« De l’arbre à la tasse » : un entrepreneur yéménite cultive son rêve de café
Depuis plus d’un an, Hussein Ahmed est le PDG de Mocha Hunters au Yémen, un pays ravagé par la guerre. Son objectif est de produire du café yéménite de haute qualité et de l’exporter vers les marchés étrangers. Bien que cela ressemble à une mission impossible compte tenu du blocus de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, Ahmed a déjà commencé à semer les graines de ses efforts.
« Je ne trouve pas ma passion inhabituelle. Le café yéménite est le trésor national du Yémen et ce devrait être le souci de tout Yéménite : continuer de cultiver cette plante, peu importe ce que cela demande. »
Les grains yéménites retrouvent une certaine popularité parmi les meilleures variétés au monde. La première culture de café est apparue au Yémen, où la plante s’est vu attribuer le nom arabe « qahwa », dont dérive le mot français « café ».
Au XVe siècle, les premières expéditions de café ont commencé depuis le port de Moka, une ville yéménite située sur le littoral de la mer Rouge, nommée ainsi en référence à la savoureuse variété de grain de café. Le port est devenu le centre du commerce mondial du café. Le café était particulièrement apprécié par les soufis au Yémen, qui en buvaient pour se concentrer et rester alertes, même pendant leurs rituels.
Selon Ahmed, le grain chocolaté comprend quatre variétés – udaini, burai, tofahi et dawairi – qui poussent à haute altitude dans un climat sec, sous l’œil attentif d’agriculteurs expérimentés qui cultivent les grains depuis des siècles.
« Le café yéménite est le trésor national du Yémen »
– Hussein Ahmed, PDG de Mocha Hunters
Âgé de 37 ans, le périple qu’il a entrepris pour développer son café yéménite est né d’une immersion depuis l’enfance au cœur de la culture du café. De nombreux membres et amis de la famille d’Ahmed, qui est né et a grandi à Sanaa, possédaient des plantations de café autour de la capitale. Lorsqu’il était enfant, son père avait l’habitude de l’emmener chez eux ; c’est alors qu’il a commencé à tomber amoureux du café.
En septembre, Ahmed a réussi à expédier la récolte de la première saison en Arabie saoudite via l’aéroport d’Aden, puis aux États-Unis. À l’époque, le blocus était partiellement imposé aux points d’entrée du Yémen, tandis que l’aéroport d’Aden était ouvert.
Lors de la première expédition, Mocha Hunters a envoyé environ deux tonnes de café à Oakland, en Californie, pour un prix au kilo d’environ 150 dollars. Nul ne sait si le blocus sera toujours en vigueur au Yémen lors de la prochaine expédition, prévue en mars 2018.
En attendant, Ahmed s’affaire à prendre soin de la plantation de cette saison tout en préparant l’ouverture de son premier café à Sanaa. S’il n’a pas encore fixé de date, il espère néanmoins que les choses se calmeront bientôt dans la ville.
Le 4 décembre, l’ancien président Ali Abdallah Saleh a été tué au cours d’une fusillade au bord d’une route de la capitale Sanaa, après avoir changé de camp pendant la guerre civile. Ahmed affirme que cela n’a pas affecté son commerce. Il explique que c’est l’état de guerre et non la mort d’un dirigeant politique qui affecte la plupart des Yéménites, y compris lui.
En novembre, la coalition saoudienne a complètement bloqué les ports et les aéroports après que l’Arabie saoudite a intercepté un missile tiré depuis le Yémen en direction de sa capitale, Riyad. Le blocus a été assoupli au bout de trois semaines, mais cela n’a eu que peu d’effet car les Yéménites continuent de souffrir de pénuries de nourriture, de carburant et de médicaments alors qu’il est au cœur d’une épidémie de choléra, dans un pays qui dépend principalement des importations. Un blocus de facto a été imposé depuis 2015 autour des eaux yéménites par les forces appartenant à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.
« Le blocus a non seulement compliqué l’expédition de nos produits à l’étranger, mais il a également rendu les coûts de production extrêmement élevés », a expliqué Ahmed à Middle East Eye. « Avec les pénuries extrêmes, le carburant dont nous avons besoin pour l’agriculture, l’arrosage et le transport est très coûteux, mais nous sommes déterminés à aller de l’avant. »
Suite au blocus naval, le pays est toujours confronté à des pénuries de carburant, en raison desquelles les prix ont quasiment doublé.
« Le principal obstacle auquel nous avons fait face a été le blocus aérien et naval imposé au Yémen, qui entraîne des coûts élevés pour l’exploitation des plantations et nous oblige à employer des moyens extrêmement difficiles et coûteux pour exporter nos produits à l’étranger », explique Ahmed.
Selon un rapport établi en 2016 par le ministère yéménite de la Planification et de la Coopération internationale, la guerre a entraîné la fermeture de 95 % des entreprises privées au Yémen en raison de la perte de clients, du manque de carburant, de la situation de précarité de l’État, des destructions et des coûts toujours plus élevés.
Malgré cela, Mocha Hunters est toujours déterminé à travailler en étroite collaboration avec une vingtaine d’agriculteurs qui plantent, transforment, récoltent et torréfient le café, ou comme le décrit Ahmed, « de l’arbre à la tasse ».
En 1997, Ahmed est allé au Royaume-Uni en tant qu’élève de secondaire dans le cadre d’un programme international d’échange scolaire. Il a suivi des cours d’anglais et fréquenté une école de formation professionnelle où il a étudié le développement de logiciels. Pendant son séjour, l’intérêt d’Ahmed pour le café s’est développé.
