Dans le sud algérien, on meurt encore de la rougeole
OUARGLA, Algérie – Des pompiers, masque sur le visage, transportant des nouveau-nés dans des couvertures. Des enfants en proie à la fièvre assis sur des nattes sous des tentes. Des médecins en blouse blanche transportant des vaccins dans des glacières au milieu de l’Erg oriental : si les images de l’épidémie de rougeole diffusées à la télévision algérienne ont beaucoup choqué, c’est parce qu’elles ont surtout montré l’extrême précarité des populations nomades des zones désertiques et l’absence de couverture sanitaire adéquate dans ces régions.
La rougeole touche 30 millions de personnes chaque année dans le monde dont presque la moitié en Afrique. Elle figure parmi les premières causes de la mortalité infantile et les statistiques de l’OMS montrent qu’entre 2010 et 2016, la vaccination a permis de sauver la vie à 20,4 millions d’enfants dans le monde.
Alors qu’à la fin de l’été, Mokhtar Hasbellaoui, le ministre algérien de la Santé criait victoire sur le choléra qui s’était déclaré dans plusieurs villes du centre du pays, El Bayadh, wilaya (préfecture) du sud-ouest, enregistrait vingt nouveaux cas de rougeole, dont un décès, un nourrisson de 14 mois.
« Ces sept dernières années, des centaines de parents n’ont pas vacciné leurs enfants »
- Hassini Mohamed Laid, médecin généraliste à Ouargla
Depuis l’hiver dernier, l’épidémie de rougeole qui touche l’Algérie a fait onze décès parmi plus de 7 000 cas confirmés. Les autorités sanitaires ont rapporté que quelque 650 000 citoyens avaient été vaccinés à travers le pays.
C’est dans les wilayas du sud – notamment El Oued et Ouargla, à plus de 700 kilomètres d’Alger – que le virus a été le plus virulent. El Oued a recensé 2 187 cas et cinq décès en trois mois. C’est la tranche des enfants de 0 à 10 mois, non concernée par la vaccination contre la rougeole, qui a été la plus touchée avec 585 cas, suivie par celle des 3 à 5 ans avec 467 cas.
Dès la déclaration des premiers cas le 24 janvier dernier, une cellule de crise a été mise sur pied par le wali (préfet) d’El Oued qui a déclaré à la presse qu’il n’arrivait pas à « admettre que des citoyens de sa wilaya meurent de rougeole ».
Le directeur de la santé d’El Oued, qui a sillonné le sud du pays, s’est dit « déterminé à cantonner la maladie en mettant en place un système de surveillance épidémiologique itinérant pour préparer la riposte à la rougeole ».
Pénuries intermittentes de vaccins
Parmi les mesures prises : une surveillance rapprochée, l’isolement des cas à risque pour éviter la contamination, l’aménagement de nouveaux sites d’isolation, la vaccination des malades et de leur entourage – soit toute la population pour les zones les plus touchées avec ciblage des personnes âgées de 9 mois à 60 ans –, un strict respect du calendrier de vaccination national de rougeole et de rubéole, et la vaccination du personnel médical.
Le docteur Hassini Mohamed Laid, médecin généraliste à Ouargla, fut un des premiers à avoir découvert des cas de paludisme lorsqu’une épidémie a frappé la ville en 2000 et en 2016. Il a suivi de près cette flambée de rougeole.
« Ces sept dernières années, des centaines de parents n’ont pas vacciné leurs enfants », explique ce doctorant en sciences politiques qui prépare une thèse sur le système sanitaire algérien, à Middle East Eye.
« D’une part en raison des pénuries intermittentes de vaccins ou en raison de la forte demande dans les centres de santé de proximité, et d’autre part parce que les parents travaillent et qu’ils estiment ne pas avoir de temps à perdre à attendre un hypothétique vaccin. »
« À chaque fois, la réponse des infirmières était la même : ‘‘Nous n’avons pas reçu notre quota, revenez la semaine prochaine’’ »
- Khadidja, maman de cinq enfants
L’enquête épidémiologique qui vient de clôturer le dispositif d’urgence a permis de confirmer que les trois quarts des cas enregistrés n’avaient effectivement pas effectué de vaccination. Un tiers des cas a évolué vers une complication ou une forme sévère de rougeole nécessitant une hospitalisation.
