Présidentielle : face à la menace de l’abstention dans les quartiers populaires, des Français se mobilisent
Ce samedi 26 février, des rayons de soleil réchauffent un peu le parvis austère d’un centre commercial vétuste planté au cœur de Sarcelles, une ville cosmopolite du Val d’Oise.
Installés à côté d’un camping-car, des haut-parleurs crachent de la musique entrecoupée d’appels à se rendre aux urnes en avril prochain, à l’occasion de l’élection présidentielle.
« N’oubliez pas de voter. Gardez la tête haute, les mamans, les papas, les petits. Si vous avez plus de 18 ans, vous devez aller voter. Un certain candidat veut changer nos prénoms ! », répète inlassablement Khaled, membre de la coordination nationale Pas sans Nous, faisant référence aux récentes déclarations du candidat d’extrême droite Éric Zemmour.
Juste à côté de lui, assis autour de plusieurs tables, des femmes, des hommes, jeunes et moins jeunes, remplissent des questionnaires où ils doivent définir leurs priorités.
Parcourir le territoire
Partie début octobre 2021 de région parisienne, cette coordination parcourt les quartiers populaires de France pour porter la voix de leurs habitants et les inciter à voter.
Près de 5,5 millions de personnes vivent dans ces territoires, souvent en banlieue des villes, des zones où le taux d’abstention atteint à chaque élection des niveaux de plus en plus élevés.
Le second tour de l’élection présidentielle en 2017 en a été une illustration significative : selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, alors que le taux d’abstention en France s’élevait à 25,44 %, il caracolait à 32 % en Seine-Saint-Denis. Du jamais vu dans ce département.
« Je suis Français, mais je ne peux pas voter pour des politiques qui nous méprisent. Nos voix ne comptent pas pour eux. Une fois qu’ils sont élus, ils nous oublient, nous les habitants de banlieue »
- El Haj, artiste
« Je n’irai pas voter », assure à Middle East Eye El Haj, artiste d’origine guinéenne, en remplissant soigneusement le questionnaire distribué sur le parvis. Sa priorité : la laïcité.
« On doit tous vivre ensemble », assure l’homme de 48 ans. Il ajoute, un peu agacé : « Je suis Français, mais je ne peux pas voter pour des politiques qui nous méprisent. Nos voix ne comptent pas pour eux. Une fois qu’ils sont élus, ils nous oublient, nous les habitants de banlieue. Ils ne parlent jamais de nous dans leurs débats à la télévision ! »
La question des difficultés sociales que traversent ces quartiers populaires est de fait absente des débats. Seuls les partis d’extrême gauche les évoquent, mais sans s’y attarder pour autant.
Les candidats de droite ou d’extrême droite, eux, les mentionnent ou plutôt les montrent du doigt uniquement pour parler d’insécurité et du « grand remplacement », un thème de campagne presque imposé par la figure la plus réactionnaire du spectre politique du pays, Éric Zemmour.
Le 5 janvier dernier, la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse, a promis dans une interview à un quotidien régional français de « ressortir le Kärcher de la cave » pour « nettoyer les quartiers », reprenant ainsi l’expression utilisée par Nicolas Sarkozy en 2005, lorsqu’il était le ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac.
Convaincre
« On est leur fonds de commerce, on ne peut pas laisser des politiques parler comme cela de nous », s’insurge Mohamed Mechmache, le président de la coordination nationale Pas sans Nous.
« Il faut que cela s’arrête, mais nous avons une responsabilité. Nous devons agir pour que les voix des quartiers populaires comptent dans cette campagne électorale ! »
« Cela fait 40 ans qu’on traite les gens des quartiers populaires comme des citoyens à part. On nous a mis au ban de la République. L’État a appauvri ces territoires, on les a oubliés et on a démantelé les services publics »
- Mohamed Mechmache, président de Pas sans Nous
Toute la journée, installée à une table sur le parvis du centre commercial à Sarcelles, Ramissa a enchaîné les discussions avec les habitants venus la voir pour échanger autour de cette campagne électorale.
Cette mère de famille a rejoint Pas sans Nous en octobre 2021. Originaire du quartier du Mirail à Toulouse, elle a entendu des centaines de fois les mêmes inquiétudes.
