D’Aladdin au Voleur de Bagdad, comment les affiches de films ont créé un mythe orientaliste
Alors que ce mois-ci marque la sortie mondiale de la dernière incarnation en date d’Aladdin par Disney, une exposition au Liban a ouvert une fenêtre sur un siècle de représentations de l’Orient à travers des yeux occidentaux via des affiches de films.
Sur un mur de la galerie Dar El-Nimer de Beyrouth, une affiche en langue tchèque pour le film de 1978 Le Voleur de Bagdad s’inspire des miniatures ottomanes. Devant un fond stylisé bleu, blanc et vert, un homme portant un turban et sur un cheval tient un oiseau.
À côté de cette illustration délicate, une affiche beaucoup plus grande en arabe de la version du film datant de 1940 représente – avec des traits réalistes et des couleurs vives – un homme en turban, les yeux brillant de colère, surplombant un couple enlacé sur un tapis volant, sur fond de minarets verts, jaunes et roses.
À droite, une affiche en anglais représentant Le Voleur de Bagdad de 1924, le film original, adopte une esthétique art déco et une palette sombre : un homme brandissant un cimeterre chevauche un cheval survolant la mer obsidienne en direction d’une ville blanche.
Abboudi Abou Jaoude est le propriétaire des affiches et conservateur de « Le Voleur de Bagdad : les Arabes au cinéma », une exposition composée d’affiches de films réalisées entre les années 1910 et 1990 pour des films dont l’intrigue se situe au Moyen-Orient, mais réalisés majoritairement en Occident.
Voilà ce qu’il souhaite que les visiteurs constatent : les variations (personnelles, géographiques) dans les représentations de ces films. « La personnalité [de chaque artiste] a son propre esprit. Je voulais donc montrer cette distinction et ces types dans tous les pays. »
En parcourant « Le Voleur de Bagdad », ce qui frappe dans ces affiches n’est pas nécessairement le génie individuel des artistes, ni les intrigantes différences régionales ou temporelles entre leurs œuvres, mais la similitude de leur production.
Un seul Moyen-Orient
Il n’y a qu’un seul Moyen-Orient, semblent crier ces affiches. C’est celui où les méchants sont basanés et les objets de convoitise pâles et à moitié nus apparaissent parfois avec une partie du visage couverte, même si leurs corps ne le sont pas. C’est le Moyen-Orient des dômes en oignon (sommes-nous en Russie ?) et des tapis volants ou non, ainsi que des fez, des chevaux et du sable qui sortent du cadre.
« Quand je les collectionnais », confie Abou Jaoude à Middle East Eye, « j’ai découvert qu’ils ressemblaient aux mêmes stéréotypes [dépeints par] les artistes aux XVIIIe et XIXe siècles. C’est comme si, lorsque nous voyons cette affiche, nous voyons un tableau dessiné par ces mêmes artistes. »
Ces dessins sont gais, bien sûr ; ils sont distinctifs, visuellement abondants. Les couleurs sont vives et attrayantes, les scènes fascinantes. Il y a des ouds et des femmes qui font la moue – l’une d’entre elles est enchaînée au-dessus du titre Les Mille et une filles de Bagdad (« Les formes qui ont secoué un empire du harem ! … L’ensemble du spectacle maintenant en COULEURS EXOTIQUES »).
Le message d’introduction nous apprend que l’objectif des artistes était de « séduire le public ». Il semble que beaucoup d’entre eux étaient moins intéressés par une représentation exacte du film que par l’exercice de leur licence artistique.
Une affiche de La revanche d’Ali Baba de 1952 – « Un groupe d’amis partent en mission pour combattre le méchant sultan » – ne comporte aucune référence au groupe d’amis, privilégiant à la place un tas de femmes vêtues de magnifiques tenues vertes sur un tapis vert, auréolé par une silhouette de minaret stylisé, derrière lequel le sultan – dans des tons rouges diaboliques, les yeux brillants – brandit un cimeterre sur cheval cabré.
