Aller au contenu principal

En Jordanie, des graffeurs apportent un supplément d’âme aux murs de leur capitale

Leur nombre ne dépasse pas la dizaine, mais cette poignée de graffeurs travaille d’arrache-pied pour redonner vie aux murs sombres d’Amman en contournant les tabous d’une société conservatrice
Graffiti sur un mur de la capitale jordanienne, Amman, le 18 décembre 2017 (AFP)
Par AFP

Depuis leur apparition il y a une dizaine d’années, les graffitis se sont multipliés dans le centre d’Amman, mais surtout à Jabal Amman et Jabal al-Lweibdeh, deux des plus vieux quartiers de la capitale jordanienne, habités en grande partie par des étrangers.

Des dessins d’animaux, de fleurs, de plantes ou de visages humains sont ainsi progressivement apparus sur les murs de ces quartiers, leurs longs escaliers en pierre et leurs trottoirs.

« Notre ville est belle mais elle a encore besoin d’être égayée, colorée »

- Suhaib Attar, graffeur jordanien

Amman, qui compte quelque quatre millions d’âmes, a été bâtie sur sept collines qui ont donné leur nom à ses principaux quartiers.

« Notre ville est belle mais elle a encore besoin d’être égayée, colorée », assure Suhaib Attar, le plus connu des graffeurs dans le pays.

Suhaib Attar, graffeur jordanien de 25 ans, réalise une peinture murale dans la capitale jordanienne, le 16 décembre 2017 (AFP)

Dans un parking automobile à Jabal Amman, l’artiste de 25 ans, un seau de peinture à la main, œuvre à « transformer ces grands murs de béton sombres en une sorte de tableau expressif plein de vie ».

« Lignes rouges »

Signe toutefois que cet art peine à s’imposer comme moyen de libre expression en Jordanie, Suhaib Attar rappelle qu’il préfère ne pas évoquer dans ses graffitis des sujets politiques ou religieux.

« Je dessinais un grand portrait d’un homme d’une tribu lorsque des passants m’ont interpellée, me sermonnant parce que j’étais sur une échelle au milieu d’hommes, et m’interrogeant sèchement sur le sens de mon graffiti »

- Suha Sultan, graffeuse jordanienne

« J’évite ce genre de thèmes pouvant choquer certaines personnes qui ne comprennent pas encore cet art », ajoute l’étudiant coiffé de dreadlocks.

Cet avis est partagé par Suha Sultan, 20 ans, étudiante à la faculté des Arts. Elle se rappelle d’un jour où elle a été rabrouée par des passants alors qu’elle s’adonnait à sa passion du street art avec des amis.

« Je dessinais un grand portrait d’un homme d’une tribu lorsque des passants m’ont interpellée, me sermonnant parce que j’étais sur une échelle au milieu d’hommes, et m’interrogeant sèchement sur le sens de mon graffiti », raconte la jeune fille aux yeux verts qui confie adorer dessiner depuis son plus jeune âge.

Peinture murale sur un mur de la capitale jordanienne, Amman (AFP)

Pour elle, Amman est remplie d’espaces et de murs sans âme qui doivent être revivifiés. « Mais cela n’est pas aussi simple car pour faire des graffitis, on a besoin d’autorisations préalables de la municipalité ou du propriétaire de l’immeuble et la plupart du temps, on est confrontés à un refus ou au manque d’acceptation de la société », explique-t-elle.

Wissam Chadid, un graffeur de 42 ans, considère même qu’il existe des « lignes rouges » à connaître dans une société traditionaliste où la création artistique est généralement incriminée.

« Quand je passe le matin près d’un mur avec de beaux graffitis, cela me remplit d’énergie positive pour le restant de la journée »

- Karim Saqr, Jordanien

« On peint la nature, des animaux, des portraits, mais on ne touche pas à toutes les questions liées à la morale », dit-il.

« Avant, il n’y avait sur les murs d’Amman que des noms de clubs [de football], des numéros de téléphone ou des messages personnels de jeunes garçons à leurs amies. Aujourd’hui, on essaie de vulgariser notre art », affirme Wissam, occupé à réaliser le visage d’une femme.

Ainsi, petit à petit, le street art fait son chemin dans la capitale. « Il rajoute des couleurs à cette ville dont les immeubles se ressemblent tous d’une certaine façon », se félicite Phoebe Carter, une Américaine faisant des études d’arabe dans le royaume.

« Quand je passe le matin près d’un mur avec de beaux graffitis, cela me remplit d’énergie positive pour le restant de la journée », affirme de son côté Karim Saqr, un Jordanien de 22 ans.

Par Kamal Taha

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].