Élection présidentielle iranienne : qui est dans la course ?
Aucun président iranien n’a échoué à se faire réélire au cours de l’histoire de la République islamique.
L’actuel président Hassan Rohani sera-t-il le premier, lorsque les Iraniens voteront ce vendredi 19 mai ?
C’est peu probable. Rohani a besoin de 50 % des voix pour éviter un second tour décisif le 26 mai. Architecte de l’accord sur le nucléaire de 2015 et membre du parti de centre-droit de la Modération et du développement, il est le candidat par défaut pour la plupart des élites iraniennes, ainsi que pour de nombreux électeurs réformistes.
Bien qu’il ne soit pas lui-même réformiste, Rohani s’est assuré le soutien de Mohammad Khatami, président de 1997 à 2005 et chef de file du mouvement réformiste.
La politique étrangère n’a pas occupé une place prépondérante dans les trois débats. Même l’accord sur le nucléaire de 2015 n’a été débattu que dans l’optique de l’allégement des sanctions
La communauté internationale, en particulier les gouvernements occidentaux, soutient également Rohani, en partie parce qu’il a conclu cet accord sur le nucléaire, et en partie en raison de son inclinaison pro-occidentale et de son désir d’ouvrir l’économie aux investissements étrangers.
Les enjeux sont élevés car le président en place est confronté à un défi très visible du principal conservateur Ebrahim Raïssi, un membre haut-placé de l’Association du clergé militant.
Aucun des candidats – lesquels ont été approuvés par le Conseil des gardiens sur une liste de 1 600 personnes – n’a de solides machines de parti derrière lui, se reposant plutôt sur des entretiens avec le radiodiffuseur public et d’autres médias.
Les trois débats télévisés en direct, dont le dernier a eu lieu vendredi dernier, constituent leur moyen le plus efficace de toucher directement l’électorat.
La politique étrangère n’a pas occupé une place prépondérante dans les trois débats. Même l’accord sur le nucléaire de 2015, officiellement connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA, ou « Barjam » en persan), n’a été débattu que dans l’optique de l’allégement des sanctions.
Tous les candidats l’appuient : aucun n’a parlé de revenir dessus. D’autres questions de politique étrangère, comme le rôle de l’Iran en Syrie et les tensions avec l’Arabie saoudite, ont été à peine évoquées.
Historiquement, les électeurs iraniens ont tendance à être davantage influencés par les problèmes économiques de base plutôt que par la politique étrangère. Bien que l’inflation se soit stabilisée après l’accord sur le nucléaire, il existe des préoccupations économiques plus graves liées au chômage, à la répartition inéquitable des ressources et à la corruption.
Débats et retraits
Rohani peut-il être vaincu ? Seulement si ses adversaires se mobilisent activement derrière un candidat fort.
À la fin du troisième débat, le vote des conservateurs traditionnels et des rigoristes se divisait entre Ebrahim Raïssi, Mohammad Bagher Ghalibaf et Mostafa Mirsalim.
Ghalibaf a réalisé une meilleure prestation que Raïssi dans les débats, avant toutefois de renoncer lundi. Il soutient désormais Raïssi, dont les perspectives se sont améliorées et qui a maintenant le soutien du « Front populaire des forces de la révolution islamique » (JAMNA), une coalition conservatrice improvisée qui a été formée à la fin de l’année dernière.
Le prochain président de l’Iran se heurtera à deux problèmes essentiels en matière de politique étrangère : endiguer efficacement la menace d’une Amérique de plus en plus belliqueuse ; et la tension croissante avec l’Arabie saoudite
Quel que soit le vainqueur, le prochain président iranien sera confronté à une tâche difficile pour stabiliser l’économie après la levée des sanctions ainsi que pour traiter deux problèmes essentiels en matière de politique étrangère susceptibles de prendre de l’importance au cours des quatre prochaines années.
Le premier consiste à endiguer efficacement la menace d’une Amérique de plus en plus belliqueuse, dirigée par le changeant Donald Trump, qui a déclaré que l’Iran « jou[ait] avec le feu » avec sa politique régionale.
Le second est la tension croissante avec l’Arabie saoudite qui se joue dans le contexte des guerres régionales par procuration, notamment en Syrie et au Yémen. Le vice-prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, a exclu tout dialogue avec l’Iran et, dans une escalade potentiellement dangereuse, a menacé de lutter pour l’influence régionale « à l’intérieur » des frontières iraniennes.
Voici la présentation des candidats dans ce qui est probablement aujourd’hui un affrontement direct entre Rohani et Raïssi…
Hassan Rohani
Poste actuel : président
Postes précédents : secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale (CSSN), vice-président du Parlement.