À proximité, une affiche rose vif en danois pour C’est arrivé à Aden (France, 1956) montre un homme basané, avide et moustachu agrippant avec un air sinistre les épaules d’une femme blonde au décolleté généreux, avec en toile de fond les silhouettes d’un dôme, d’un minaret et de palmiers. L’intrigue ? « Chroniques d’un groupe de comédiens français bloqués à Aden. »
Les affiches sont regroupées selon leur genre – amour/désir, aventure, fantaisie – et par sujet. Une section entière est consacrée aux films du Voleur de Bagdad, empruntant vaguement aux Mille et une nuits, la collection classique de contes populaires du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, dont la première mention se trouve dans un fragment du IXe siècle. Le reste de l’exposition propose des dizaines d’autres affiches pour des films basés sur les contes des Mille et une nuits : Aladdin, Ali Baba, Sinbad.
La répétition est partout – des intrigues, des titres, des tropes et des images. Une poignée de productions sont représentées plus d’une fois, par des affiches réalisées pour différents marchés dans différentes langues.
Archétypes empruntés
Beaucoup de films semblent être une corruption ou une reprise de quelque chose d’autre : les films fantastiques réutilisant la myriade de contes des Mille et une nuits, ou les imitations de James Bond dans les sections « aventure », ou les comédies renversant les tropes de ces épopées grandioses.
En fait, même le personnage archétypal très apprécié d’Aladdin était en grande partie basé sur le petit criminel éponyme des films du Voleur de Bagdad.
Ces vagues reprises viennent d’une longue tradition. « Nous avons du mal à trouver un manuscrit original, alors l’histoire du livre des Mille et une nuits regorge d’itérations et de traductions », explique Samhita Sunya, professeur assistant à l’Université de Virginie, dont les travaux sont axés sur le cinéma du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud.
Les possibilités offertes par les contes pour des images spectaculaires et leur popularité de longue date en tant que textes richement illustrés rendent leur popularité cinématographique durable sans surprise, dit-elle.
« Voici le problème : les Mille et une nuits sont des histoires merveilleuses et magiques. Je pense qu’il est important de se rappeler que beaucoup de ces contes se déroulent dans le domaine de l’imagination. »
La tendance de certains personnages ou thèmes à être pris au pied de la lettre et à être utilisés comme outils pour comprendre certaines parties du monde est « ridicule », d’après elle. « Ce sont des tropes qui finissent par réifier certaines hiérarchies profondément racialisées. »
De ridicule à sinistre
Il peut être fastidieux de souligner les stéréotypes problématiques imposés par l’âge d’or de Hollywood. Il est plus intéressant de se demander si les choses ont changé.
Greg Burris, théoricien du cinéma et de la culture à l’Université américaine de Beyrouth, a déclaré : « Ce sont évidemment des stéréotypes, ils sont évidemment problématiques à bien des égards, mais ils n’ont pas la même méchanceté que beaucoup de stéréotypes d’aujourd’hui sur les Arabes dans les médias occidentaux. »
Nous avons aujourd’hui, dans le monde post-11 septembre, atteint ce que Daniel Newman, professeur d’arabe à l’Université de Durham, appelle la quatrième période de représentation du Moyen-Orient (à la suite de périodes distinctes fondées sur l’Arabe lascif, les Mille et une nuits et l’Arabe riche de pétrole), dans lequel, finalement, « Arabes et musulmans ont fusionné pour devenir, bien sûr, “le terroriste”. »
Une partie de la rhétorique hystérique des affiches de la section « aventure » aurait pu être empruntée aux unes modernes : « Visitez une Arabie bouillonnante et sauvage à la recherche d’un terroriste… filmé au milieu des mystères d’un Moyen-Orient aujourd’hui sous haute tension ! »
Toutefois, les méchants, ici, ne sont pas si sinistres, et l’action est probablement en partie agréable en raison de son éloignement de l’expérience vécue par le public. Dans Baraka à Beyrouth (1972), un film dramatique d’espionnage de la guerre froide se déroulant à Beyrouth, les véritables méchants ne sont pas les Arabes, mais les Russes.
Les films contemporains décrivent le Moyen-Orient comme un endroit plus dur, moins charmant, plus néfaste, ses habitants étant étrangers et terrifiants plutôt qu’étrangers et intrigants. « Le [discours] terroriste est tellement dominant qu’il élimine tous les autres aspects », explique Newman.
