Égypte : la négligence avive le chagrin des familles des victimes de l’incendie de l’église copte
Alors que les funérailles et rassemblements privés s’enchaînent pour pleurer les 41 victimes tuées dans l’incendie qui a dévasté une église copte de Gizeh en Égypte dimanche, témoins et familles sont tiraillés entre faire leur deuil et demander des comptes aux autorités.
Selon les autorités sanitaires, toutes les victimes sont mortes de suffocation à cause de la fumée qui a enveloppé le bâtiment après la panne d’un vieil appareil de climatisation. Quatorze des victimes étaient des enfants.
Des témoins oculaires racontent à Middle East Eye que les fidèles qui se pressaient à l’intérieur de l’église Abu Sifin pour prier et assister à la Divine Liturgie (l’Eucharistie dans les Églises de rite byzantin) n’ont pas immédiatement remarqué l’épaisse fumée noire qui se répandait dans ce bâtiment de plusieurs étages de type résidentiel.
Nahed Awad, femme au foyer de 56 ans, dit avoir été l’une des premières voisines à remarquer les flammes.
« La plupart des fidèles avaient envoyé leurs enfants à la garderie à l’étage. Les mères hurlaient les prénoms de leurs enfants. C’était horrible »
- Mahitab, témoin oculaire
Étant donné le peu de distance entre les toits dans le quartier, des hommes et des enfants de chez elle ont pu passer sur le toit de l’église. Ils ont vu des enfants et enseignants dans la garderie située au 2e étage de l’église, coincés et incapables de bouger en raison de la fumée noire.
Nahed Awad et de nombreux autres disent avoir appelé les pompiers et la police. Mais la première ambulance n’est arrivée que deux heures plus tard, rapportent-ils.
Les gens du quartier se sont rués vers l’église pour tenter de sauver les fidèles à l’intérieur. Lorsque la fumée s’est épaissie, d’autres habitants ont commencé à escalader le bâtiment pour trouver les enfants de la garderie toujours coincés au 2e étage.
Quelques minutes plus tard, les fidèles ont commencé à entendre les cris provenant des étages supérieurs, rapporte Nahed Awad.
« C’est alors que la panique a débuté car la plupart des fidèles avaient envoyé leurs enfants à la garderie à l’étage », indique Mahitab, une autre habitante de 34 ans, à MEE. « Les mères hurlaient les prénoms de leurs enfants. C’était horrible. »
Mahitab et d’autres ont réussi à sauver plusieurs enfants par le toit et l’entrée principale.
« Une douzaine d’enfants sont sortis et nous avons pu les aider à respirer et à les calmer », poursuit-elle.
D’autres enfants n’ont pas eu cette chance.
« Beaucoup d’hommes du quartier et moi avons essayé de pratiquer la réanimation cardiopulmonaire sur d’autres enfants mais ils avaient déjà rejoint le paradis », se rappelle Mahitab, qui s’est évanouie à force de pleurer.
À proximité d’une caserne de pompiers
L’église copte Abu Sifin se trouve à Monira, zone bondée de la classe populaire à Embabeh, un quartier du Caire.
Elle se situe à seulement deux pâtés de maison d’une caserne de pompiers ; pourtant, il a fallu une heure et demie aux pompiers pour atteindre les lieux, selon les récits des témoins, en raison de la densité.
« Dans le quartier, beaucoup de personnes pleuraient et criaient – musulmans et chrétiens », relate Mahitab. « Même certains des commerçants connus pour leur sectarisme ou proches des salafistes radicaux ont commencé à distribuer de l’eau, des couvertures et de la glace. »
Quatre témoins oculaires rapportent que des ambulances, des pompiers et des policiers ne sont venus renforcer la présence des autorités que trois heures après la détection de la fumée, ce que démentent les organes de presse pro-gouvernementaux, qui saluent la gestion de la crise par les responsables.
Une source du service de presse du ministère de l’Intérieur indique à MEE que depuis l’incendie, les médias s’efforcent de démentir toute négligence ou lenteur des forces de police, auxquelles appartiennent les pompiers.
Un témoin oculaire, qui préfère taire son nom, raconte qu’alors que les corps commençaient à s’empiler devant les portes de l’église, « une ambulance a commencé à charger plus de trois corps à la fois, parfois quatre ou cinq. »
Il affirme qu’un policier haut gradé est arrivé avec deux ambulances et un camion de police et a fait part de la gravité de la situation à ses supérieurs.
Plusieurs responsables de l’Église, dont le patriarche Théodore II, ont critiqué les internautes qui blâment les responsables pour leur lenteur et leur négligence.
