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Des milliers de manifestants israéliens d’origine éthiopienne bloquent Tel Aviv

Une manifestation de masse a arrêté le trafic pendant plusieurs heures, mercredi, sur un axe autoroutier majeur, pour protester contre les violences policières
Un groupe de manifestants a bloqué l’autoroute Ayalon, mais vers 21 h, les manifestants ont été violemment dispersés par des agents de la police aux frontières (AFP)

TEL AVIV, Israël – Un axe autoroutier majeur a été bloqué pendant plusieurs heures mercredi par plusieurs milliers de manifestants qui protestaient contre les violences policières à l’encontre des Israéliens d’origine éthiopienne, alors qu’un agent a tué un homme de 24 ans plus tôt ce mois-ci.

Le 18 janvier, Yehuda Biadga marchait dans son quartier à Bat Yam, juste au sud de Tel Aviv, un couteau à la main.

« Être éthiopien dans ce pays est un handicap. On rencontre des obstacles où que l’on aille »

- Connie Angade, chercheuse spécialiste de l’immigration et manifestante 

Ses parents auraient appelé la police pour demander de l’aide, prévenant qu’il souffrait de troubles mentaux et qu’il n’avait pas pris ses médicaments. 

Lorsque la police est arrivée 50 minutes après l’appel initial, un agent, qui a déclaré croire que sa vie était menacée, a tiré sur Biadga alors qu’il s’approchait. Il a succombé à ses blessures au bout de quelques minutes. Selon des membres de sa famille, il souffrait d’un traumatisme suite à son service militaire dans l’armée israélienne. 

La fusillade, qui fait actuellement l’objet d’une enquête policière, a suscité un tollé parmi les Israéliens d’origine éthiopienne qui soutiennent depuis longtemps que la discrimination et les mauvais traitements infligés à leur communauté par la police sont systémiques et institutionnalisés dans le pays.

Ce mercredi, plusieurs milliers de membres de la communauté éthiopienne d’Israël ont défilé dans les rues de Tel Aviv de l’après-midi jusqu’au soir.

Un manifestant utilise un mégaphone lors de la manifestation à Tel Aviv (MEE/Noa Borstein)

Avant même le début de la manifestation, la police avait averti les journalistes qu’elle craignait que les manifestants ne soient violents.

« Ils préjugent de notre légitimité », estime Efrat Yerday, activiste et maître de conférences, qui a participé à la manifestation. « Il n’y a aucun doute sur qui a déclenché les violences. »

Selon Yerday, Israël n’a « pas du tout de société civile », ce qui rend difficile la distinction entre l’establishment et ses citoyens. « Nous sommes tellement habitués aux guerres que nous ne savons pas comment gérer les situations d’ordre civil », explique-t-elle.

« Nous sommes tellement habitués aux guerres que nous ne savons pas comment gérer les situations d’ordre civil »

– Efrat Yerday, activiste et maître de conférences

L’agent qui a tué Biadga, ajoute-t-elle, a été informé de sa situation et aurait dû se conformer à la réglementation en matière d’emploi d’armes à feu.

« Les premiers à être touchés dans de tels cas sont les personnes les plus faibles et celles qui se situent au plus bas niveau, comme les Éthiopiens, qui n’ont généralement pas de famille forte capable de retourner la situation », souligne Yerday.

Il ne s’agit pas de la première manifestation de masse contre les violences policières à l’encontre des Israéliens d’origine éthiopienne. En 2015, d’importantes protestations ont éclaté après que Damas Pikada, un soldat israélien, a été battu par des policiers après avoir refusé de déplacer sa bicyclette.

Son passage à tabac, qui a été filmé, est survenu un an après la mort de Yosef Salamsa, un Israélien d’origine éthiopienne de 23 ans, qui a été arrêté et passé au Taser alors qu’il était assis sur un banc public avec des amis.

Après avoir déposé plainte suite à l’incident, des policiers sont venus chez lui et ont menacé sa famille, ont déclaré des membres de la famille. Salamsa a été retrouvé mort plusieurs mois plus tard. Si la police a clos son dossier, les questions demeurent.