Il suggère que ce n’est que récemment que la fusion filmique (et populaire) des expressions « arabe » et « musulmane » a pris force et que l’orientalisme est devenu lié à des références religieuses plutôt qu’ethnologiques. Cependant, l’exposition « Le Voleur de Bagdad » montre clairement que l’aplatissement du monde à majorité musulmane (Afrique du Nord et Asie de l’Ouest, du Sud et du Centre) en un seul royaume fantastique – une culture, une esthétique – n’a rien de nouveau.
« Ce n’est pas seulement le monde arabe » qui est représenté sur ces affiches pour Burris. « C’est le monde arabe/monde musulman/monde iranien/monde turc. C’est un tout. »
Est-ce ça le Liban ?
Dans les affiches de La Châtelaine du Liban (France/Italie, 1956), des chameaux errent dans le désert, une jeune bédouine danse près d’une tente et de plateformes pétrolières (ou est-ce des installations pour l’uranium ?) se découpent sur un soleil rouge.
Le Liban n’a pas de désert, sa population bédouine marginalisée est une présence à peine visible, et il ne commence que maintenant à chercher du pétrole en mer (toute trace potentielle d’uranium est le résidu de la guerre).
Il semble probable que des représentations uniques de l’islam, des musulmans et des diverses régions dans lesquelles ils composent la majorité entretiennent des idéologies toxiques et violentes, ainsi que l’islamophobie décontractée. « Si votre seule source concernant Beyrouth est ce film qui est sorti, à quoi pouvez-vous le comparer ? », demande Burris. « Rien. C’est donc le danger dans la culture populaire, et c’est aussi le danger aux informations. »
« Je ne pense pas que [les médias] créent l’islamophobie », précise Newman, « mais ils peuvent la renforcer ».
Le potentiel néfaste d’un récit unique et de ses quelques types de personnages sans nuances (la femme opprimée, le dangereux homme barbu, l’enfant soumis au lavage de cerveau), est tel qu’il ne reste que peu de place aux récits qui renversent cette tendance – récits compliqués dans lesquels les identités religieuses ou ethniques ne sont pas les seules choses qui définissent les personnages non occidentaux.
La plupart des affiches contemporaines de films tournés dans la région MENA semblent ignorer totalement ces personnages. Dans les affiches de Beyrouth, L’Enfer du devoir, Syriana, Mensonges d’État et Zero Dark Thirty, les têtes et les corps de stars de cinéma occidentales planent au-dessus de fonds obscurs de machines, de flammes, d’immeubles, d’hélicoptères.
Le décor spécifique disparaît presque entièrement, les protagonistes, qui sont toujours étrangers à ces décors, occupent une place prépondérante. Le monde musulman devient un ensemble minimaliste sur lequel l’Occident peut projeter ses propres obsessions.
Nostalgie
L’exposition « Le voleur de Bagdad » offre peu d’exégèse et il appartient aux visiteurs de se faire leur propre opinion face à ces gais mythes orientalistes. Malgré les critiques évidentes à faire des affiches et des films qu’elles représentent, Abou Jaoude suggère que les réactions sont souvent nostalgiques.
« Cette dame m’a dit : “C’est un retour 70 ans [en arrière] … C’est de la nostalgie pour nous et pour la nouvelle génération, ils aiment voir ça et le savoir.” »
La même nostalgie conduira peut-être à la vente de tickets pour Aladdin, le nouveau film de Disney, dont le matériel promotionnel suggère une esthétique et une atmosphère en harmonie avec ses prédécesseurs (ce qui a provoqué une controverse sur sa politique raciale).
À une époque où les pages inconfortables de l’histoire sont déchirées ou masquées dans de nombreux milieux, l’enthousiasme d’Abou Jaoude pour sa collection et l’histoire cinématographique, le discours historique et les relations interculturelles qu’elle illustre est à la fois étonnant et contagieux. « Ce qu’il fait est un effort indépendant et individuel que l’État n’est pas en mesure de suivre », explique Omar Thawabeh, responsable de la communication de Dar El-Nimer.
Le regard d’Abou Jaoude s’illumine quand il parle de sa collection, ses gestes deviennent plus expressifs. Son projet est important, dit-il, « car, franchement, nous n’avons pas de mémoire. Rien n’est documenté. Nous voulions donc que cela existe. »
L’exposition « Le voleur de Bagdad : les Arabes au cinéma » à Dar El-Nimer pour les arts et la culture (America street, rue Clémenceau, Beyrouth) se poursuit jusqu’au 25 mai 2019.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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