« Il y a du désespoir dans ce qu’ils nous disent. Le pouvoir d’achat, les problèmes de logement, c’est très difficile au quotidien. Des familles vivent avec la menace d’une expulsion de leur appartement. C’est de pire en pire », confie Ramissa à MEE.
Avant d’ajouter : « J’ai réussi à en convaincre quelques-uns d’aller voter, mais pas tous. »
« Ce que l’on explique ici aux gens, c’est que lorsque l’on s’abstient, on laisse des politiques être élus avec des minorités de voix. Ensuite, ils votent des lois qui auront un impact sur eux. Il faut leur faire comprendre que l’abstention joue en leur défaveur », explique Mohamed Mechmache.
Très engagé depuis 2005 dans la vie des quartiers populaires, cet ancien éducateur l’assure : « Avant, il n’y avait pas autant d’abstentions, mais les gens sont déçus. Rien ne change pour eux depuis des années. Il y a une énorme perte de confiance. »
Les raisons ? « Cela fait 40 ans qu’on traite les gens des quartiers populaires comme des citoyens à part. On nous a mis au ban de la République. L’État a appauvri ces territoires, on les a oubliés et on a démantelé les services publics. Même pour l’école, clairement les enfants de Sarcelles, par exemple, ne partent pas avec les mêmes chances qu’ailleurs. »
Le président de la coordination nationale Pas sans Nous a des mots très durs aujourd’hui lorsqu’il évoque la gauche traditionnelle, dont le Parti socialiste. Il accuse ces partis d’avoir « laissé tomber ces quartiers et les femmes, les hommes qui y vivent ».
Compte à rebours
« Les hommes politiques savent qu’il n’y aura pas de “vote sanction” dans les quartiers populaires, alors ils n’hésitent plus à avoir une parole raciste, islamophobe. C’est normal aujourd’hui de dire dans les médias que nous sommes des gens dangereux, des sous-citoyens. Il y a une radicalisation du racisme », explique à Middle East Eye le militant Wissam Xelka, joint par téléphone.
À Drancy (Seine-Saint-Denis), ce trentenaire a lancé, avec d’autres militants antiracistes, un appel aux dons pour mener en urgence une campagne d’incitation aux votes dans les quartiers populaires. Cette initiative, qui se veut totalement apolitique, implique, en plus du collage d’affiches, la diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux.
« On ne mise plus sur l’inscription, on veut pousser les gens déjà inscrits sur les listes électorales à aller voter. Le mois de mars est décisif, c’est maintenant qu’il faut agir ! », explique Wissam Xelka.
« Ces habitants de banlieue ont toutes les raisons de ne plus aller aux urnes, ils ont été trahis. Nous, on veut leur faire comprendre qu’il faut installer un rapport de force avec les politiques et leur montrer que leurs voix comptent »
- Wissam Xelka, à la tête d’une campagne d’appel au vote
« Notre objectif n’est pas de leur dire qu’il faut croire aux élections, qu’elles vont changer quelque chose pour eux concrètement. Ces habitants de banlieue ont été trop déçus pour croire en cela. Ils ont toutes les raisons de ne plus aller aux urnes, ils ont été trahis », résume le militant antiraciste.
« Nous, on veut leur faire comprendre qu’il faut installer un rapport de force avec les politiques et leur montrer que leurs voix comptent. Il faut utiliser ce vote pour dire : “On existe, vous n’allez pas faire sans nous !” », insiste-t-il.
« Il faut avoir un usage stratégique du vote. C’est une arme qu’il faut agiter pour être écouté. »
Le 12 mars à Paris, la coordination nationale Pas sans Nous a donné rendez-vous aux candidats à la présidentielle pour leur remettre un manifeste issu de son tour de France des quartiers populaires.
« Marine Le Pen et Éric Zemmour sont les deux seuls candidats qui ne sont pas invités. Ce sont ces candidats d’extrême droite qui parlent mal de nous. Ce sont eux qui nous désignent comme le grand remplacement », conclut avec une pointe d’agacement Mohamed Mechmache.
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