Banchiamlack, Tehune et Asher Salamsa, membres de la famille de Yosef Salamsa (MEE/Noa Borstein)

Banchiamlack Salamsa, sœur de Yosef, a déclaré à la foule de manifestants que si le dossier de son frère n’avait pas été clos et que si la police avait poursuivi les policiers qui l’avaient blessé, l’affaire Biadga aurait pu être évitée.

« Tous les jours, toutes les heures depuis cinq ans, nous nous battons, a-t-elle affirmé. Je n’ai plus envie de m’inquiéter pour mes filles quand elles reviennent de l’école. Je n’ai plus envie de faire demi-tour lorsque je vois un policier au loin. »

Franus Salamsa, la mère de Yosef, a demandé à tous les jeunes participant à la manifestation de rentrer chez eux en toute sécurité. « Je vous serre dans mes bras, je suis avec vous. Peuple d’Israël, le sang de nos enfants est le sang de tes enfants… Il est à mes yeux de la plus haute importance que tout le monde ici aujourd’hui rentre chez soi en toute sécurité. »

« Tous les jours, toutes les heures depuis cinq ans, nous nous battons »

– Banchiamlack Salamsa, sœur de Yosef Salamsa

D’autres manifestants témoignent d’expériences difficiles vécues avec la police. Un jeune Israélien d’origine éthiopienne qui sert dans l’armée et qui vit près de la famille de Biadga affirme être régulièrement fouillé de façon spontanée par la police et épié dans la rue.

« Même lorsque je porte mon uniforme et que je rentre de la base, il arrive que des mères avec leur bébé me regardent comme si j’étais dangereux. Que pourrais-je faire ? Je suis un soldat. Je sers le pays. Je n’ai rien pour leur faire du mal », se défend l’homme, qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

La semaine dernière, il s’est rendu à Bat Yam et il se tenait devant un feu de signalisation lorsqu’un policier a « surgi de nulle part et [l’a] contrôlé ».

« Je ne pensais pas que la police recommencerait à nous traiter de cette façon si rapidement après l’incident », confie-t-il. « Il a effectué sa fouille et tout le monde me regardait comme si j’avais fait quelque chose. C’est très humiliant. »

Les expériences vécues par le soldat n’émanent pas de pensées isolées : lors d’une rencontre de l’Association du barreau israélien en 2016, le commissaire de police Roni Alshich aurait déclaré à un groupe d’avocats qu’il était « naturel » que la police se méfie des Éthiopiens et des Arabes.

La police aux frontières israélienne disperse des manifestants, ce mercredi à Tel Aviv (MEE/Noa Borstein)

Alors que les Israéliens d’origine éthiopienne représentent 2 % de la population civile du pays, 30 % des détenus dans les prisons pour jeunes proviennent de cette communauté.

Connie Angade, chercheuse spécialiste de l’immigration, s’est dite déçue que davantage de citoyens non éthiopiens ne se soient pas joints à la manifestation.

« Nous avons l’impression d’être une partie ajoutée à la société et non une partie de celle-ci », déplore-t-elle. « Je souhaitais et j’espérais voir un peu plus de couleurs, voir le fossé commencer d’une manière ou d’une autre à se refermer. »

Plus de 50 % des familles éthiopiennes en Israël vivent sous le seuil de pauvreté et les membres de la communauté sont victimes de racisme dans tous les aspects de leur vie, des établissements d’enseignement aux bureaux d’emploi, appuie-t-elle.

« Être éthiopien dans ce pays est un handicap. On rencontre des obstacles où que l’on aille. Il n’y a qu’un seul endroit où notre couleur a disparu : l’Armée de défense d’Israël. Nous pouvons y servir et mourir à la guerre comme tous les autres. »

Après le rassemblement, un groupe de manifestants a de nouveau bloqué spontanément l’autoroute Ayalon. Vers 21 h, les manifestants ont été violemment dispersés par des agents de la police aux frontières.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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