« Au Royaume-Uni, mes amis et moi avions l’habitude d’aller dans notre café préféré, que nous n’avons jamais appelé "café", mais plutôt "notre temple", se souvient-il en riant. Le café [était] notre rendez-vous quotidien, nous prenions du café yéménite, brésilien ou d’autres types de café tous les jours. Nous ne passions pas un jour sans café. »
En 2001, Ahmed a rencontré au Royaume-Uni sa désormais ex-épouse d’origine japonaise. Elle l’a encouragé à visiter le Japon et lui a ouvert les yeux sur un pays qui a été l’un des principaux importateurs de café vert dans le monde. Cela l’a poussé à agir comme un pont entre le Japon et le Yémen.
Tout en vivant entre ces deux pays, il a commencé à rencontrer régulièrement des planteurs de café yéménites et à tout apprendre sur le café yéménite pur. En 2009, il est devenu grossiste de café indépendant et a ouvert une boutique de café au Yémen, voyant le Japon comme son marché principal.
Ahmed et son épouse ont déménagé au Japon en 2009. En 2011, Ahmed a ouvert son premier café à Tokyo, appelé Mocha Coffee, qui sert uniquement du café yéménite. Le café a attiré de nombreux clients et l’attention des médias.
Ahmed attribue le succès de son café à la capacité des Japonais à apprécier la qualité et la touche personnelle de son produit.
« J’ai travaillé dur pour apporter dans mon café du café de qualité du Yémen et il était important pour moi d’imprimer le nom de chacun des agriculteurs avec lesquels nous travaillions sur les emballages de café que nous vendions et même de les mentionner dans le menu. » On pouvait par exemple se procurer un « café Ismaili » ou un « café Alghayoul ».
Alors que son commerce était en plein essor, son mariage s’est terminé par un divorce. En 2012, il a laissé le café japonais derrière lui et est retourné au Yémen pour poursuivre son rêve d’y créer un commerce de café.
« Notre histoire nationale nous montre comment les conflits vont et viennent au Yémen, et comment les Yéménites résistent, quoi qu’il arrive »
– Hussein Ahmed, PDG de Mocha Hunters
Lorsqu’il est revenu au Yémen, le pays traversait une période de troubles politiques. Toutefois, Ahmed n’était pas inquiet, puisque le commerce du café avait survécu par le passé aux conflits et aux difficultés économiques.
Malgré la détérioration de l’économie et un taux de chômage d’environ 60 % chez les jeunes, Ahmed était déterminé à poursuivre son rêve.
« J’avais la certitude qu’alors que l’économie du Yémen s’effondrait, le café yéménite était le pétrole caché [du pays] », affirme-t-il.
En 2014, Ahmed s’est rendu à Washington pour assister à une conférence annuelle sur le café organisée par la Specialty Coffee Association of America. Alors qu’il s’apprêtait à retourner au Yémen, la guerre civile a éclaté et les aéroports ont été fermés. Sans endroit où aller, Ahmed est resté aux États-Unis.
« Le café yéménite était le pétrole caché [du pays] »
– Hussein Ahmed, PDG de Mocha Hunters
S’attendant à une fin rapide de la guerre, Ahmed a enchaîné des petits boulots pour payer les factures, comme chauffeur Uber ou vendeur de téléphones mobiles dans un magasin.
« J’ai vécu une expérience difficile durant mes deux années aux États-Unis et pendant tout ce temps, je n’ai pas pu me sortir le café de la tête », se souvient Ahmed.
En 2016, il a décidé de retourner au Yémen, au plus fort de la guerre civile.
« Les gens que je connais aux États-Unis pensaient que j’étais fou de quitter les États-Unis et de retourner dans un pays en guerre, mais je n’avais absolument pas peur de retourner au Yémen pendant la guerre. J’avais foi en la durabilité du café yéménite [au] milieu des crises. Notre histoire nationale nous montre comment les conflits vont et viennent au Yémen, et comment les Yéménites résistent, quoi qu’il arrive », soutient Ahmed.
Après avoir réussi à obtenir un capital d’amorçage de 150 000 dollars auprès d’un programme de la Silicon Valley, il a officiellement enregistré Mocha Hunters aux États-Unis avant de retourner au Yémen, où il a fait face à une sombre réalité économique.
Le hashtag #YemenCoffeeBreak (« pause-café yéménite ») a été diffusé dans le cadre d’une campagne lancée sur les réseaux sociaux en 2015 sous la direction du Service de promotion des petites et microentreprises, un organisme national. Wesam Qaid, son directeur exécutif, a été impressionné par Ahmed et son travail.
« Il a donné aux agriculteurs des raisons d’être optimistes, explique Qaid. Ahmed n’a pas seulement initié les agriculteurs à des marchés spécialisés qui leur ont permis de doubler leurs revenus, mais il leur a également enseigné de nouvelles compétences telles que le cupping – une méthode de mesure de la qualité du café – et la classification du café. »
« Il était important à mes yeux de travailler en étroite collaboration avec les agriculteurs et d’améliorer leurs pratiques, explique Ahmed. En effet, je souhaitais qu’ils accordent davantage d’attention à la qualité plutôt qu’à la quantité. J’ai introduit des techniques plus traditionnelles, comme le recours à la méthode des lits de séchage la nuit et l’utilisation de machines de "mesure de taux d’humidité" que j’ai apportées des États-Unis pour mesurer le taux de sucre et l’humidité dans les grains. »
« Malgré la misère qui nous entoure, je pense que le café est une source de bonheur pour beaucoup, conclut Ahmed. Cette plante survit depuis des siècles et survivra à ce conflit. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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