Égypte : les membres des Frères musulmans condamnés à mort pourraient être exécutés « à tout moment », selon leurs proches
Les familles de deux responsables politiques des Frères musulmans condamnés à mort en Égypte affirment vivre dans la peur d’exécutions imminentes dans le cas où aucune grâce présidentielle n’est accordée d’ici à fin juin.
« Nous vivons constamment dans la peur », indique à Middle East Eye Sanaa Abdelgawad, l’épouse de l’ancien député Mohamed el-Beltagy. « Depuis que la condamnation à mort a été maintenue, l’exécution peut avoir lieu à tout moment. »
Le 14 juin, la plus haute cour d’appel d’Égypte a confirmé les condamnations à mort prononcées à l’encontre de Mohamed el-Beltagy et onze autres opposants au gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi, ouvrant la voie à une possible exécution.
Le code de procédure pénale du pays donne au président quatorze jours à compter du verdict pour gracier les accusés ou commuer les peines de mort.
Parmi les condamnés à mort figurent un certain nombre de personnalités politiques réputées pour leur franc-parler qui ont joué un rôle de premier plan lors du soulèvement de 2011 contre le dirigeant Hosni Moubarak ainsi qu’au cours des manifestations contre le coup d’État de 2013 qui a renversé Mohamed Morsi, le premier président égyptien démocratiquement élu.
Les Frères musulmans ont détenu le pouvoir pendant près d’un an sous Mohamed Morsi avant d’être évincés par Sissi.
La liste des personnalités de premier plan des Frères musulmans condamnées à mort compte également le ministre de la Jeunesse de l’ère Morsi, Osama Yassin, ainsi qu’Ahmed Aref, ancien porte-parole de l’organisation.
En 2020, le nombre d’exécutions a triplé
La décision du tribunal marque la fin d’un procès de masse qui a débuté en décembre 2015, dans lequel 739 accusés ont été inculpés pour avoir participé au sit-in de la place Rabia en 2013 contre le renversement de Mohamed Morsi.
La répression du sit-in par les forces de sécurité égyptiennes le 14 août 2013 a été décrite par Human Rights Watch comme la « pire tuerie de manifestants en un jour dans l’histoire moderne », avec au moins 800 morts.
Mohamed Morsi a succombé pour sa part à une crise cardiaque lors d’une séance du tribunal en juin 2019. Des experts de l’ONU ont indiqué que les conditions de détention du leader des Frères musulmans pourraient être directement à l’origine de sa mort, ce qui pourrait constituer un « meurtre sanctionné par l’État ».
Au moins 92 opposants à Sissi ont été exécutés depuis 2013 et des condamnations à mort définitives ont été prononcées contre 64 autres personnes qui pourraient être exécutées à tout moment
Les condamnations à mort ont déclenché un tollé parmi les groupes internationaux de défense des droits de l’homme, qui dénoncent un procès entaché dès le départ de violations du droit à un procès équitable, alors que les forces de sécurité responsables du massacre de Rabia n’ont toujours pas eu à répondre de leurs actes.
Tandis que Human Rights Watch a qualifié ces condamnations de « parodie de justice », Amnesty International souligne qu’elles « ternissent la réputation de la plus haute juridiction d’appel d’Égypte et entachent la justice du pays dans son ensemble ».
En 2020, le nombre d’exécutions en Égypte a triplé par rapport à 2019, faisant du pays le troisième pays le plus prolifique après la Chine et l’Iran.
Nombre des personnes exécutées ont été décrites par des groupes de défense des droits comme des « prisonniers d’opinion » détenus en raison de leur opposition au gouvernement Sissi.
Selon le Committee for Justice, un groupe de défense des droits de l’homme établi à Genève, au moins 92 opposants à Sissi ont été exécutés depuis 2013 et des condamnations à mort définitives ont été prononcées contre 64 autres personnes qui pourraient être exécutées à tout moment.
Mais si les condamnations à mort prononcées à l’encontre des douze dirigeants des Frères musulmans venaient à être appliquées, il s’agirait des premières exécutions de personnalités éminentes de l’opposition sous le régime de Sissi.
Alors que le Parti de la liberté et de la justice des Frères musulmans avait bénéficié du plus large soutien populaire lors des élections de 2012, le coup d’État a effacé le groupe de la vie politique égyptienne.
Depuis lors, le parti a été dissous et les Frères musulmans sont considérés comme une organisation terroriste. Plusieurs milliers de ses membres et sympathisants ont été emprisonnés, tués ou contraints à l’exil.
« Les tueurs seraient laissés en liberté »
Sanaa Abdelgawad, 53 ans, a appris l’arrestation de son mari, Mohamed el-Beltagy, seulement deux semaines après la mort de sa fille, tuée lors du massacre de Rabia.
« La vie est devenue extrêmement difficile », confie-t-elle à MEE depuis Istanbul, où elle vit en exil. « J’ai perdu mon unique fille, puis on m’a privée de son père qui a été injustement incarcéré. Je pensais que cette injustice ne serait que temporaire, mais j’ai été dévastée lorsque mes fils ont été arrêtés l’un après l’autre. »
Anas, un des fils de Sanaa Abdelgawad, est en détention provisoire pour la septième année consécutive. Ses trois autres fils, Ammar, Khaled et Hossam, vivent avec elle en exil.