Le ministre de la santé estime quant à lui que le virus ne peut être traité que par la vaccination et que la responsabilité du citoyen est engagée. Dans une déclaration à l’agence de presse officielle, l’APS, il a souligné : « Dans certaines wilayas du sud, aucun enfant n’a été vacciné à cause des rumeurs sur l’inefficacité du vaccin contre la rougeole colportée par certains médias ».
Les enfants scolarisés uniquement
Dans la wilaya de Ouargla, où une campagne de vaccination itinérante a balayé toute la préfecture à la recherche de nomades à vacciner, le retour en force de la rougeole a mis les autorités sanitaires dans l’obligation d’actualiser les connaissances du personnel de santé sur la maladie et l’obligation de la déclaration rapide de cas suspects.
Dans les centres de soins, où les enfants enrhumés, avec de la fièvre ou une toux, sont exemptés de vaccin (de peur que les risques de fièvre post-vaccination n’aggravent leur cas), la détresse des parents est palpable.
« Plusieurs mois sont passés avant que je puisse me procurer un vaccin pour les 18 mois ! À chaque fois, la réponse des infirmières était la même : ‘‘Nous n’avons pas reçu notre quota, revenez la semaine prochaine’’. Ma fille en avait 30 au moment de sa vaccination. Entre temps, la rougeole était partout et même mon aîné, qui l’a déjà contracté, avait de la fièvre », raconte Khadidja, maman de cinq enfants à MEE.
Problème : pour le Dr Hassini, les enquêtes épidémiologiques ne prennent pas au sérieux les données du terrain. Cet expert n’exclut pas une nouvelle flambée de rougeole, mais aussi d’autres maladies supposées éradiquées grâce à la vaccination, telles que le tétanos, la diphtérie, la coqueluche.
Manque d’hygiène
Il déplore que le ministère n’ait aucun plan pour rattraper le retard de vaccination des enfants car le programme de rattrapage touche uniquement les enfants scolarisés : or une importante frange des moins 5 ans – la maternelle n’est pas obligatoire – est exposée à ces maladies.
« Le déficit de vaccination est retenu comme principale cause de l’épidémie mais le niveau de vie des populations nomades et des résidents des quartiers pauvres sont autant de causes directes à prendre en compte »
- Un médecin des brigades mobiles de vaccination
Pour ne rien arranger, les conditions de vie ont favorisé la propagation de l’épidémie. Car dans les maisons visitées par les brigades mobiles de vaccination, les médecins ont déploré le manque d’hygiène et la promiscuité.
« Le déficit de vaccination est retenu comme principale cause de l’épidémie », explique l’un d’entre eux à MEE. « Mais l’exigüité des logements, la surcharge des classes et des moyens de transport dans ces zones défavorisées, et globalement le niveau de vie des populations nomades et des résidents des quartiers pauvres sont autant de causes directes à prendre en compte. »
Sur les plateaux de télé, des praticiens de la santé publique ont également mis en évidence le déficit immunitaire de nombreux enfants des zones défavorisées, ou encore le manque d’hygiène et d’aération dans les crèches et les garderies non agréées.
« Les habits et la literie de certaines familles disent beaucoup du dénuement de ces nomades », témoigne à MEE Bakkar Souici, membre actif de l’association caritative Zemzem de Ouargla, en parlant de cas rencontrés dans la périphérie de la ville mais aussi à Blidet Amor, près de Touggourt, à quelque 600 au sud-est d’Alger. « La réalité, c’est que pour beaucoup, ils n’arrivent plus à vivre de leur cheptel. »
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].