Pourquoi il compte : Rohani est au cœur de l’establishment iranien de la défense et de la sécurité depuis près de 40 ans. Il a joué un rôle central dans la gestion de la crise nucléaire, d’abord en tant que secrétaire du CSSN, lorsqu’il a négocié un accord avec trois grands États européens fin 2003, puis à titre de président à partir de 2013, lorsqu’il a négocié l’accord historique sur le nucléaire.
Malgré ses antécédents, Rohani a réuni une coalition très large composée de réformistes, de centristes et de technocrates, qui a fait mieux que prévu lors des élections législatives de l’an dernier, lorsqu’il a éliminé la majorité des conservateurs.
Rohani a remporté l’élection présidentielle de 2013 principalement parce qu’il était soutenu par deux anciens présidents : Ali Akbar Hachémi Rafsandjani (décédé en janvier) et Khatami.
Rafsandjani bénéficiait d’un faible mais extrêmement influent soutien de la part des kargozaran (technocrates), une élite bureaucratique et financière qui se consacre à la rationalisation de l’économie iranienne par la privatisation et l’intégration au sein de l’économie mondiale. Khatami est considéré comme le chef spirituel du mouvement réformiste iranien et bénéficie d’un énorme succès à travers le pays.
Cette alliance tactique donne à Rohani un avantage considérable et éventuellement imbattable sur ses rivaux. En outre, son expérience dans la sécurité nationale signifie qu’il a la confiance du puissant establishment de la sécurité.
En ce qui concerne le paysage politique iranien, Rohani est considéré comme un candidat centriste qui embrasse des notions de rationalité économique, de cohérence politique et de suprématie bureaucratique.
Une victoire de Rohani maintiendrait à flot le mouvement réformiste en Iran, ce qui lui donnerait l’occasion de faire un grand retour lorsque l’opportunité se présentera.
Ce qu’il a dit lors des débats : la performance de Rohani au cours des débats a généralement été jugée médiocre, se reposant sur son coéquipier Eshaq Jahangiri (voir ci-dessous) pour le soutenir avec des faits et des chiffres. Le président a passé la plupart de son temps à défendre le bilan de ses quatre ans, promettant de la cohérence et des efforts accrus pour améliorer l’économie s’il était élu pour un second mandat.
Il a également attaqué les origines de ses principaux rivaux, les accusant d’être impliqués dans des « détentions et des exécutions » depuis des décennies. Il a été largement jugé hypocrite, compte tenu de sa répression de la dissidence et des manifestations par le passé.
Ebrahim Raïssi
Poste actuel : Gardien d’Astan Quds Razavi
Postes précédents : procureur général, vice-président de la Cour suprême, membre de l’Assemblée des experts
Pourquoi il compte : Raïssi est un allié proche de l’ayatollah Seyyed Ali Khamenei, Guide suprême de l’Iran et, en tant que tel, est le candidat de l’establishment.
En tant que gardien du sanctuaire de l’imam Reza à Mashhad, il préside un vaste empire commercial et caritatif qui emploie des dizaines de milliers de personnes et bénéficie d’un chiffre d’affaire estimé à 15 milliards de dollars dans la région.
Avec une solide expérience judiciaire remontant aux années 1980, Raïssi est largement considéré comme un gardien déterminé et impitoyable de l’establishment clérical. Il a été impliqué dans l’exécution massive de militants et de prisonniers politiques à l’été et l’automne 1988 après la fin de la guerre Iran-Irak.
En tant que candidat officiel de JAMNA, Raïssi espère devenir le premier président conservateur du pays depuis les deux mandats de Khamenei de 1981 à 1989. Le départ de Ghalibaf et son soutien subséquent à Raïssi rendent sa tâche beaucoup plus facile – mais le clerc âgé de 57 ans est toujours confronté à une tâche difficile en essayant de renverser Rohani.
Pour commencer, Raïssi n’a pas d’expérience politique et, jusqu’au début de la campagne de cette année, était largement inconnu du public.
En outre, ses manières douces et modestes, associées à un manque de charisme, signifient qu’il aura du mal à influencer les électeurs non conservateurs.
Ce qu’il a dit lors des débats : Raïssi a marqué des points en faisant preuve de maîtrise de soi et en évitant les échanges au coup pour coup avec Rohani et Jahangiri. Il a également produit un récit cohérent axé sur la justice sociale et la lutte contre la corruption. Mais Raïssi a été ridiculisé pour avoir réclamé une répression de l’évasion et de la fraude fiscales alors que l’Astan Quds Razavi qu’il dirige jouit d’un statut d’exonération fiscale.
Mostafa Mirsalim
Poste actuel : Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime
Postes précédents : ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, chef de la police
Pourquoi il compte : en tant que membre de premier plan du Parti de la coalition islamique (Amiat'Haye Motalefeh Islami), Mirsalim est un capitaliste de la vieille école et un homme de droite. Avec sa barbe stylisée, ses smokings et sa propension à montrer sa maîtrise du français, Mirsalim est une personnalité excentrique. Largement considéré comme un candidat mineur, il ne devrait pas obtenir un score élevé le jour de l’élection.
