De l’enfer à Holot, le centre de rétention pour réfugiés d’Israël
Le vent du désert frappe le visage des hommes se rassemblant sous le soleil de fin d’après-midi au centre de rétention d’Holot.
À 15 km de là se tient la frontière égyptienne par laquelle sont arrivés de nombreux détenus il y a des années, alors survivants chanceux d’un trek souvent mortel à travers le désert du Sinaï, victimes de trafiquants, bédouins pour la plupart, qui leur avaient assuré qu’une vie meilleure les attendait en Israël.
La cour située juste à l’extérieur de la prison est pleine de pierres, délimitant le site où les détenus peuvent profiter de quelques heures de relative liberté dans le paysage désertique qui entoure le camp. Bien qu’ils soient autorisés à quitter le site pendant la journée, ils doivent y retourner chaque soir.
La plupart de ces hommes ont passé des centaines de soirées comme cela, attendant de savoir quel sera leur sort : soit la chance de revenir en Israël pour travailler, soit un retour dans les pays africains d’où ils ont fui la guerre, la persécution et la pauvreté.
Holot, qui abrite près de 2 000 demandeurs d’asile venant pour la plupart de pays africains comme le Soudan et l’Érythrée, a été ouvert début 2014, suite aux manifestations en Israël sur leur relocalisation dans le pays.
Auparavant, les détenus pouvaient être retenus indéfiniment, mais un arrêt de la Cour suprême en date de novembre dernier limite la période de rétention à 20 mois. Près d’un an plus tard, selon les détenus, seulement trois demandes ont été traitées et les autorités ne leur ont toujours pas dit pendant combien de temps encore ils peuvent s’attendre à être retenus.
« Ils n’ont rien prévu pour nous. Ils nous disent qu’on peut remplir un formulaire pour les demandeurs d’asile, mais n’en ont rien à faire. Certaines personnes ont déposé leur dossier en 2012 et n’ont toujours pas de nouvelles », explique Zaki, un trentenaire originaire du Darfour qui vit dans le centre depuis plus d’un an.
« La plupart des réfugiés ont survécu à un génocide. Donc ils savent que s’ils repartent [en Afrique], le gouvernement pourrait les emprisonner ou les tuer. Je connais deux personnes qui sont rentrées dans leur pays et ont été tuées parce qu’ils étaient venus ici, en Israël ».
Jamal Yacobi, le porte-parole élu des détenus, a déclaré à Middle East Eye que malgré les promesses qui ont pu être faites précédemment de mettre en place un centre éducatif et des services sociaux, rien ou presque n’a été fait.
« Quand nous sommes arrivés, il n’y avait pas – et il n’y a toujours pas – d’écoles, il n’y a pas de services de soins de santé », a déclaré Yacobi.
« Les gens ont commencé à tomber malade parce qu’il fait trop chaud en été et très froid en hiver, donc nous sommes allés au dispensaire mais là-bas, ils ne vous donnent rien. Que vous ayez une migraine, des maux d’estomac, un problème oculaire ou dentaire, ils vous donnent le même comprimé. »
Jamal Yacobi était enseignant lorsque des miliciens janjawid ont détruit son village au Darfour. Après avoir tout d’abord fui en Libye, il est retourné au Soudan où il a été enlevé et emmené à Khartoum. Après avoir été libéré, il a réussi à aller au Caire où il a trouvé des gens prêts à l’emmener à la frontière israélienne.
Pour les réfugiés, dont certains paient des milliers de dollars, le voyage à travers le Sinaï est long et souvent périlleux. Alors que l’Égypte a perdu le contrôle des régions du nord du désert, les Bédouins se livrant au trafic d’êtres humains sont connus pour avoir prélevé les organes de ceux qui sont incapables de payer.
« Beaucoup de frères sont morts en route », se souvient Zaki. « Puis, quand vous arrivez à la frontière israélienne, les Bédouins vous ordonnent de marcher en direction d’Israël, et vous préviennent : ‘‘si vous essayez de revenir, nous vous tirerons dessus’’. »
« Quand je suis arrivé à la frontière, j’ai été repéré par l’armée israélienne », a raconté Jamal à MEE. « On m’a demandé si je parlais anglais. Je leur ai dit que je venais du Darfour et ils m’ont accueilli. Je me suis finalement senti dans un endroit agréable. Ils ne se souciaient pas de moi en Libye ou en Égypte. »
Après avoir demandé le statut de réfugié, Jamal a travaillé pendant 6 ans et demi dans un hôtel à Eilat. Mais la présence croissante de réfugiés a attisé les tensions et provoqué des manifestations, en particulier dans les quartiers de Tel Aviv, où beaucoup d’entre eux logeaient.
