Égypte : les lanternes traditionnelles du Ramadan frappées par l’inflation
LE CAIRE – Des lanternes en métal luisant, aux couleurs vives, s’entassent autour de Nasser Mostafa, assis en tailleur sur le plancher de son humble atelier.
Dans le quartier ouvrier de Sayyidah Zaynab au Caire, Mostafa fabrique une lanterne de Ramadan traditionnelle (fanoos, en arabe) avec, en fond sonore, les mélodies de la légendaire chanteuse égyptienne, Oum Kalthoum. Tandis que le métal fond sous l’effet des flammes palpitantes, il sculpte consciencieusement l’objet de décoration incontournable dans toutes les maisons égyptiennes pendant le Ramadan.
Les lanternes du Ramadan décorent et illuminent maisons, rues et magasins pendant le mois sacré de l’islam, pendant lequel les musulmans jeûnent du lever du soleil jusqu’à son coucher.
Mostafa travaille dans l’industrie des lanternes du Ramadan depuis 1990. Il y a vingt ans, cet homme de 48 ans a été embauché dans cet atelier, et c’est maintenant lui qui en est le patron.
Ce père de trois enfants déplore les conséquences de la hausse de l’inflation en Égypte sur le secteur des fanoos.
« L’an dernier, je produisais des milliers de lanternes, mais cette année mes affaires ont chuté de 75 % »
- Nasser Mostafa, propriétaire d’un magasin de lanternes du Ramadan
« L’année dernière je produisais des milliers de lanternes, mais cette année mes affaires ont chuté de 75 %. J’employais trois, voire quelquefois quatre ouvriers, mais désormais je ne peux en prendre qu’un seul », regrette-t-il.
Fer-blanc, verre et vernis entrent dans la fabrication des lanternes. Tout est importé par l’Égypte, sauf le verre, qui n’a pas échappé non plus à la hausse des prix.
Mostafa explique que le prix des matières premières a plus que quadruplé. Il a donc été obligé de réduire sa production, tout en doublant presque le prix des lanternes – pour n’en tirer qu’un maigre bénéfice.
« Le plus jeune et le moins expérimenté des ouvriers n’accepterait de travailler que pour un salaire de 100 EGP (5 euros) à 150 EGP (7,5 euros) par jour », indique Mostafa.
« Comment pourrais-je me le permettre ? Je ne vois pas comment je pourrais nourrir ma famille, à ces conditions ? » a-t-il ajouté.
Mostafa produit ses lanternes par lots de 100. La production des lanternes de petite taille prend deux jours, et celle des lanternes de grande taille peut exiger une à deux semaines.
Cette année, Mostafa indique en soupirant que les ventes de son atelier ont chuté de 70 %.
« Comment pourrais-je nourrir ma famille, à ces conditions ? »
- Nasser Mostafa, propriétaire d’un magasin de lanternes du Ramadan
Mostafa vend environ 45 EGP (2,20 euros) pièce ses lanternes de taille moyenne faites main. Elles sont plus chères que l’an dernier, où elles se vendaient 27 EGP (1,30 euro), mais sa marge bénéficiaire n’est pas mirobolante pour autant (entre 3 et 5 EGP pièce, c’est-à-dire entre 15 et 25 centimes d’euro).
Le prix des lanternes de grande taille qui décorent maisons, balcons et entrées des bâtiments tournent autour de 100 EGP (5 euros) et 400 EGP (20 euros), selon le design et les matériaux utilisés.
Depuis novembre 2016, le gouvernement laisse flotter la livre égyptienne, ce qui l’a fait plonger par rapport au dollar. Par conséquent, en avril, l’inflation égyptienne a explosé, comme jamais depuis trente ans.
Cette mesure faisait partie d’un ensemble de réformes économiques exigées par le Fonds monétaire international (FMI), en échange d’un prêt de 12 milliards de dollars (10 milliards d’euros).
Une tradition importante
Chaque année en Égypte, les lanternes traditionnelles sont un élément essentiel de la fête du Ramadan.
Elles sont ornées de versets du Coran ou de simples vœux de Ramadan : Ramadan Karim (formule pour souhaiter que le mois Ramadan soit celui du partage et de la générosité) ou Ramadan Moubarak (formule pour souhaiter un Ramadan béni), tandis que d’autres sont habillées de tissus brillants, aux couleurs vives.
L’origine de ces lanternes aux décorations chargées remonte à la dynastie fatimide en Égypte. Les enfants exhibent fièrement leurs lanternes toute neuves, en chantant les célèbres cantiques du Ramadan.
Salma Fouad et sa mère sont venus faire leurs courses dans un souk de Nasr City, un quartier à l’est du Caire : elles ont jeté leur dévolu sur une grande lanterne en fer-blanc, qui va décorer leur maison pendant la fête du Ramadan.