Ce qu’il a dit lors des débats : Mirsalim a exprimé une critique radicale et peu charitable du bilan de Rohani et a déploré l’état des affaires nationales en général. Il a choqué beaucoup de monde par sa compréhension insuffisante des statistiques nationales essentielles, alors même qu’il siège au Conseil de discernement, qui intervient sur les différends entre les trois branches du gouvernement.
Mostafa Hashemitaba
Poste actuel : chef du comité olympique national
Poste précédent : ministre de l’Industrie
Pourquoi il compte : Hashemitaba pourrait être décrit comme le seul véritable candidat réformiste de cette élection, quoique timide. Dans l’absolu, c’est un technocrate qui était proche de Rafsandjani et des principaux réformistes tels que Khatami, adoptant une partie de leur rhétorique, sinon leurs principes.
Allié proche de Rafsandjani, en 1996, Hashemitaba a cofondé un parti politique technocratique au nom grandiose « Les cadres de la construction » (Kargozaraneh Sazandegi). Ce parti – comme la plupart des partis en Iran – est une plate-forme pour les élites et a peu de base voire aucune.
Ce qu’il a dit lors des débats : même en tenant compte de son rôle mineur dans la campagne, Hashemitaba a été extraordinairement médiocre. Soutenant largement Rohani, il n’a pas présenté de nouvelles idées, et encore moins de programme politique cohérent.
Se sont retirés de la course à la présidentielle :
Eshaq Jahangiri
Poste actuel : vice-président
Postes précédents : ministre des Industries et des Mines, gouverneur provincial
Pourquoi il compte : Jahangiri s’est retiré de la course mardi comme beaucoup d’observateurs l’avaient prédit. Il fait partie du cercle restreint du président et a été universellement considéré comme un candidat « soutien » pour Rohani.
Cependant, sa candidature était importante pour deux raisons, outre son soutien à Rohani. Premièrement, Jahangiri est un protégé de l’ancien président Hachémi Rafsandjani et une figure de proue de la tendance kargozaran (technocratique), ce qui en fait un lien important entre les technocrates et les centristes alliés à Rohani.
Deuxièmement, la bonne performance de Jahangiri lors de la campagne, et surtout dans les débats télévisés, en a conduit beaucoup à spéculer qu’il puisse se présenter véritablement à la présidence lors des prochaines élections en 2021.
Ce qu’il a dit lors des débats : le rôle principal de Jahangiri était de soutenir Rohani, en fournissant des faits et des chiffres et en coordonnant les attaques contre ses principaux adversaires.
Lors du premier débat, il a joué en attaque tandis que Rohani jouait en défense. Ils ont ensuite inversé les rôles lors du deuxième débat. Pour le troisième débat, les deux candidats ont participé à l’offensive contre Ghalibaf et Raïssi.
Mohammad Bagher Ghalibaf
Poste actuel : maire de Téhéran
Postes précédents : chef de la police, commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)
Pourquoi il compte : conservateur ayant un attrait parmi les plus jeunes électeurs, Ghalibaf a mené une campagne difficile et en a déçu beaucoup en annonçant son retrait de la course ce lundi 15 mai. Largement considéré comme le candidat de « l’État profond », Ghalibaf a un long passif militaire et sécuritaire, notamment un poste de commandant dans l’armée de l’air du CGRI à la fin des années 1990.
Raillé par ses adversaires pour son approche dure et militariste concernant la gestion de la dissidence, Ghalibaf a néanmoins fait preuve de décorum, de patience et de retenue lors des débats.
Contrairement à Raïssi, le vif et flamboyant Ghalibaf était bien placé pour atteindre les électeurs réformistes en faisant appel au nationalisme, à l’ordre public et à la justice sociale.
Son retrait ne signifie pas nécessairement la fin de ses ambitions politiques : Ghalibaf pourrait se présenter à la prochaine élection présidentielle en mai 2021.
Ce qu’il a dit lors des débats : Ghalibaf était l’adversaire le plus crédible de Rohani et Jahangiri. Il a persisté à se battre contre Rohani en exposant la compréhension insuffisante des faits et des chiffres de l’actuel président, tout en exposant ses promesses vides.
Ghalibaf a accusé Rohani et Jahangiri d’être les candidats du « 4 % », tandis que les 96 % restants de la population doivent faire face à des conditions économiques difficiles.
En associant Rohani et Jahangiri aux élites financières secrètes du pays, Ghalibaf a dénoncé de manière convaincante leur incapacité – en fait, leur réticence – à lutter contre la corruption.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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