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En Irak, les assassinats de symboles féministes font craindre le pire

Les meurtres de quatre Irakiennes, figures publiques de l’émancipation et de l’engagement, inquiètent la société civile dans ce pays livrée aux crises successives
L'ex-Miss Irak et top model Tara Farès a été assassinée le 27 septembre à Bagdad (Twitter)
Par MEE

L’image n’est pas nette : elle provient de l’une des caméras de surveillance de Camp Sara, un quartier de la capitale irakienne, Bagdad. Deux hommes à scooter s’approchent de la vitre du conducteur d’une Porsche blanche avant de s’en éloigner. 

En fait, ces deux hommes viennent de tirer trois balles sur l’ex-Miss Irak et top model Tara Farès ce 27 septembre, en plein jour. Son compagnon, qui se trouve avec elle dans la voiture, l’évacue vers l’hôpital où la plus importante des influenceuses irakiennes succombe à ses blessures. Elle avait 22 ans. 

Choc et colère

En Irak et ailleurs sur l’ensemble des réseaux sociaux, hommages et indignations se multiplient : les photos suggestives de la jeune Irakienne devenue égérie de plusieurs marques de beauté et symbole d’une féminité émancipée, couvrent les publications sur le web. 

Le ministère irakien de l’Intérieur a annoncé l’ouverture d’une enquête sur cet assassinat alors que le crime semble s’inscrire dans une série d’éliminations de femmes publiques influentes. 

Le Premier ministre, Haïder al-Abadi, a, de son côté, ordonné au ministère de l’Intérieur et au département du renseignement irakien d’enquêter sur les assassinats et les enlèvements à Bassorah, ville du sud qui connaît un important mouvement contestataire, à Bagdad et ailleurs. 

Car l’assassinat de Tara Farès intervient deux jours après le meurtre à Bassorah, commis par un homme encore non identifié, de Suuad al-Ali, militante des droits de l’homme. Là aussi, une vidéo de surveillance montre comment un homme s’approche de la militante alors qu’elle s’apprête à monter dans une voiture avant de lui tirer une balle dans la tête.    

Série d’assassinats

Au mois d’août, deux célébrités du monde de la beauté irakien sont assassinées. Rafeef al-Yaseri, surnommée la « Barbie d’Irak », a été tuée le 16 août chez elle à Bagdad. Chirurgienne plasticienne, elle organisait des programmes nationaux spécialisés dans la prévention médicale pour les femmes. 

À peine une semaine plus tard, Rasha al-Hassan, propriétaire et directrice du Viola Beauty Center à Bagdad, a été retrouvée morte chez elle. Des informations ont évoqué une surdose de médicaments, mais la rue irakienne refuse cette version. 

« Il suffit que l’on se montre à la télé, que l’on fasse notre travail de journalistes qui parlent au nom du peuple, pour qu’un homme qui n’a pas dépassé le stade du primaire à l’école vienne proclamer ‘‘C’est une prostituée, il faut la tuer !’’ » 

- Shaïma Kacem, journaliste irakienne

À travers le monde arabe et au-delà, ce sont les islamistes qui sont accusés de cette série de meurtres visant des symboles féminins. Le dimanche 30 septembre, le ministère irakien de l’Intérieur a indiqué que ses enquêtes n’avaient à ce jour décelé aucune piste islamiste. 

Sur son compte Instagram, la journaliste Shaïma Kassem, elle-même ex-Miss Irak 2015, a lancé ce message, en pleurant : « Il suffit que l’on se montre à la télé, que l’on fasse notre travail de journalistes qui parlent au nom du peuple, pour qu’un homme qui n’a pas dépassé le stade du primaire à l’école vienne proclamer ‘‘C’est une prostituée, il faut la tuer !’’… Tous ceux qui incitent au meurtre iront en enfer, et toutes les victimes sont des martyrs ! ».    

Un pays en crise

Dans le cas de Suaad al-Ali, la militante de Bassorah qui a manifesté plusieurs fois contre les autorités de Bagdad, des médias irakiens évoquent d’autres pistes en énumérant une liste d’activistes et de militants de l’opposition ou de la société civile cibles d’assassinats ou de kidnappings. 

Depuis juillet, le sud de l’Irak, notamment la province de Bassorah, riche en hydrocarbures, est secoué par des manifestations socioéconomiques qui ont fait plus de vingt morts. Bagdad n’est pas à l’abri des tensions non plus : le 6 septembre, trois obus ont ciblé la zone verte, ce district hypersécurisé abritant les institutions et les ambassades étrangères. 

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