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À court d’argent, l’EI vend des poulets et des œufs pour lever des fonds en Libye

À Syrte, l’EI exige le paiement de loyers et de « frais de nettoyage des rues », et a réintroduit les billets de banque de l’ère Kadhafi
L’EI a ciblé à plusieurs reprises le secteur pétrolier libyen, lançant des attaques contre des gisements et des terminaux d’exportation (AFP)

La crise économique en Libye frappe de plein fouet le groupe État islamique (EI), forçant ses combattants à vendre des poulets et des œufs dans la rue, et à réintroduire les billets de banque de l’ère Kadhafi, précédemment retirés, pour aider ses finances.

Selon d’anciens habitants de la ville de Syrte, bastion de l’EI dans le pays, les militants ont mis en place des systèmes de perception des loyers et des impôts, et développé l’élevage de volailles en activité secondaire.

« Quand l’EI a pris Syrte, ses militants ont saisi de nombreuses propriétés, dont des fermes et de très grandes exploitations d’élevage de poulets », a indiqué à Middle East Eye un ancien résident de la ville, Ali.

« Des proches m’ont dit qu’on peut maintenant voir des membres de l’EI en train de vendre des œufs et des poulets dans la rue, vêtus de leurs habits noirs et le visage couvert. Ils les vendent pour vraiment pas cher, juste un ou deux dinars. »

Une autre indication selon laquelle les finances de l’EI seraient à sec réside dans une série de demandes de loyers, a ajouté Ali. Des commerçants ont été forcés de payer un loyer alors qu’ils étaient propriétaires de leurs magasins, et de donner 10 dinars libyens (environ 7,35 dollars) par semaine pour l’entretien des rues et le ramassage des ordures. Certains résidents aussi ont reçu des demandes de règlement de loyers. 

« Il y a des appartements luxueux sur la plage, le long de la côte de Syrte, qui appartenaient à [l’ancien président libyen Mouammar] Kadhafi, mais où des gens du coin habitent depuis 2011. L’EI a rendu visite à ces personnes et leur a demandé un loyer.

« Soit l’EI a besoin d’argent, soit ses membres veulent que ces gens quittent ces appartements car ils ne veulent pas qu’ils puissent observer le port et le front de mer, d’où ils peuvent recevoir des armes et des munitions. » 

Selon lui, les résidents de Syrte pensent que le groupe EI subit une forte pression financière. 

Bien que les Libyens partout dans le pays connaissent des difficultés pour se procurer de l’argent, les banques limitant les retraits à 200 - 500 dinars libyens (150 – 370 dollars) selon la région, le manque de liquide pour les personnes vivant sous le contrôle de l’EI, où les banques restent fermées, est particulièrement sévère.

Les habitants des villes qui s’étendent le long des 300 km de la côte centrale de Libye, sous le contrôle de l’EI, sont contraints de payer un carburant de mauvaise qualité au prix du marché noir, et de se rendre jusqu’à Tripoli pour faire la queue des heures durant afin de retirer de l’argent qui suffit à peine à une famille pour une semaine.

« La situation à Syrte est devenue très difficile pour tout le monde, et on dirait que ça inclut même l’EI », a déclaré Ali, ajoutant que rares étaient les denrées qui avaient atteint la ville ces derniers mois.

« Les habitants font face à une crise humanitaire et tout le monde devrait partir, surtout maintenant alors que l’on nous dit que la bataille pour reprendre Syrte des mains de l’EI va bientôt commencer, mais certains refusent toujours de partir et d’autres sont juste trop pauvres pour le faire. Ils n’ont nulle part où aller. »

De nombreux habitants ont fui au cours de la dernière suite à l’annonce par le gouvernement libyen qu’il allait reconquérir Syrte. Iman, une Libyenne de 43 ans mère de deux enfants qui a quitté la ville il y a trois jours, dit avoir dû faire la queue pendant cinq heures à un check-point de l’EI à la périphérie de Syrte tandis que les combattants fouillaient les véhicules et saisissaient ce qui pouvait leur être utile.

« Ils ont pris toute la nourriture et le gaz de cuisine dont disposaient les gens et nous ont juste laissés partir avec les vêtements, a-t-elle raconté. Mais certaines personnes n’ont pas été autorisées à partir et ont été renvoyées d’où elles venaient. »

Les billets de banque de l’ère Kadhafi

Dans la ville de Ben Jawad contrôlée par l’EI, à 150 km à l’est de Syrte, des miliciens du groupe ont réintroduit les billets de banque de l’ère Kadhafi. 

