ça frémit » mais juge le futur proche trop incertain pour enclencher quoi se soit.

« On ne peut pas y aller seuls », considère-t-elle. « L’ouverture prochaine des palaces est un signal fort, mais l’ouverture des frontières a encore besoin d’être clarifiée. »

Du reste, tous tentent de s’adapter : « Le vendeur d’argan dans ma rue propose désormais des chaussures pour la clientèle locale. Les Souiris sont des gens extraordinaires, on ne leur casse pas le moral comme ça », rapporte le restaurateur.

Hamid Bentahar, président du Conseil régional du tourisme de Marrakech-Safi (CRT), se montre déterminé.

« Nous venons de passer dans une phase plus offensive. Nous sommes décidés à nous remettre en action. Il y a une vraie envie de la destination pour cet hiver mais, bien sûr, nous sommes conscients qu’on ne va pas tourner un interrupteur pour que le tourisme redémarre comme avant. »

Pour le secteur, la perspective d’un retour aux chiffres de l’excellente année 2019 (5,6 millions de nuitées entre janvier et août) n’est pas à envisager avant 2023.

« Nous voulons faire partie de ceux qui réinventent le voyage et l’industrie de l’hospitalité dans la région »

- Hamid Bentahar, président du Conseil régional du tourisme de Marrakech-Safi

Bien décidée à ne pas louper le coche, l’instance régionale a choisi de voir la crise comme un accélérateur. La région prévoit notamment d’amener les voyageurs à l’extérieur de Marrakech. Des itinéraires thématiques labellisés devraient voir le jour, afin de capitaliser sur les richesses locales.

Une campagne de communication, dont le slogan, « Je suis à Marrakech, tu viens ? », se décline avec l’image et le nom de plusieurs autres villes, marque le coup d’envoi de la nouvelle orientation.

« Nous voulons faire partie de ceux qui réinventent le voyage et l’industrie de l’hospitalité dans la région », assure son président.

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