La mère de Fouad est choquée par la hausse des prix. Pourtant, malgré ces prix élevés, elle s’est laissée forcer la main pour acheter une lanterne presque deux fois plus cher que l’an dernier.
« Les prix ont doublé mais, dans ma famille, adultes comme enfants croient qu’une lanterne toute neuve garantira bonheur et joie pendant le Ramadan. Pas question de célébrer cette fête sans acheter une lanterne’
- Une mère de famille
« Les prix ont doublé mais, dans ma famille, adultes comme enfants croient qu’une lanterne toute neuve garantira bonheur et joie pendant le Ramadan. Pas question de célébrer cette fête sans acheter une lanterne », affirme la mère de Fouad.
Plutôt que d’acheter les lanternes produites par les Égyptiens, certains clients leur préfèrent celles fabriquées en Chine, parce qu’elles sont moins chères, et que les enfants peuvent jouer avec en toute sécurité. Cependant, on trouve au marché beaucoup moins de lanternes chinoises qu’avant en raison des réglementations strictes qui frappent les importations.
« Les arêtes des lanternes égyptiennes en fer-blanc sont coupantes et ont tendance à rouiller à la longue », regrette Heba Mohamed, mère de trois enfants.
Les importations chinoises coûtent environ un dollar de moins que celles faites main par les vendeurs locaux, mais Mostafa soutient que ces répliques n’ont rien d’authentique.
« Elles s’apparentent davantage à des jouets qui chantent et dansent, et c’est peut-être la raison pour laquelle elles séduisent tant la clientèle », déplore-t- il.
Il fut un temps où les lanternes de production chinoise concurrençaient fortement les produits locaux mais, en 2015, le ministère égyptien de l’Industrie et du Commerce a publié un décret exceptionnel interdisant les importations de lanternes chinoises, entre autres imitations de produits artisanaux égyptiens traditionnels, dans le but de stimuler la production locale.
Omar el-Shenety, directeur général de la banque d’investissement régionale Multiples Group, explique à Middle East Eye que la Banque centrale égyptienne (BCE) a pris un certain nombre de mesures visant à restreindre les importations de quelques produits pour favoriser la production locale, mais cela a, en même temps, provoqué la hausse du prix de toutes les importations.
En décembre 2016, les droits de douane ont augmenté jusqu’à 60 % sur 364 produits, entraînant une forte augmentation des prix, surtout pour les aliments.
« Le dollar américain n’a toujours pas atteint son juste cours par rapport à la livre égyptienne, et on est encore loin des taux attendus au moment où fut instauré le flottement de la livre ».
- Omar el-Shenety, directeur général de la banque d'investissement régionale Multiples Group
Shenety s’attend à une légère baisse du cours du dollar après le Ramadan, parce de nombreux Égyptiens auront alors échangé des devises pour payer leur omra (pèlerinage) à la Mecque, pendant le Ramadan. Il ajoute que, dès le début de l’été, beaucoup d’Égyptiens travaillant à l’étranger reviennent en Égypte pour retrouver famille et amis, augmentant ainsi les réserves de dollars du pays.
« Évidemment, tout cela prend plus de temps que prévu. Effectivement, nous avons combattu le marché noir, mais le dollar américain n’a toujours pas atteint son juste cours par rapport à la livre égyptienne, et on est même encore loin des taux attendus au moment où fut instauré le flottement de la livre », reconnaît Shenety.
Shenety, comme d’autres experts économiques, espérait que le dollar atteigne entre 13 et 14 EGP (de 0,64 à 0,69 euro) après six mois, mais son cours reste toujours à 18 EGP (0,90 euro).
Shenety admet que l’Égypte n’aura toujours pas vaincu l’inflation l’an prochain, et ajoute : « Cependant, si le taux était légèrement plus bas, il n’y aurait pas autant d’accumulation suite au choc sur les marchés, comme c’est le cas cette année ».
Mostafa, comme beaucoup d’Égyptiens, ne peut pas se permettre d’attendre l’embellie de la conjoncture. Les produits les plus populaires sont devenus inabordables.
« Cette année, qui peut s’offrir les fruits secs du Ramadan ? Lors du dernier Ramadan, les dattes sèches coûtaient entre 6 (29 centimes d’euro) et 10 EGP (0,50 centime). Aujourd’hui, on en est autour de 30 (1,50 euro) et 35 EGP (1,72 euro) », explique Mostafa.
« Depuis trois ans, nous faisons preuve d’une grande patience. En fait, nous patientons depuis bien plus longtemps, et qu'est-ce que ça nous a rapporté ? »
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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