Les enfants ne sont jamais revenus
Esnad bint al-Maqds, âgée d’une quarantaine d’années, avait envoyé ses deux enfants, morts dans l’incendie dimanche, à l’église Abu Sifin dans l’intention de leur faire assister à la grande messe mercredi.
Lors d’un grand rassemblement devant sa maison à Embabeh lundi soir, on pouvait l’entendre crier et s’accuser de la mort de ses enfants.
« Tout le monde essaie de la calmer, mais elle persiste à dire qu’elle est responsable de leur décès », confie son cousin Emad à MEE.
« Il se battait mais l’ambulance n’arrivait pas et il est mort dans mes bras »
- Mina Adel
« Personne ne peut croire que les enfants sont partis prier et ne sont jamais revenus. »
Emad explique que sa famille vient de Haute-Égypte, une société souvent dominée par les hommes où la masculinité est vue comme inébranlable.
« Je n’ai jamais vu autant d’hommes pleurer de ma vie. Tout le monde est si désespéré », poursuit-il.
« On veut se rassurer en se disant qu’ils sont dans un monde meilleur. »
Les églises locales sont souvent très fréquentées les dimanches, les jeunes viennent notamment y suivre des cours de catéchisme.
La plupart des églises coptes ne sont pas de simples lieux de culte, elles comportent souvent des espaces qui comprennent des garderies, des centres de loisirs, des cliniques, des théâtres et des espaces communs pour les fidèles.
Ces dernières décennies, les églises sont devenues un refuge pour les chrétiens coptes, à l’écart de la marginalisation, du sectarisme et de la violence.
Les photos des petits cercueils entrant dans les funérariums ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, suscitant la sympathie des Égyptiens.
En apprenant la nouvelle, Mina Adel, âgé d’une vingtaine d’années, s’est précipité sur les lieux pour vérifier que ses parents allaient bien et a trouvé son père en vie.
« Il se battait mais l’ambulance n’arrivait pas et il est mort dans mes bras, ma mère était à côté de lui », déclare le jeune homme, dont la mère est également décédée.
« À mon arrivée, j’ai découvert des dizaines de corps au sol sur les tapis. Les morts étaient sur la gauche, les blessés à droite.
« Mes parents voulaient aller prier ensemble. J’imagine qu’ils sont comme de jeunes mariés allant au paradis. J’espère qu’ils continueront de prier pour moi au ciel. »
Des décès évitables
Quelques heures après l’incendie, des mesures strictes ont été imposées aux alentours de l’église. Les policiers ont bloqué les routes menant au site, interdisant à la presse d’interviewer les témoins et voisins.
Dans l’église, des équipes de construction affiliées à l’armée ont commencé la rénovation, espérant finir en l’espace d’une semaine. L’entrée du bâtiment a été recouverte d’un grand drapeau égyptien.
« Les coptes sont contraints de vivre dans l’ombre et de prier en silence »
- Abanoub Fawzy, étudiant en informatique
Dans la rue voisine de l’église Abu Sifin, on pouvait entendre les cris et les pleurs.
« Ma grand-mère Magda Nabih, ma tante Irene Atef et ses enfants, ma tante Mirna Atef sont allés au ciel », énumère Layali, dont la famille a été amputée de six membres dans l’incendie.
Elle dit à MEE tenir le gouvernement responsable du retard des secours.
« Beaucoup de décès ont été [provoqués par] la suffocation et non les brûlures. Certains auraient pu être sauvés », assure-t-elle.
Cet incendie et ses victimes ramènent sur le devant de la scène la question de la légalisation de la construction des églises, des obstacles auxquels font face les chrétiens qui veulent rénover leurs lieux de culte et de la façon dont la société fait preuve de discrimination contre les églises coptes.
En 2016, l’Égypte a adopté une loi visant à réguler la construction des églises, mais de nombreux chrétiens coptes et organisations de défense des droits de l’homme jugent que celle-ci n’a pratiquement rien changé à la discrimination que subissent les coptes, lesquels représentent 10 % des 100 millions d’Égyptiens, concentrés pour la plupart en Haute-Égypte.
Abanoub Fawzy, étudiant en informatique originaire de Minya, explique que de nombreux lieux de culte chrétiens sont contraints de s’implanter dans des zones résidentielles et dans des bâtiments non conçus à cet effet afin d’échapper au harcèlement des extrémistes et qu’un grand nombre d’entre eux attendent l’approbation du gouvernement.
Abanoub est venu de Minya pour assister aux funérailles de son ami, Mina, décédé dans l’incendie.
« Les coptes sont contraints de vivre dans l’ombre et de prier en silence. Je parle d’expérience parce qu’à Minya, plusieurs fidèles se rassemblent dans des maisons pour prier mais finissent par être attaqués par des extrémistes. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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