Elle estime que le procès et la condamnation à mort de son mari reviennent à poursuivre les victimes du massacre de Rabia alors que les coupables n’ont toujours pas été jugés.
« Je n’aurais jamais imaginé que mon mari, la victime, puisse être condamné à mort tandis que les tueurs seraient laissés en liberté. Mais sous le régime militaire, les violations de la loi et des droits de l’homme sont devenues la norme. »
Sanaa Abdelgawad n’a pas vu son mari depuis cinq ans et demi. Elle affirme qu’il est détenu en isolement cellulaire depuis son arrestation, qu’il n’a pas pu recevoir de visites de sa famille pendant la majeure partie de sa détention et qu’il est privé de médicaments, de livres et d’exercice physique.
« Mon mari était député et membre du Conseil national des droits de l’homme », explique-t-elle. « Il défendait les victimes d’injustices. Il était également professeur de chirurgie oto-rhino-laryngologique à l’université al-Azhar. Il avait un centre médical où il proposait ses services aux patients, souvent gratuitement. »
En plus d’être député, Mohamed el-Beltagy est considéré par beaucoup comme un activiste. Même si les Frères musulmans ont été accusés de ne pas avoir participé aux premiers jours des manifestations anti-Moubarak en 2011, il faisait partie de ceux qui étaient présents dès le premier jour. Le 25 janvier 2011, il a pris part à une manifestation contre les violences policières devant le Conseil supérieur de la magistrature, dans la rue Ramsès au Caire, aux côtés de membres du mouvement Kifaya.
Activiste pro-palestinien, il se trouvait à bord du Mavi Marmara lors du raid mené en 2010 contre la flottille en route pour Gaza.
« Une vengeance personnelle »
L’ancien ministre de la Jeunesse Osama Yassin a également joué un rôle central dans le soulèvement de 2011 en tant que coordinateur des manifestations des Frères musulmans.
Âgé de 56 ans, il a été placé en détention le 26 août 2013, à la suite de la répression du sit-in de la place Rabia. Dans son dernier discours de défense devant le tribunal en mai 2016, il a déclaré qu’il pensait être poursuivi pour son rôle dans la révolution.
« Mon crime est d’avoir été l’une des figures de proue de la révolution du 25 janvier », a-t-il déclaré. « Ces procès visent à faire de ceux qui ont eu un rôle de premier plan dans la révolution des exemples pour les autres, afin de dissuader le peuple de mener une autre révolution. »
« Ce sont les victimes de Rabia qui sont jugées alors que les véritables responsables du massacre sont en liberté », a-t-il affirmé au juge dans une vidéo largement relayée en ligne.
Ahmed Yassin, fils de l’ancien ministre détenu, vit actuellement en exil à l’étranger.
« Tant de choses se sont passées au cours des huit années d’emprisonnement de mon père », confie-t-il à MEE. « Tous les souvenirs joyeux manquaient de quelque chose, il manquait sa présence. Tous les jours, nous étions hantés par le fait de voir sa chaise vide à la table du dîner, et chaque jour, nous devions vivre la douleur de le savoir seul dans une petite cellule sombre, en isolement cellulaire, à se languir d’être à nos côtés et de nous voir grandir », ajoute-t-il.
Le fils d’Osama Yassin explique que sa famille n’est pas optimiste au sujet de sa libération.
« Nous savions qu’il ne serait pas libéré, nous savions que le gouvernement avait une vengeance personnelle à assouvir contre notre père en raison de son rôle [dans le soulèvement du] 25 janvier. Il était l’une de ses icônes et c’est pour cela qu’ils le haïssent », affirme-t-il.
« Nous savions donc qu’il ne serait pas facilement libéré, mais nous ne nous attendions pas à ce qu’il soit confronté à la peine de mort. Il est innocent, il a travaillé toute sa vie pour servir la communauté dès qu’il le pouvait. »
« Ces procès visent à faire de ceux qui ont eu un rôle de premier plan dans la révolution des exemples pour les autres, afin de dissuader le peuple de mener une autre révolution »
- Osama Yassin, ex-ministre de la Jeunesse
Ahmed décrit son père comme « un pédiatre très intelligent qui a sauvé la vie de tant de familles en sauvant leurs enfants. Il avait vraiment bon cœur et agissait de manière désintéressée, que ce soit dans son travail de médecin, de parlementaire ou de ministre. »
Comme Mohamed el-Beltagy, Osama Yassin est privé de visites familiales depuis 2016, selon son fils. Ses avocats ont également l’interdiction de le rencontrer.
Ahmed Yassin ajoute que les circonstances de la détention de son père – privé de soins médicaux, isolé dans une cellule d’1,5 mètre de large sur 2 mètres de long et privé de vêtements chauds en hiver, selon ses dires – s’apparentent à un homicide volontaire.
« Depuis que nous avons appris la nouvelle, nous ne dormons presque plus. Nous avons peur d’entendre la nouvelle de son exécution à tout moment », déplore Ahmed.
« Les journées sont difficiles en sachant que la mort de mon père est imminente. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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