« Daech [l’EI] force les commerçants à accepter la vieille monnaie libyenne », a indiqué un ancien habitant, Mohamed, qui vit désormais à Tripoli. En 2013, le billet d’un dinar représentant Kadhafi – le dernier des anciens billets libyens – a commencé à être retiré de la circulation.

« Daech a pris le contrôle de la banque de la ville dès son arrivée à Ben Jawad et ses membres ont dû trouver tous ces vieux billets d’un dinar dans les coffres de la banque. Bien qu’ils ne soient pas censés prendre la vieille monnaie, les commerçants n’ont pas le choix et doivent l’accepter car ils doivent obéir aux règles de Daech ou en subir les conséquences. »

Mohamed a indiqué que les habitudes d’achat des militants avaient également changé, une autre indication que le groupe serait à court d’argent.

« Ils ont utilisé Ben Jawad comme un centre commercial pendant plus d’un an, avant même qu’ils ne prennent le contrôle de notre ville, et nous connaissons leurs habitudes », a-t-il affirmé.

« Ils avaient l’habitude d’acheter des produits et des biens en grandes quantités, comme le font habituellement les Libyens. Nous avons la mentalité du ‘’pourquoi acheter une seule boîte quand on peut économiser de l’argent en achetant la boîte entière ?’’

« Mais un de mes amis qui est propriétaire d’un commerce m’a dit que les membres de l’EI se contentaient maintenant d’acheter de petites choses, et seulement une ou deux à la fois. C’est un changement plutôt significatif. »

D’après lui, les difficultés financières de l’EI sont évidentes depuis plusieurs mois, depuis que le groupe a réintroduit les factures d’électricité à Ben Jawad, où les résidents ne payaient plus l’électricité depuis le soulèvement de 2011.

L’EI a aussi regarni ses coffres en exigeant des rançons de 2 500 dinars (1 840 dollars) pour la libération de chacun des plus de 150 habitants arrêtés lors de la prise de Ben Jawad en janvier.

Alors que les résidents de Syrte comme de Ben Jawad continuent de fuir, et que ceux qui restent comptent parmi les plus pauvres, l’EI a encore moins de moyens de générer de l’argent au niveau local. 

Le groupe a en outre des frais de fonctionnement significatifs, ne serait-ce que pour payer les salaires de ses combattants. La région en compterait environ 5 000, nombre d’entre eux – notamment des migrants originaires d’Afrique sub-saharienne et des jeunes locaux – auraient rejoint l’EI uniquement pour l’argent.

Les militants de l’EI expulsés de la ville orientale de Derna le mois dernier se seraient aussi réinstallés à Syrte.

L’EI cible le secteur pétrolier

L’EI a ciblé à plusieurs reprises le secteur pétrolier libyen, lançant des attaques contre des gisements et des terminaux d’exportation pendant plus d’un an.

Des chefs de tribu ont affirmé que des membres de haut rang de l’EI leur avaient confié lors de réunions officielles qu’ils avaient l’intention de prendre le contrôle du secteur pétrolier le long de la côte centrale de la Libye, riche en pétrole, et de vendre le brut.

Jusqu’à présent, les attaque de l’EI ont été repoussées par une alliance souple faite de membres des Gardiens des installations pétrolières du pays, des forces armées et de résidents déterminés.

En dépit de ses difficultés financières, l’EI ne relâche pas son emprise sur la zone.

Aux check-points, les militants du groupe continuent de fouiller les téléphones portables à la recherche de toute indication de loyauté envers l’une des trois institutions chancelantes qui gouvernent le pays ou des deux forces armées libyennes.

Les exécutions publiques, les arrestations arbitraires et les emprisonnements de quiconque est suspecté de ne pas adhérer à l’idéologie et aux règles strictes du groupe se poursuivent également, de même que la saisie de propriétés et de véhicules, a indiqué Mohamed.

« Maintenant, tant le gouvernement de Tripoli que le gouvernement de l’Est proclament qu’ils vont libérer Syrte, mais nous n’avons toujours rien vu se produire sur le terrain.

« Les libérations de Derna et d’Ajdabiya ont été rendues possibles grâce au soutien local. Mais à cause du ressentiment provoqué par leur traitement après la révolution, les gens de Syrte sont peu susceptibles d’accueillir les forces de Tripoli à bras ouverts, bien qu’ils puissent être plus enclins à soutenir l’armée libyenne [du général Khalifa Haftar] venant de l’Est. »

Traduction de l’anglais (original).

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