Abdullah, un homme d’une vingtaine d’années lui aussi originaire du Darfour, a confié qu’il s’est senti indésirable quand il s’est aventuré dans les grandes villes.
« J’ai constamment peur que les gens veuillent m’importuner. Certaines personnes se contentent de nous insulter, mais ces mots causent de grands dommages. Je me sens moins humain. Voilà à quoi ressemble la vie de réfugié », a-t-il expliqué.
Jamal confie qu’Holot constituait, pour la plupart des détenus, une meilleure option que les alternatives.
« En 2013, une nouvelle loi a été adoptée pour les immigrants illégaux, nous donnant trois options : aller au Rwanda, en Ouganda ou à Holot. Le Rwanda n’est pas mon pays », a-t-il dit. « À Holot, [le paysage] est beau à l’extérieur comme vous le voyez, mais à l’intérieur, ça ne l’est pas tellement. »
Malgré les promesses, les détenus ont rapporté qu’ils n’avaient reçu aucune éducation.
« Nous avons parlé à nos travailleurs sociaux et leur avons dit que nous voulions recevoir une éducation », a déclaré Jamal. « Ils ont dit qu’ils allaient essayer, mais après six mois, ils nous ont dit qu’il n’y aurait pas d’enseignants. Donc, nous avons décidé de faire quelque chose par nous-mêmes, parce que les gens finissent par développer des problèmes mentaux lorsqu’il n’y a rien à faire. »
S’organisant entre eux, 18 détenus ont alors ouvert des clubs d’apprentissage, enseignant les uns aux autres les compétences et les connaissances qu’ils possèdent.
« Les prisonniers pensent à leurs familles si loin. Ils sont dans des camps et nous sommes dans des camps. Ils pensent qu’ils seront prisonniers toute leur vie », a déclaré Abdullah, un détenu âgé d’environ 25 ans.
« Nous avons donc décidé de rester ensemble et avons commencé à échanger nos compétences. Si la journée est un peu organisée, elle passe plus vite. »
Bien que les détenus soient autorisés à gérer leurs classes, aucune ressource supplémentaire ne leur a été fournie. Le peu qu’ils ont a été acquis en mettant en commun leur argent pour le dépenser en matériel d’enseignement lorsque l’un d’eux peut se rendre à Beersheba, la ville la plus proche.
Pourtant, pour beaucoup, la vie à Holot demeure intolérable.
« Pourquoi sommes-nous ici, quel est le problème ? Si nous ne sommes pas des criminels, que faisons-nous ici ? S’ils ne nous acceptent pas, nous voulons repartir en Afrique. Nous n’aimons pas cet endroit, c’est l’enfer. Nous ne pouvons pas continuer à passer d’un enfer à l’autre », a insisté Zaki.
En 2014, des centaines de détenus sont sortis du camp en signe de protestation et sont allés jusqu’à la frontière égyptienne, exigeant d’être autorisés à retourner au Sinaï, en dépit des risques.
« Nous avons dit que nous n’avons pas à rester ici à Holot sans raison », a déclaré Abdullah. « Nous avons attendu [le statut de réfugié] pendant un, parfois deux ans, sans réponse. Nous n’avons pas à rester ici en prison. Nous avons décidé de prendre toutes nos affaires et avons essayé de traverser le Sinaï, mais l’armée ne nous a pas laissé faire. »
Abdullah a déclaré qu’il espérait éventuellement retourner en Afrique, mais a ajouté que son expérience en Israël l’avait laissé amer.
« Les gens ne savent pas ce qu’est être un réfugié. Le peuple juif était constitué de réfugiés autrefois. Ils devraient savoir ce qu’on ressent [mais] ils l’ont oublié. C’est une vie horrible. Vous faites toujours semblant d’être quelqu’un d’autre, vous avez toujours peur. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].